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Balado : Le discours public

Épisode 6 : La beauté et l’esprit humain

Nous discutons avec Hossein Amanat, Siamak Hariri et la professeure Brigitte Shim du fait qu’un bâtiment ou un lieu peut éclairer la vie intérieure d’une personne et du rôle que l’architecture peut jouer dans l’élévation spirituelle de la société. Monsieur Amanat, monsieur Hariri et la professeure Shim sont les dirigeants de leurs cabinets canadiens d’architecture respectifs.
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LAURA FRIEDMANN (animatrice) : Je m’appelle Laura Friedmann et je vous accueuille à cet épisode du discours public, un balado du Bureau des affaires publiques de la Communauté bahá’íe du Canada. 

Ceci est le sixième épisode de notre série « Une vision de l’unité », inspirée par le centenaire de la disparition de ‘Abdu’l-Bahá, une figure centrale de la foi bahá’íe, qui a consacré sa vie à promouvoir la foi de son père.

Lors de son passage à Montréal en 1912, ‘Abdu’l-Bahá a donné une série de conférences publiques dans lesquelles il a parlé du besoin qu’a l’humanité de spiritualité. Il a dit que les êtres humains « resteront comme du verre sans lumière s’ils sont privés des vertus spirituelles ». Et il a évoqué le besoin de l’humanité d’être éclairée, afin que « l’unité du monde de l’humanité soit révélée. »

Dans cet épisode, trois architectes canadiens chevronnés se joignent à nous pour parler de la relation qui existe entre notre milieu physique et l’esprit humain. Nous parlerons du fait qu’un bâtiment ou un lieu peut contribuer à éclairer la vie intérieure d’une personne, et du rôle que l’architecture peut jouer dans l’élévation spirituelle de la société.

Je suis absolument ravi d’être en compagnie de Hossein Amanat, la professeure Brigitte Shim et Siamak Hariri. Vous êtes tous les trois des architectes qui ont conçu des bâtiments culturels importants, dont beaucoup sont destinés à être des lieux de culte. J’aimerais donc vous inviter à vous présenter brièvement, à nous dire d’où vous venez et ce qui vous a attiré vers une carrière en architecture.

Brigitte, je vais commencer par vous.

BRIGITTE SHIM: Super. Merci beaucoup de m’avoir invitée. C’est un plaisir d’être ici. Je m’appelle Brigitte Shim, et je suis du cabinet Shim-Sutcliffe Architects. Je pratique avec mon mari et partenaire, Howard Sutcliffe. Je suis née à Kingston, en Jamaïque, et je suis arrivée au Canada lorsque j’étais en première année environ ; je vis ici depuis.

C’est en quelque sorte accidentellement que nous avons conçu plusieurs espaces sacrés. Cela pose vraiment des questions très intéressantes et profondes sur la situation dans laquelle nous nous trouvons à ce moment du 21esiècle. Je suis donc ravie de prendre part à une discussion sur ces espaces avec deux merveilleux collègues et amis.

LAURA : Très bien ! Je vous remercie. Je suis très heureuse que vous vous joigniez à nous, et je suis aussi vraiment emballée à l’idée d’avoir cette conversation. Siamak ?

SIAMAK HARIRI : Merci Laura. Je m’appelle Siamak Hariri. Je suis partenaire, partenaire fondateur, de Hariri-Pontarini Architects, qui est un studio d’architecture dont les bureaux sont à Toronto. Je pense que Brigitte et moi avons un parcours similaire, car je suis arrivé ici à l’âge de six ans. Je me souviens que c’était en 1965 et que nous nous sommes retrouvés à Willowdale. Et je pense que vous aussi, Brigitte. N’est-ce pas ?

BRIGITTE : Oui. Willowdale. Oui.

SIAMAK : Willowdale. C’était donc notre point de chute. Et je me souviens qu’il n’y avait que six familles perses à l’époque. Maintenant, bien sûr, c’est très différent. Mais je suis vraiment ravi de participer à cette conversation. Je pense que c’est une conversation importante sur les espaces sacrés, et sur comment un espace devient sacré ? Qu’est-ce qui le rend sacré ? Je suis très honoré d’être avec Brigitte et Hossein, deux personnes que j’admire beaucoup. 

LAURA : Merci Siamak. Et Hossein, à votre tour. 

HOSSEIN AMANAT : C’est un honneur d’être avec Brigitte et mon cher Siamak. Je suis né en Iran, et j’ai commencé ma pratique à l’âge de 24 ans, en concevant un monument, et j’ai continué à construire en Iran jusqu’à ce que je quitte ce pays pour une raison personnelle. Et je n’y suis jamais retourné ; et je ne savais pas alors que je ne reviendrais pas.

J’ai donc été à Londres pendant un certain temps, et de là, j’ai continué ma pratique. J’ai décidé d’immigrer au Canada, et je suis arrivé au Canada en 1980 et je me suis retrouvé à Vancouver où j’ai continué mon bureau. Je suis le directeur d’Amanat Architect, et, dans notre bureau, nous concevons tous les types de bâtiments. Je fais beaucoup de gratte-ciel et de résidences, mais ce qui est très important pour moi, c’est le bâtiment sacré sur lequel je travaille, qui… Nous en parlerons, je pense.

LAURA : Très bien. Je vous remercie. Je peux déjà dire que ce sera une conversation très riche, et je me sens aussi très honorée d’être avec vous trois ici. Dans une récente interview pour un magazine, vous avez dit que l’essence de l’architecture a une relation avec l’âme humaine. Je me demandais si vous pouviez développer cette idée. Comment l’architecture a-t-elle un rapport avec l’âme ?

HOSSEIN : C’est vrai. Je pense que ce que j’ai dit, c’est que j’ai senti que lorsque je me déplace dans des bâtiments, certains bâtiments, je ressens un certain sentiment qui n’est pas seulement matériel. C’est quelque chose que mon âme ressent. Et cela concerne l’effet de la beauté et des proportions d’un bâtiment, la quantité de lumière et la direction de la lumière. Et toutes ces relations entre les espaces qui, d’une certaine manière, ont un effet sur notre âme, comme un poème.

Et il est très difficile d’expliquer la nature de ce sentiment. C’est un sentiment que l’on éprouve en écoutant un beau morceau de musique. C’est un sentiment que l’on ressent à la lecture d’un poème. Il en va de même lorsqu’on entre dans un bâtiment qui a une âme. Et c’est ce que je voulais dire. 

Je ne peux pas parler de ce que je fais, alors vous devez me pardonner. J’espère que les explications se trouvent dans mes bâtiments. J’espère qu’elles s’y reflètent.

LAURA : Absolument. Absolument.

SIAMAK : Bien sûr.

LAURA : Merci. Je voudrais demander à Brigitte, en tant qu’architecte, vous pensez souvent à la façon de concevoir un bâtiment, ou un espace, qui façonne l’environnement bâti, mais comment pensez-vous que notre environnement bâti nous façonne à son tour ? Individuellement et collectivement ? Pourriez-vous nous donner des exemples de votre propre travail qui se démarquent ? 

BRIGITTE : L’architecture est une discipline si fascinante et complexe parce que l’une des choses qui se passent est que nous, en tant qu’architectes, travaillons avec du bois, de l’acier, du verre, du béton, et nous nous efforçons de les faire parler d’idées très profondes, mais ils sont eux-mêmes assez muets. Ainsi, la façon dont vous assemblez ces choses devrait, espérons-le, parler de la communauté pour laquelle vous travaillez et, d’une manière ou d’une autre, intégrer ses valeurs dans une sorte de forme bâtie où elles se rassemblent.

Et je dirais que le défi est qu’il y a beaucoup d’espaces où les gens se rassemblent que je considérerais simplement des bâtiments, et il y a très peu d’espaces que vous considéreriez comme de l’architecture ; où il y a une aspiration pour plus que, vous savez, la capacité d’accueillir un certain nombre de personnes et des escaliers de sortie, mais qu’il devrait y avoir un sentiment, comme Hossein a dit, d’une certaine manière qu’un espace touche votre âme. Et pour y parvenir, je dirais qu’il faut réfléchir à la question de la lumière, de la latitude, de l’emplacement, de la situation, et utiliser ces outils puissants que sont la lumière et l’espace pour aller au-delà du programme fonctionnel de rassemblement et laisser quelque chose de plus profond dans l’espace. Il ne s’agit pas nécessairement du degré d’élaboration de l’espace, mais il s’agit de comment, en fait, la lumière peut façonner la façon dont vous pensez à l’expérience de vous réunir, d’être ensemble, et comment cela touche votre âme, comme Hossein l’a décrit avec tant d’éloquence.

Je ne sais pas si cela commence à devenir plus clair, mais d’une certaine manière, vous savez… si vous prenez tous les matériaux d’un espace sacré et que vous les étendez sur le sol, ils ne font pas grand-chose. Ils ne font guère plus que créer une enveloppe. Vous êtes protégé de la pluie ou de la neige, mais ils ne disent rien. C’est la façon dont vous les assemblez qui va au-delà du programme fonctionnel pour aspirer à quelque chose qui va plus loin.

HOSSEIN : Votre façon de l’expliquer est très belle.

LAURA : Très bien. Merci. Et cela m’amène à ma prochaine question, qui s’adresse à Siamak. En parlant de la conception d’espaces sacrés dans les villes, Siamak, vous avez récemment terminé le temple bahá’í d’Amérique du Sud au Chili, qui est une maison de culte ouverte à tous. Lorsque vous avez conçu ce temple, comment vouliez-vous que les gens se sentent lorsqu’ils entraient dans le bâtiment ?

SIAMAK : Vous savez, Hossein a parlé de sentiments, et Brigitte a parlé d’aspiration, et je pense que ce sont deux mots vraiment importants. Qu’est-ce que cela fait d’être dans une structure sacrée ? C’est une question importante aujourd’hui. Comment distinguer quelque chose de sacré d’une très belle galerie d’art ou d’un musée, par exemple ? Et je pense qu’ici, l’aspiration était que ce soit un lieu où tout le monde – que vous soyez de telle ou telle couleur, de telle ou telle race, de telle ou telle religion, de tel ou tel milieu – tout le monde ait le sentiment que c’était un lieu qui lui appartient. Même si vous n’aviez aucune croyance en une religion, en Dieu ou en quoi que ce soit, vous pouviez sentir que c’était votre espace.

Et il n’y a pas de clergé dans la foi bahá’íe, donc… bien que le culte, et un lieu de culte, soient… aussi vieux que l’humanité elle-même, cela est aussi radicalement nouveau. C’est totalement nouveau. C’est une nouvelle typologie. Et donc ça présente vraiment un défi incroyable. Il fallait que ce soit ressenti à un moment où, vous savez, les choses sont tellement fracturées, comme l’a dit Brigitte. Nous vivons une époque très fracturée. Il fallait qu’on sente que cela faisait tomber toutes ces divisions, ces murs, ces « vous êtes de telle tribu ou de telle autre tribu ».

Le mandat est très simple. Il s’agit d’une pièce unique – pas d’images, pas de musique autre qu’a cappella, pas de sermons, pas de prosélytisme – et l’on doit avoir l’impression que cet endroit vous appartient. Et nous avons donc pensé qu’il fallait donner l’impression que c’était comme une prière exaucée. Et cette idée tirée des écrits bahá’ís nous a vraiment frappés, à savoir que si une prière est exaucée, votre être même devient une lumière incarnée. C’est donc devenu le thème de l’impression que devrait donner ce temple, car la lumière est universelle, et elle donne à chacun le sentiment d’un lieu quelque peu sacré.

Et donc le matériau principal de tout l’intérieur est cette lumière douce, éthérée, en mouvement, qui nous relie essentiellement. Et puis vous dites, « Eh bien, c’est important. » Oui, vous pouvez prier dans votre coin comme vous voulez, mais c’est important. Les rassemblements sont vieux que le monde, et dans un espace vous vous sentez comme si nous étions tous vraiment pas mieux, pas… Nous ne devrions pas nous vanter au détriment des autres ; nous faisons tous partie d’une même humanité. Et je pense que c’est vraiment le sentiment que nous voulions créer ; c’était comme si c’était l’espace de tout le monde. Tout le monde y était le bienvenu. Que c’était vraiment… Il devait appartenir à toute l’Amérique du Sud. En fait, au monde entier, mais c’était le premier temple bahá’í de toute l’Amérique du Sud, il devait donc avoir une présence significative et durable. Un mandat de 400 ans. Nous pouvons donc parler de cela aussi, comme d’un grand geste.

C’est donc ce que nous recherchions, cette sensation de lumière douce, cette sensation d’envol, cette sensation de vie incarnée.

LAURA : J’aime comment vous dites cela, que si une prière est exaucée, vous devenez une lumière incarnée. Et en tant que Sud-Américaine et Colombienne qui a eu la chance d’être dans ce temple, je peux attester avoir vraiment senti que c’était un temple pour toute l’Amérique du Sud. Et certainement, quand je suis entrée dans le temple, je me suis sentie enchantée par la lumière, et embrassée par elle. Et cela vous élève, n’est-ce pas ? Et ça vous aide à atteindre un autre état de prière et d’esprit supérieur.

BRIGITTE : Je pense que l’une des choses intéressantes que Siamak a soulevées est que, pour votre groupe de clients, ils voulaient un bâtiment qui durerait 400 ans. Je pense que pour moi, c’est une position étonnante à prendre parce qu’en fait – vous savez, nous sommes à un moment du changement climatique, il y a tellement de discussions sur la durabilité – et d’avoir en quelque sorte dans votre mémoire que le bâtiment devrait durer 400 ans, pour moi, cela parle des valeurs bahá’íes, que cela incarne en fait une position entière sur les ressources qui vont dans la fabrication de ce bâtiment, qui doivent être durable, et il doit vraiment se connecter à de multiples générations de personnes que Siamak, moi-même, Laura, Hossein, ne rencontrerons jamais.

Je trouve que c’est une position très forte que d’adopter cette notion de temps dans les instructions données à l’architecte, et je pense que c’est une position très éclairée, parce que pour ces ressources, ce n’est pas une génération, mais plusieurs générations qui bénéficieront de l’effort, de l’énergie. Tout le soin que Siamak et toute son équipe ont mis dans ce bâtiment n’est pas seulement pour nous, c’est pour cet héritage beaucoup plus long que je trouve si important. J’ai donc l’impression que le temps est aussi un matériau dont nous discutons, et j’ai l’impression que cela va au cœur de ce qu’est cette communauté dans sa capacité à l’énoncer dès le départ.

Il ne s’agit pas, vous savez, de « Oh, nous avons construit le bâtiment et il devrait durer 400 ans ». C’est en fait une partie de la charge de l’architecte au tout début du processus. Donc je sens que c’est tellement, puissant comme une sorte de position. 

SIAMAK : Et nous le prenons pour acquis, mais pour faire 400 ans – et Hossein peut en parler parce que les bâtiments qu’il construit à Haïfa sont tous mandatés de cette façon – cela signifie que tout ce qui est souterrain doit être phénoménalement réfléchi.

Donc ça change tout. Et je suis content que vous ayez compris ça parce que c’était vraiment… C’était un gros problème.

BRIGITTE : Mais cela vient du client, pas de l’architecte. Et le client… Et il exprime, en fait, plus que juste, « Je veux un bâtiment sans entretien. » Il exprime en fait ses valeurs si clairement. Et je pense juste que c’est quelque chose qui… Vous savez, en tant qu’architectes, nous ne concevons pas des bâtiments par nous-mêmes. Nous avons en fait besoin de clients. Il y a un échange et un dialogue. Et j’ai l’impression que c’est un peu le reflet d’un client très éclairé qui pense réellement dans ce cadre temporel.

SIAMAK : De même, en ce qui concerne l’aspiration, je pense que nous ne devrions pas entrer dans ce jeu. Nous devrions simplement essayer de prendre l’aspiration et de lui donner une forme. Et je pense que c’est une distinction similaire. Et c’est pourquoi j’aime le fait que vous ayez commencé avec ce mot, parce que c’est le cas. Vous prenez une aspiration comme, « OK, concevoir un espace où c’est un espace universel pour tout le monde. » Cela ne vient pas de nous. Cela vient de quelque chose de beaucoup plus grand que nous.

HOSSEIN : Oui. Exactement.

LAURA : C’est une transition parfaite pour ma prochaine question pour Hossein. Vous savez, nous sommes à Toronto, puis nous sommes allés au Chili, maintenant, nous allons aller en Israël pour quelques moments. Hossein, il y a trois ans, on a annoncé que vous seriez l’architecte du mausolée de ‘Abdu’l-Bahá en Israël. Et je sais que ce projet a connu un récent revers en raison d’un incendie sur le chantier, donc votre esprit doit être occupé par les défis que cela représente. Cependant, je me demande si vous pourriez nous parler de la façon dont ce bâtiment est conçu pour refléter les qualités célestes de ‘Abdu’l-Bahá, qui est un personnage historique unique, réputé pour son altruisme, son empathie, sa tolérance et ses hautes aspirations pour l’humanité dans son ensemble.

HOSSEIN : Oui, les conséquences du feu sont en train d’être résolues. Aucun problème. Ils continuent le projet. Mais les idées… Je voulais dire qu’habituellement je me réfère profondément à mon cœur quand je pense à une conception. ‘Abdu’l-Bahá est dans mon cœur depuis mon enfance, une figure que j’ai toujours aimée et chérie. Il était donc très difficile de penser à un endroit pour lui. Mais en ce qui concerne ses qualités, la plus importante de toutes est l’humilité, et son amour de la beauté et des jardins, et bien d’autres choses encore. Mais ces deux facteurs majeurs, comme je m’en souviens maintenant, ont été les principaux moteurs de la conception. 

J’ai donc pensé à un jardin et à sa sépulture sous ce jardin. Et à cause de son humilité, dans beaucoup de ses prières, il dit : « Rends-moi semblable à la poussière, sur laquelle mes amis pourront marcher. » J’ai donc pensé que ce jardin devrait être conçu de manière à ce que l’on puisse marcher sur ses restes.

Cette pièce est donc sous un jardin. Et peut-être que nous ne marchons pas sur ce jardin tous les jours, mais c’est le concept qui présente son humilité. Et parce qu’il est d’origine iranienne, et bien que depuis son enfance, à l’âge de 8 ans, lui et sa famille ont été exilés d’Iran, il a toujours exprimé son amour pour la culture persane, et il exprime le fait qu’il n’oublie jamais qu’il est persan. C’est pourquoi ce jardin est régi par un motif qui provient d’une forme et d’un motif très traditionnels qui caractérisent la plupart des mosquées iraniennes, ce qu’ils appellent le « kar-bandi ». Ce motif régit le jardin et crée un treillis autour de son lieu de repos, une zone de méditation avant d’entrer dans la pièce où se trouve sa dépouille.

Dans l’ensemble, le jardin a été conçu comme un jardin de méditation. Les chemins que vous empruntez jusqu’à ce que vous atteigniez la salle, tout cela, dans mon esprit, a été conçu pour être une promenade de méditation. Parce que les gens qui viennent visiter, ils viennent de coins très différents du monde. Ils ont parfois à faire quelques trajets en bus et en avion pour arriver à Haïfa, puis à Akká. Ainsi, tout ce voyage qu’ils ont fait, uniquement pour visiter le mausolée, la partie la plus importante est lorsqu’ils arrivent dans ce jardin et qu’ils marchent vers le mausolée.

Voilà donc les principaux facteurs qui ont déterminé la conception du mausolée de ‘Abdu’l-Bahá.

LAURA : Je pense que vous venez de nous emmener dans un voyage, un voyage presque méditatif. Je sais que ce site est encore en construction et que beaucoup de gens le visiteront à l’avenir, mais je vous remercie d’avoir fait ce voyage. C’était très apaisant, et je pense que cela a évoqué l’esprit dont vous avez parlé et qui vous a inspiré de la même manière que ‘Abdu’l-Bahá vous a inspiré depuis votre enfance. C’est vraiment, vraiment beau.

Je dois donc maintenant nous faire passer des rives paisibles et tranquilles d’Akká et de Haïfa en Israël à la banlieue animée où nous trouvons ces temples au milieu de ces villes. Nous savons que vous avez conçu des lieux de culte et de contemplation. Ainsi, le temple taoïste de Markham – je m’excuse si je ne le prononce pas correctement – le temple taoïste Wong Dai Sin se trouve à Markham, et c’est un bâtiment moderne étonnant, qui abrite des praticiens de la spiritualité ancienne, et qui est situé sur une grande artère. Comment avez-vous abordé la tâche de créer cette oasis de spiritualité au milieu d’une banlieue animée ?

BRIGITTE : Je pense que c’est une excellente question. C’est un site véritablement suburbain, avec des stations-service et des centres commerciaux à proximité, et c’était le site d’une maison individuelle qui se trouvait sur le côté nord de cette rue très fréquentée. Une partie du projet consiste en une série de doubles porte-à-faux qui créent à la fois un espace de stationnement et une sorte d’entrée couverte. Je dirais que l’une des choses qui relient tous les espaces sacrés réalisés par Siamak et Hossein est ce besoin d’un seuil entre notre vie quotidienne et un espace sacré, c’est une dimension essentielle. 

Je pense que Hossein a fait un excellent travail en nous emmenant dans ce voyage, mais il s’agissait en fait de la transition pour arriver à l’espace, et cette sorte de zone intermédiaire devient vraiment critique. Et parce que vous demandez vraiment aux gens de quitter leur vie quotidienne chargée pour se préparer à entrer dans un espace différent, et de recentrer leurs pensées pour réfléchir à d’autres choses que, vous savez, le travail, le jeu et d’autres choses qui font partie de la vie du 21e siècle.

Ces zones de transition, quelle que soit la confession, sont donc essentielles pour se préparer à un autre type de concentration. Qu’il s’agisse de monter des escaliers ou de marcher dans un jardin de méditation, ces zones intermédiaires occupent une place très importante pour vous préparer à penser à différentes choses pendant que vous êtes dans l’espace sacré. Et j’ai l’impression que les architectes utilisent différents outils pour y parvenir, mais le point commun, je pense, qui va au-delà de la religion ou du programme avec lequel vous travaillez, c’est l’importance de ces zones intermédiaires entre nos vies ordinaires, cette zone de transition, et puis l’espace sacré lui-même. Et j’ai l’impression que c’est quelque chose qui me semble vraiment essentiel. 

Ce n’est pas comme si vous en quittiez un, et qu’ensuite, « Boom ! » Vous vous trouvez dans l’autre. Mais ce genre de préparation d’une certaine manière est vraiment la clé.

HOSSEIN : Je pense que ce que vous dites, même Siamak, vous devez expliquer votre bâtiment. Et je n’ai malheureusement pas pu visiter le temple du Chili, mais c’est mon premier projet après la pandémie d’y aller. Mais je vois sur les photos que vous avez tout un parcours pour arriver au temple ; et c’est un parcours méditatif que vous avez créé. Et c’est très bien fait. J’aime aussi vos idées de paysagement, pas seulement pour le temple lui-même, mais aussi pour le paysagement.

SIAMAK : Je pense que c’est intéressant, ce que dit Brigitte et ce que vous dites Hossein. Parce que je me souviens qu’une des personnes qui étaient mes clients au sein de l’organe directeur de la communauté bahá’íe me disait. La foi bahá’íe, dans toutes ses structures sacrées, a cette idée de seuil. C’est vraiment intéressant parce que ce n’est pas comme si vous descendiez du trottoir et entriez par la porte. Et donc les jardins et toute la question de quitter une condition, comme vous l’avez dit Brigitte, pour entrer dans une autre est quelque chose qui est vraiment une grande partie de tout ce à quoi les architectes bahá’ís ou autres penseraient.

Et vraiment, c’est resté en moi. Brigitte, vous devez visiter Haïfa. Haïfa est… Moshe Safdie, vous savez, a grandi juste à côté des jardins de Haïfa, et il m’a dit que c’était une grande partie de son expérience aussi. On prend soudain conscience de l’importance des jardins, de l’ensemble du design, de la connexion. Et votre travail, Brigitte, en est un bel exemple ; cet extérieur, cet intérieur, toute la relation entre le jardin et l’espace.

Désolé, je ne voulais pas m’éterniser.

LAURA : Non. En fait, cela m’amène à ma prochaine question pour vous Siamak, parce que l’une des choses étonnantes à propos du temple bahá’í au Chili est le nombre de visiteurs qu’il reçoit, n’est-ce pas ? Je pense qu’il y en a maintenant des millions. Et donc, comment pensez-vous qu’un bâtiment comme celui-ci attire les gens et les rassemble ?

SIAMAK : Eh bien, vous savez, c’est vraiment intéressant. L’histoire de ce projet vaut la peine d’être étudiée parce qu’à un moment donné, le président du pays et le numéro deux pensaient vraiment que cela représentait les valeurs du pays, qui étaient l’ouverture, l’inclusion, et que c’était là que le monde devait aller.

Et c’est ainsi que nous avons commencé un voyage de neuf ans pour trouver le site, ce qui est une chose intéressante aussi. Brigitte, quand vous parlez d’un client, un client qui vous donne neuf ans pour trouver le bon site, vous savez ?

BRIGITTE : Quelle patience !

SIAMAK : Et vous permet de commencer à fabriquer lentement des matériaux très coûteux. Cela montre le degré de confiance manifesté par le client était, ce qui est étonnant pour moi. Nous n’avons pas de site, nous avons un projet qui pourrait plus ou moins s’intégrer, mais nous ne savons même pas comment il pourrait s’intégrer. Mais allez-y, fabriquez le verre, ce qui va prendre des années. 

Enfin… Écoutez, là où je veux en venir, c’est que dans cette région, la base des montagnes appartenait au peuple. C’est ce qu’on appelle la cordillère. Et ça – vous savez cela Laura – parce que c’est une grande chose symbolique. La base des montagnes appartenait au peuple. Et puis les riches sont venus et ont pris la base des montagnes et ont construit toutes leurs maisons de luxe ; les généraux et les acteurs, et tout.

Et donc les gens ont tous ces quartiers très chers, comme Hollywood, au pied des montagnes qui ont les meilleures vues. Et les gens de Santiago ne pouvaient plus y aller. Donc ce projet a ouvert la cordillère aux gens. Et donc je pense qu’une partie de la réponse à ce que vous dites Laura est que cela représente quelque chose de très proche de la justice sociale, c’est-à-dire que cela a redonné les Andes à la population. Et ils pouvaient venir avec leurs enfants. Ils viennent régulièrement. Ils viennent et y trouvent quelque chose à quoi ils s’identifient vraiment. 

LAURA : Hossein, je sens que vous vouliez dire quelque chose.

HOSSEIN : Eh bien, la question de la beauté est quelque chose qui fait vraiment partie de l’ensemble. Et il est très difficile de dire ce qu’est la beauté, mais la proportion et la gestion de la lumière, et les intérieurs, et tout ce que vous mettez ensemble pour créer cet espace. Et dans le projet de Siamak, le temple bahá’í du Chili, il a vraiment réussi à apporter de la lumière même aux matériaux qui recouvrent le dôme. 

Je pense qu’il s’agit d’une question très intéressante, en dehors de la belle géométrie qu’il a utilisée à l’intérieur et à l’extérieur. Une sorte de mouvement que les formes ont créé. Elles sont vraiment très intéressantes.

Je pense que chaque projet doit avoir certains aspects de… sans créer une belle chose, vous ne pouvez pas entrer dans l’âme des gens, je pense.

LAURA : Il a été vraiment édifiant pour moi et très intéressant de parler de ces bâtiments et thèmes incroyables, et j’ai le sentiment qu’il y a tellement de leçons qui sont intégrées dans vos efforts, dans vos expériences. J’aimerais donc nous inviter à rêver un peu et demander à chacun d’entre vous, vous savez, vous avez eu ce riche passé et beaucoup d’expérience et de riches leçons, mais quels sont vos espoirs et votre vision du rôle que l’architecture et la beauté peuvent jouer à l’avenir ? Dans le futur, même après notre disparition ?

Alors, je ne sais pas, Brigitte, voulez-vous nous donner le coup d’envoi ?

BRIGITTE : Bien sûr. Je veux dire, je pense que c’est une conversation fascinante qui recoupe différents thèmes pour réfléchir à certaines des qualités essentielles des bâtiments qui ont un sens et une résonance.

Peut-être que, pour moi, alors que nous entrons dans un monde de changement climatique et de chaos, je pense en fait que – qu’il s’agisse d’un espace sacré, d’un espace spirituel – je pense que nous avons besoin de bâtiments qui nous redonnent, nous redonnent de différentes manières.

Siamak a donné un merveilleux exemple de l’emplacement du temple bahá’í qui redonne la base de la montagne à tous les habitants de Santiago, alors qu’ils n’étaient pas en mesure d’y avoir accès auparavant. Cette capacité à occuper une certaine place dans la topographie de la région est une manière, en dehors du programme et de toutes les expériences différentes, de rendre quelque chose qui avait été perdu auparavant. Et je pense que les bâtiments doivent trouver des moyens de redonner plus… 

En tant qu’architectes, nous utilisons donc beaucoup de ressources pour construire nos bâtiments. Ils demandent beaucoup de travail. Ils sont matériellement intensifs. Alors comment pouvons-nous redonner plus qu’un simple espace de rassemblement, mais redonner d’autres façons ? Et je pense que c’est une chose à laquelle vous voudriez que chaque bâtiment réfléchisse ; comment se comporte-t-il alors que nous entrons dans un avenir compliqué ? 

Et donc, en fait, par opposition à un preneur de ressources, j’ai l’impression que les bâtiments devraient utiliser les ressources, mais en les rendant, c’est en fait un type d’échange différent de celui des bâtiments précédents d’une autre génération. Et d’une certaine manière, je dirais que dans tous les temples bahá’ís du monde, l’idée que les jardins et le bâtiment soient complètement imbriqués et entrelacés est, pour moi, une façon très facile et très significative de rendre quelque chose. Le fait qu’il ne s’agisse pas seulement d’une forme bâtie, mais d’un jardin en dit plus long sur cette interrelation qu’un simple bâtiment ou un simple jardin. Les deux sont en fait fusionnés, et ils créent une condition différente qui est à la fois intérieure et extérieure, et encore une fois, une façon différente de conceptualiser comment nous créons la forme. Il ne s’agit pas seulement de la forme interne, mais aussi de la forme externe, et cela touche aux questions de seuil et de transition dont il a parlé il y a quelques minutes.

LAURA : Merci. J’aime cette idée de long terme, de durabilité, et de redonner. Alors Hossein, quels sont vos espoirs et votre vision du rôle que l’architecture et la beauté peuvent jouer dans le futur ? Vous avez parlé de la beauté plus tôt.

HOSSEIN : J’espère que les architectes du futur construiront pour un monde unifié, et non pour un monde où règnent le chaos et la guerre, et tout ce que nous connaissons actuellement. C’est vraiment… c’est mon aspiration la plus importante.

L’architecture en est le résultat. Mais plus vous trouvez de stabilité et d’amour dans la communauté dans le monde, plus nous avons une meilleure architecture, je pense. C’est là que nous sommes.

LAURA : Merci de le dire. Siamak, quels sont vos espoirs, vos rêves et votre vision du rôle de l’architecture à l’avenir ?

SIAMAK : Eh bien, tout d’abord… le beau mausolée d’Hossein…. Il va être magnifique. Et c’est de loin le projet le plus important actuellement pour la communauté bahá’íe. Je pense donc à vous et j’espère que vous réussirez. 

C’est une bonne question que vous posez, Laura. Je n’ai pas vraiment de grande réponse. Je pense que tout, ce que tout le monde a dit, est probablement juste. Lorsque nous avons ouvert le temple – et c’est vraiment un clin d’œil à ce qu’a dit Brigitte – j’aime l’histoire du vieil homme à genoux qui plante des figuiers, et j’ai mentionné cette histoire. Et quelqu’un vient le voir et lui dit : « Vieil homme, que fais-tu à genoux ? Tu es un vieil homme et tu ne verras jamais les figues de ces arbres. Je veux dire, tu vas être… » Il se retourne et dit : « Vous savez, je mange les figues des gens qui ont planté ces arbres il y a plusieurs générations. »

Je pense que l’architecture – comme tout le très, très grand art – mais je pense que l’architecture est en fait le plus grand défi. Et je vais être un peu audacieux. Je pense que c’est parce que ça implique un si grand nombre de choses différentes. Ça implique tellement d’argent, et ça implique tellement… C’est une question d’aspiration collective. Vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez. Vous devez vraiment rassembler une sorte de… un sens de la cohésion, et ensuite faire quelque chose qui, je l’espère, va rester. 

Je pense donc que votre question a trouvé un écho dans l’histoire du vieil homme, parce que je pense qu’une bonne architecture, on ne la connaît que dans 30 ans, dans 50 ans. Et c’est comme ça que je pense. Si maintenant tout le monde peut vous dire que vous faites quelque chose de bien, il faudra voir dans 30 ou 50 ans s’ils pensent toujours que le figuier est bon et s’il produit des figues. Et naturellement, j’aime penser à l’architecture.

Et c’est difficile à faire. C’est vraiment difficile à faire. Il y a tellement de forces qui sont toutes liées à la sensation, à l’ambition et, je ne sais pas, à la mode des « stars », des choses qui vont et viennent. Et comment rester à l’écart de tout cela et voir peut-être par soi-même ce qui sera là pendant très, très longtemps et qui, je l’espère, aura encore un sens, et qui vaudra la peine qu’on s’en occupe, ce qui est quelque chose qui m’obsède beaucoup ? Comment créer un bâtiment dont les gens ont envie de prendre soin, de le garder et de ne pas le laisser partir, ce qui arrive souvent ? Je pense donc au vieil homme quand je pense à l’architecture et à l’avenir.

LAURA : Et ces 400 ans dont nous avons parlé, n’est-ce pas ?

SIAMAK : Oui, oui. Je pense que Brigitte a raison. Je veux dire, j’ai été vraiment, vraiment, vraiment privilégié de travailler sur ce projet avec beaucoup, beaucoup, beaucoup de personnes merveilleuses. C’est comme un orchestre. Mais, plus important encore, de servir l’organe directeur de la communauté bahá’íe, qui est la Maison universelle de justice.

LAURA : Eh bien, aujourd’hui nous avons exploré ces espaces sacrés au Canada, au Chili et en Israël. Ces zones de transition, comme l’a dit Brigitte, où nous nous préparons à un nouvel état d’être pour réfléchir et méditer lorsque nous entrons dans ces bâtiments sacrés, ou ces seuils. Et nous avons également parlé de ce sentiment, comme l’a souligné Hossein, lorsque nous entrons dans ces espaces, ainsi que de l’aspiration. Et comme Siamak l’a souligné au début, comment l’utilisation d’outils puissants comme la lumière et l’espace peut vraiment nous conduire à quelque chose de plus profond, quelque chose qui touche nos âmes et qui nous fait toujours nous interroger : qu’est-ce qu’un espace sacré ? Comment pouvons-nous assembler des matériaux qui aspirent à quelque chose de plus grand ? Et comment ces espaces peuvent-ils contribuer à rassembler les gens dans un monde fracturé ? Comment pouvons-nous créer des bâtiments pour les communautés, en nous basant sur leurs valeurs et en leur rendant quelque chose ?

Je tiens donc à vous remercier tous les trois – Hossein, Brigitte et Siamak – de vous être joints à nous aujourd’hui dans cet épisode du discours public, et nous avons vraiment hâte de vous reparler. Merci beaucoup d’être avec nous. 

BRIGITTE : Merci. Ce fut un plaisir.

SIAMAK : Merci.

HOSSEIN : C’était un plaisir d’être avec Brigitte et Siamak. Merci.

SIAMAK : De même, beaucoup. Merci.