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Balado : Le discours public

Épisode 5 : La jeunesse et la transformation sociale

Nous nous entretenons avec Tanika McLeod et Ashraf Rushdy, nous parlons de ce que les jeunes font pour s’adapter aux conditions créées par cette crise sanitaire et des moyens par lesquels ils peuvent contribuer à la direction de processus de transformation sociale. Mme McLeod est une jeune entrepreneuse et M. Rushdy travaille au sein de l’Institut d’études sur la prospérité mondiale.
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Le texte a été édité par souci de concision et de clarté.

DELARAM ERFANIAN (Responsable des communications, Bureau des affaires publiques) : Je suis ravie d’explorer ces questions aujourd’hui avec Tanika McLeod et Ashraf Rushdy dans ce cinquième épisode de notre nouvelle série intitulée « Reconstruire ensemble ». Bienvenue.

ASHRAF RUSHDY : Merci.

TANIKA MCLEOD : Merci de nous recevoir.

DELARAM : Ashraf, vous avez déjà animé ce balado dans le passé, mais Tanika, c’est la première fois que vous vous joignez à nous. Je peux donc vous demander à tous les deux de vous présenter. Si je peux commencer par Tanika, s’il vous plaît.

TANIKA : Bien sûr. Je m’appelle Tanika McLeod. Je suis récemment diplômée de l’Université York. J’ai fait ma licence et ma maîtrise à York. Et depuis lors, je travaille dans l’évaluation, la conception et le développement de programmes dans le secteur des organismes à but non lucratif. J’ai également lancé une entreprise technologique il y a environ un an avec mon frère et quelques autres personnes. Et depuis, je me concentre sur le travail d’entrepreneur. J’ai depuis travaillé comme évaluatrice indépendante pour des organisations à but non lucratif et comme PDG de cette nouvelle entreprise technologique.

DELARAM : Très bien. Je vous remercie. Et Ashraf ?

ASHRAF : Oui. Je m’appelle Ashraf Rushdy. Je vis à Toronto et je travaille depuis plusieurs années au Bureau des affaires publiques de la communauté bahá’íe du Canada qui organise ce balado. En ce moment, je travaille beaucoup avec l’Institut d’études sur la prospérité mondiale, qui organise des activités éducatives et des activités de recherche dans le monde entier. Et je travaille beaucoup avec ses programmes au Canada, programmes qui accompagnent les étudiants universitaires.

DELARAM : Super. C’est vraiment très agréable de vous avoir tous les deux avec nous aujourd’hui. Tanika, vous avez travaillé dans le domaine de l’emploi des jeunes, comme vous venez de le mentionner, et vous êtes maintenant active dans l’entrepreneuriat. Comment pensez-vous que les jeunes font face à la crise actuelle ? Et quelles sont les qualités qui les aident à la traverser ?

TANIKA: Oui, c’est une excellente question. Vous savez, d’après mon expérience en tant que jeune personne travaillant avec des programmes de soutien aux jeunes — en collaboration avec mes pairs et mes collègues — je pense que la gravité de la situation varie selon les lieux sociaux. Et je constate que les individus, comme moi, qui sont jeunes racisés, subissent de plein fouet les conséquences de cette pandémie, ainsi que les troubles sociaux que nous avons observés aux États-Unis en particulier. Mais ici, au Canada et dans le monde entier, les appels à la justice raciale ont été d’une part exaltants et motivants, mais aussi un peu une cause de désabusement, par le fait que nous devons mettre notre corps en danger pour quelque chose que nous pensons être un droit universel. Et donc, nous voir si nombreux à l’extérieur peut être vraiment motivant, mais aussi, comme je l’ai dit, cela peut être juste un peu décevant.

Je pense que les qualités des jeunes qui nous aideront à surmonter ces défis sont innées chez de nombreuses jeunes générations. Toutes les générations ont fait l’expérience de ce genre de qualités, comme la résilience et l’ingéniosité. Je pense que c’est quelque chose que nous avons beaucoup vu chez les millénarials et les gens de la génération Z. Cela ne veut pas dire que la génération X ne possède pas ces qualités. Mais nous avons vu beaucoup de créativité de la part des jeunes, surtout dans la façon dont nous avons vu ces mouvements sociaux se dérouler. Je pense que l’ingéniosité, la créativité et la volonté de surmonter les défis seront ce qui aidera les jeunes à vraiment surmonter la situation actuelle, ainsi qu’à créer de nouveaux futurs et de nouvelles possibilités pour la façon dont les jeunes façonnent la communauté dans laquelle ils vivent. Et c’est donc là que, pour moi et ma famille, l’esprit d’entreprise a joué un grand rôle pour combler ce vide.

Nous avons été formés dans un domaine particulier, nous avons des expériences, vécues et professionnelles, mais nulle part pour vraiment canaliser cela. Il ne vous reste donc que vous et vos grandes idées, et le désir de les mettre en lumière. Je pense que beaucoup de jeunes se trouvent dans cet espace en ce moment. On leur a donné du temps et de l’espace pour réfléchir à la pandémie d’une manière différente. Nous avons vu que des nations entières peuvent changer leur façon de se déplacer et de faire les choses en un rien de temps. Nous devons simplement nous engager à le faire. Je pense que c’est quelque chose que les jeunes vont mettre en avant dans les prochaines années — juste une vague d’entrepreneuriat vraiment inventif d’une multitude de façons. J’espère que cela fera sortir beaucoup d’espoir de cette période vraiment tragique.

DELARAM : Vous avez évoqué des qualités très importantes dont nous avons également parlé en termes généraux lors de nos épisodes antérieurs. Et la principale raison pour laquelle nous avons lancé ce balado était pour parler de la résilience, qui est l’une des qualités que vous avez également mentionnées. Mais dans un contexte plus large, il y a tellement plus. L’éducation est l’un des domaines où les jeunes ont besoin de beaucoup de soutien, évidemment, pour y entrer et en sortir, comme vous l’avez mentionné, avec un emploi. Et il y a un ensemble de systèmes et de réseaux de soutien qui doivent être mis en place pour aider les jeunes.

Penser à cela m’inspire la prochaine question pour Ashraf. Je sais que vous travaillez depuis plusieurs années avec divers projets pour la jeunesse et l’éducation. Selon vous, de quel type de soutien les jeunes ont-ils besoin en ce moment ? Quels sont les besoins particuliers de cette population ?

ASHRAF : Oui. Tanika a déjà abordé beaucoup de ces choses qu’il est important de faire ressortir dans ce genre de conversation. Il y a très clairement des perturbations qui se produisent — et qui se sont produites pendant assez longtemps au cours des dernières décennies — au point qu’il devient très difficile pour les jeunes en général — je pense pour toute notre société, mais pour les jeunes en particulier — de déterminer une vision de l’avenir dans chaque dimension de la vie. Quel rôle vais-je pouvoir jouer dans cette société dans laquelle je vis et même quel est le chemin pour arriver à cette vision ? Je pense que ces deux choses sont actuellement remises en question.

Quand je pense aux jeunes et aux besoins et au soutien dont ils ont besoin, je crois que nous pouvons dire que les jeunes ont besoin d’une occasion de réfléchir à cette époque et à ce qui s’est réellement passé dans notre société. Ils ont besoin d’une occasion de le faire ensemble, entre eux et avec leurs communautés. Je pense que les jeunes ont besoin d’un endroit où leurs voix sont entendues et où ils peuvent participer à une conversation sur le type d’avenir qu’ils veulent voir dans leur communauté. Parce que je pense que lorsque nous nous tournons vers les jeunes, lorsque nous pensons à les soutenir, nous sommes vraiment frappés encore et encore par leurs capacités.

Donc, lorsque nous réfléchissons à ce que nous devons faire pour soutenir les jeunes, je pense que beaucoup de ces formes de soutien ressemblent à de l’habilitation, à de la canalisation, et semblent renforcer ce que les jeunes s’efforcent déjà de faire.

Je pense que ce sont là les principales choses que je voudrais aborder. Lorsque nous devenons plus précis, nous arrivons à des choses comme le chômage, ou la recherche d’un travail qui a un sens ; j’aime aussi que ce terme soit évoqué. (Quel genre de travail est-ce que je cherche en fait ?) Je pense que plus on parle aux jeunes, plus on voit qu’il n’y a pas beaucoup d’intérêt pour bien des types de travail qui sont disponibles dans la société qui les entoure. Il y a ce genre de poussée — un désir de voir un nouveau genre de vie qu’ils pourraient vivre en intégrant toutes les idées qui se répandent et circulent parmi beaucoup de jeunes.

Je pense donc que l’un des moyens de soutenir la jeunesse est aussi de contribuer à la réalisation du meilleur avenir possible. Et d’amplifier cette voix dans notre société.

DELARAM : Amplifier cette voix. J’adore ça. Sur la base des commentaires que vous avez faits, vous savez que cette crise a mis en évidence certains problèmes structurels de notre société qui empêchent la jeunesse de progresser. Alors Tanika, de quels types de changements structurels pensez-vous que nous devons parler pour permettre aux jeunes de jouer un rôle dans l’amélioration de leurs communautés ?

TANIKA: Je suppose que ma première réaction serait de savoir de combien de temps vous disposez, car je pense que la liste est longue. Je pense que les changements structurels sont en retard. Je pense que l’idée d’un changement structurel a, pour une raison quelconque, développé une sorte de connotation négative au fil des ans en dehors des cercles de justice sociale.

Je pense qu’en matière de changements structurels, nous devons vraiment changer notre façon de préparer les jeunes à la vie et de décrire ce que la vie est censée être. Il ne faut pas penser avoir à se contenter d’imaginer travailler de 9 à 5 pour pouvoir payer ses factures et d’ensuite prendre sa retraite à 65 ans. Je ne suis pas du tout d’accord avec ce genre de logique. Je pense qu’il devrait vraiment s’agir de rechercher ce qui vous rend heureux d’une manière durable, sûre et responsable ; et cela n’est pas vraiment encouragé en ce moment. Et je trouve donc qu’il y a beaucoup de jeunes de mon âge qui viennent de terminer leurs études et qui vivent une sorte de crise. Même mes amis qui ont fait des études de droit. Certains d’entre eux sont en train de terminer leurs études et se disent : « Je ne sais pas si je veux travailler dans ce cabinet ». Vous savez ? « Et je viens d’obtenir ces diplômes qui m’ont coûté très cher, et je sens que j’ai besoin de travailler dans un cabinet et que je dois pratiquer le droit. Mais honnêtement, je ne sais pas si c’est vraiment ce que je veux. »

Je pense que ce qui pourrait aider à amplifier ces voix des jeunes serait de changer fondamentalement la façon dont nous les préparons à la vie. N’est-ce pas ? Pour qu’il ne s’agisse plus de dire : « Vous devez vous préparer pour le marché du travail », mais plutôt : « Quelles qualités innées qui pourraient réellement profiter à la société dans son ensemble avez-vous ? » C’est ce sur quoi nous travaillons. Il ne s’agit pas tant de créer des travailleurs bien formés, au sens capitaliste du terme. Ce n’est pas ce que nous faisons. Je pense que de nombreuses générations ont lutté contre cette idée, et que les jeunes, avec l’esprit d’entreprise qui est un secteur si solide en ce moment, considèrent cela comme une meilleure option que celle d’un emploi de 9 à 5. Et en tant que société, nous devons écouter cela et nous organiser autour de cela, en commençant par l’éducation.

DELARAM : Merci. L’un des autres points que vous avez abordés plus tôt concernait ces mouvements sociaux qui ont émergé en rapport avec la justice et l’égalité raciales. Ashraf, je voulais en parler un peu plus. Nous avons vu des jeunes à l’avant-garde des mouvements sociaux qui ont émergé ces derniers mois. Comment pensez-vous que cette énergie et cette vitalité peuvent être canalisées vers une transformation sociale durable ? Comment voyez-vous cela ?

ASHRAF : Une chose qui me vient à l’esprit est cette idée d’espoir. Je pense que les jeunes ont besoin de sources d’espoir durables afin de canaliser continuellement leur énergie et leur vitalité vers quelque chose d’aussi vaste que le désir de voir une transformation sociale ; un changement structurel permanent dans la société dans laquelle nous vivons.

Je pense que nous pouvons voir que chaque génération défend certaines causes, et certaines de ces causes ont besoin d’être défendues de manière soutenue de génération en génération ; elles ont besoin qu’une société entière soit derrière elles avant que le mouvement puisse réellement se manifester au point que notre conscience puisse s’élever. Fondamentalement, notre conscience s’accroît et nous constatons que de plus en plus de changements sont nécessaires pour réaliser un idéal.

Comme le disait Tanika, nous pouvons voir comment, face à une crise comme celle du coronavirus, des secteurs entiers sont paralysés. C’est quelque chose qu’il était impossible d’imaginer avant cette crise. Je pense que maintenant que nous avons vu qu’ils peuvent être immobilisés, cela devrait aussi être une leçon pour la jeunesse : une prise de conscience non seulement pour la jeunesse, mais pour toute notre société, qu’avec suffisamment de volonté, avec une reconnaissance suffisante de la profondeur du problème, des conséquences d’un mal social comme le racisme sur toute la société, que cela devrait commencer à motiver ce genre d’action radicale. Mais je pense qu’en dépit d’une certaine prise de conscience — malgré toutes ces choses qui ont été promues dans les médias sociaux, toutes ces choses qui ont été diffusées dans les nouvelles — nous pouvons également dire, d’après la teneur de la conversation qui se dessine, qu’elle a été en grande partie balayée par le discours « nous et eux » dont nos médias nationaux sont saisis.

Donc, pour que cette conversation progresse réellement, je pense que les jeunes ont besoin de parler à ceux qui les entourent dans la communauté. Si l’on est continuellement au service de sa communauté et que l’on constate des changements à cet échelon — [sa communauté] est en fait comme un laboratoire — un échelon auquel il est possible d’apprendre à construire ces milieux d’unité. Je pense que ce serait le meilleur endroit [où commencer].

Si nous voulons construire une société qui reconnait l’unicité de l’humanité, nous devrons travailler pour cela probablement pour le reste de notre vie, et devrons aussi nous attendre à ce qu’il nous faille plusieurs générations pour avancer vers un objectif que nous pouvons voir maintenant, mais qui n’est pas instancié partout. Toutefois, nous pouvons voir cet idéal avec beaucoup plus de clarté que c’était le cas il y a cinquante ou cent ans.

DELARAM : Cela me fait penser au fait que nous avons toujours vu que la jeunesse pouvait faire bouger le monde lorsqu’elle se rassemblait avec cette énergie et cette vitalité. Nous avons aussi parlé de la façon dont les jeunes peuvent devenir des protagonistes du changement [mais] les jeunes ont aussi besoin de mentorat et de soutien. Alors Tanika, de quel type de mentorat les jeunes ont-ils besoin pour contribuer de manière constructive à leurs communautés ? Ashraf vient d’en parler un peu, mais… qu’en pensez-vous ? Et quel est, selon vous, le rôle des relations intergénérationnelles dans ce processus ?

TANIKA: Tout ce qu’Ashraf a dit me touche beaucoup, beaucoup parce que je pense que les jeunes — ceux qui ont une conscience critique et sont actifs — essaient de cultiver la transformation au niveau local et ne trouvent pas vraiment l’aide [dont ils ont besoin], ou savent que les médias sociaux sont l’outil le plus disponible, mais pas toujours le plus efficace. Je suis tout à fait d’accord. Ce qui doit se produire, c’est ce genre de microactivisme local, plus petit, cette poussée pour la transformation.

D’après mon expérience, avec notre nouvelle entreprise de technologie de la santé, une grande partie de la raison pour laquelle nous avons lancé ce projet était d’ordre social. Nous avons fondé cette entreprise il y a plus d’un an et nous n’aurions jamais imaginé que le coronavirus dominerait essentiellement le monde à l’heure actuelle. À l’époque, il s’agissait de reconnaître un problème, ou une lacune dans notre système de santé au Canada, et de vouloir améliorer cela pour les personnes qui, comme nous, ont peut-être vécu une expérience ou ont participé d’une manière ou d’une autre aux soins de santé à long terme et ont été déçues par cette expérience.

Depuis, cette volonté s’est réellement épanouie et a pris la forme d’une multitude de projets sociaux. Un de ces projets consiste à montrer aux jeunes qu’il existe d’autres moyens de créer et de gérer une entreprise qui ne nécessite pas qu’on dépende de l’hyper exploitation des êtres humains, des ressources naturelles, etc. Pour nous, c’est donc un domaine dans lequel nous avons essayé de susciter une sorte de transformation.

C’est un défi. Et l’expérience est certainement différente pour bien des gens, mais si je pouvais parler spécifiquement de l’entrepreneuriat et de l’industrie technologique, en particulier pour les fondateurs racialisés, on parle beaucoup en ce moment de vouloir soutenir et financer les fondateurs noirs et racialisés. Mais sur le terrain, il est vraiment difficile d’accéder à ces fonds, et de trouver des gens qui sont prêts à s’engager dans votre projet de démarrage très, très précoce, et à vous apporter un soutien significatif.

Donc ce qui me semble être un mentorat significatif, et Ashraf en a beaucoup parlé, serait une sorte d’arrangement, une sorte de partenariat dans lequel vous déterminez collectivement quels sont les objectifs que ces jeunes gens essaient d’atteindre, et ensuite vous les soutenez pour atteindre ces objectifs.

Je pense donc que l’objectif doit vraiment changer et porter moins sur le programme, ou l’activité, ou le projet dont relève le mentorat, et davantage sur les individus eux-mêmes et sur le besoin de les rencontrer là où ils se trouvent, et de les aider à définir leur propre avenir.

DELARAM : Comment pensez-vous que ce que vous avez dit est également lié à cette relation intergénérationnelle ? Supposons-nous toujours que le mentor sera peut-être une personne plus âgée et plus expérimentée ? Comment cela joue-t-il un rôle ?

TANIKA: C’est intéressant parce que jusqu’à maintenant j’ai participé à plus de mentorats entre pairs qu’à des mentorats intergénérationnels, malgré que j’aimerais avoir plus de mentorats intergénérationnels. Je pense qu’on devrait pouvoir combiner les deux. Je pense que les jeunes devraient soutenir d’autres jeunes. J’ai des collègues et des amis de l’université avec lesquels je reste en contact et qui nous soutiennent dans tout ce que nous vivons, professionnellement et autrement. Mais le mentorat intergénérationnel peut être extrêmement précieux dans la mesure où certaines expériences de vie façonnent fondamentalement la façon dont vous comprenez le monde, et parfois il faut juste un peu de temps pour y arriver.

DELARAM : Eh bien, je dois dire que je suis sûre que beaucoup de jeunes se sentiront inspirés en écoutant tout ce que vous avez dit sur les choses que vous vivez. Et je suis inspirée de savoir que vous voyez les choses de cette manière, et que vous pourriez aussi envisager le mentorat de cette autre manière — plus comme un accompagnement, comme être vraiment là pour quelqu’un et marcher main dans la main et apprendre ensemble. Pas nécessairement être seulement un professeur et un étudiant, mais apprendre ensemble et marcher ensemble.

Nous arrivons à la fin de notre conversation aujourd’hui. Je ne sais pas si vous avez d’autres réflexions à nous faire, mais je sais qu’il y a tellement plus de choses dont nous pourrions parler. Si vous désirez ajouter quelque chose, n’hésitez pas à le faire.

ASHRAF : Une chose qui m’a vraiment frappé en travaillant avec des étudiants universitaires, c’est qu’ils ont l’occasion de réfléchir à leur point de vue sur l’histoire. Et je pense que c’est l’une des choses que vous disiez être un avantage du mentorat intergénérationnel. Et, en fonction du mentor, cela peut être une sorte de relation entre deux personnes dans laquelle vous serez exposé à une certaine perspective sur le développement de la communauté, ou quelque chose comme ça. Mais cela revient à dire que notre culture fonctionne également sur un mode anhistorique. Elle a tendance à oublier le passé.

J’ai assisté à tant de conférences où chacun peut diagnostiquer les problèmes, mais il est rare qu’une vision de l’avenir soit proposée. Vous savez ? Nous considérons être simplement dans cet état et nous concevons le monde comme une série d’événements. La pandémie mondiale est un événement. Je vois dans les documents [de l’IÉPM] [qu’ils encouragent beaucoup le changement] dans la réflexion des jeunes : pour qu’ils soient capables de voir leur vie, ce qui s’est passé avant ainsi que l’avenir comme faisant partie de ces processus plus larges, de manière à voir ce qu’ils font dans le cadre d’un processus, et ce à quoi ils contribuent dans le cadre d’un processus qui s’est déroulé avant eux et qui se poursuivra après eux, et auquel ils participent maintenant ; et du côté constructif.

Et je pense donc que plus les jeunes pourront acquérir ce genre de perspective, plus cela leur ouvrira des portes et leur permettra de canaliser leur énergie, de sorte qu’ils ne regarderont pas en arrière, pensant qu’ils ont perdu leur temps. Vous savez ? Parce que c’est une autre chose que les jeunes peuvent apprendre en regardant les générations précédentes : quand nous regardons les gens qui sont en fin de vie, certains regardent en arrière avec fierté, et joie, et bonheur par rapport à leurs accomplissements, et d’autres regardent en arrière avec de sincères regrets quant aux choses qu’ils n’ont pas faites. Et je pense que cela représente le genre de maturité dont nous avons besoin, pour que les jeunes puissent, dans le moment présent, regarder leur vie du point de vue de toute une vie.

TANIKA: Oui, je suis d’accord avec Ashraf sur bien des points, surtout sur l’importance de l’histoire. Comme vous l’avez mentionné, cela demande beaucoup de se rééduquer sur notre histoire. Je pense qu’une partie de la question est de soutenir les jeunes et de les encourager à apprendre cette histoire par eux-mêmes. Et ensuite, il s’agit d’encourager nos dirigeants politiques à soutenir ces institutions pour qu’elles changent, afin qu’elles décident d’[enseigner] cela, de manière à ce que les adolescents et les jeunes gens n’aient pas besoin de se rééduquer sur notre histoire. N’est-ce pas ?

Je dirais qu’il faut reprendre un peu du temps consacré à Netflix, aux médias sociaux, pour vraiment apprendre et réapprendre ce qui nous a menés ici. Comment étaient les relations sociales il y a vingt, trente, quarante, cinquante, cent ans ? Comment se sont-elles développées ? Comment ont-elles changé ?

Il semble que dans notre société le mouvement des droits civiques souffre de ce type de blanc de mémoire. Surtout les jeunes générations. Quels étaient vraiment les principes ? Qui étaient les leaders ? Qu’ont-ils écrit ? De quoi se souciaient-ils ? Est-ce qu’on ne fait que répéter les mêmes arguments ? Est-ce qu’on innove par rapport à eux ? Qu’est-ce qui a fonctionné à l’époque et qu’est-ce qui n’a pas fonctionné à l’époque ? Nous n’avons pas besoin de continuer à faire ce genre d’erreurs, ou même si les arguments et les méthodes de cet activisme étaient bons et efficaces, et pourraient continuer à l’être aujourd’hui, nous devons aussi changer notre approche parce que, comme nous l’avons vu, il existait des limites à cette efficacité, n’est-ce pas ? Nous vivons encore des inégalités raciales et d’autres types d’inégalités.

Nous savons donc que cela avait des limites et que nous devons changer nos habitudes. Apprendre notre histoire peut vraiment nous aider à le faire.

Mais là encore, je comprends qu’il y a des limites structurelles à ce que nous pouvons et ne pouvons pas attendre des jeunes. Et donc d’une part notre prérogative est de les soutenir, mais d’autre part, et peut-être plus encore, et cela fait également partie de notre travail, nous devons porter notre attention sur ceux qui ont réellement les moyens de changer fondamentalement nos institutions.

DELARAM : Merci à vous deux pour cette belle et très intéressante conversation. Merci encore pour le temps que vous nous avez consacré aujourd’hui. C’était formidable de vous avoir avec nous, dans le cadre du Discours public.

TANIKA: Merci de nous avoir reçus.

ASHRAF : Merci.