Bahai.ca English

Balado : Le discours public

Épisode 2 : Surmonter l’opposition entre nous et eux

Nous discutons avec Cyril Cromwell et Kyle Schmalenberg de la conversation actuelle sur la race et l’identité, et examinons comment les principes de justice, d’unité et d’égalité peuvent nous aider à surmonter les oppositions entre « nous » et « eux ». M. Cromwell est le responsable de l’apprentissage et du développement chez YouthREX, et M. Schmalenberg est cinéaste indépendant.
Subscribe

Lisez la transcription

Le texte a été édité par souci de concision et de clarté.

LAURA FRIEDMANN (Attachée de presse, Bureau des affaires publiques) : Je suis ravie que Cyril Cromwell et Kyle Schmalenberg se joignent à moi pour cette édition du Discours public. C’est le deuxième épisode de notre nouvelle série intitulée « Reconstruire ensemble », au cours de laquelle nous allons regarder l’avenir au-delà de la COVID-19. Merci à Kyle et à Cyril de se joindre à nous pour cet épisode du Discours public. Je suis très heureuse de vous parler de la manière dont nous pouvons surmonter les divisions sociales qui nous séparent alors que nous cherchons à reconstruire ensemble notre société.

Je me demande si vous pourriez vous présenter brièvement. Cyril, vous pourriez peut-être nous donner le coup d’envoi ?

CYRIL CROMWELL (Responsable de l’apprentissage et du développement, YouthREX) : Bien sûr, merci beaucoup de m’avoir invité. Je m’appelle Cyril Cromwell. En ce moment, mon rôle principal dans le secteur de la jeunesse est avec YouthREX : Youth Research and Evaluation Exchange. J’y suis le responsable de l’apprentissage et du développement et je travaille pour YouthREX depuis environ cinq ans.

Avant cela, je travaillais également en première ligne avec les jeunes de la région du Grand Toronto. En dehors de mon travail de jour, je suis également photographe. Je fais de la photographie depuis plus de douze ans maintenant. J’ai un petit studio dans l’Est de la ville,où je travaille également avec des membres de la communauté et de jeunes entrepreneurs. Voilà donc quelques-unes des choses que je fais.

LAURA : Formidable. Tout cela semble vraiment passionnant. Kyle, et toi ?

KYLE SCHMALENBERG (cinéaste) : Bonjour Laura et Cyril. C’est un plaisir d’être ici.

Je travaille actuellement en tant que cinéaste indépendant. J’ai participé à divers projets qui ont trait à l’action humanitaire. Certains concernent les Nations Unies et la communauté bahá’íe, tant au niveau international que local. Dernièrement, j’ai travaillé sur un long métrage documentaire sur l’égalité des sexes dans les communautés bahá’íes du monde entier, et nous sommes très enthousiastes à l’idée de le sortir.

En plus d’être cinéaste, je termine une maîtrise en counseling et psychothérapie. Je suis sur le point de la terminer, donc je suis très heureux de ne plus être à l’école. En plus du cinéma et de l’école, je me suis beaucoup concentré ces cinq ou six dernières années sur le travail auprès des jeunes et le service communautaire dans un quartier de Toronto appelé St. James Town. Dans ce quartier, j’ai travaillé avec d’autres jeunes, j’ai animé des programmes pour les enfants et les préjeunes, ainsi que des projets de service également destinés aux jeunes.

LAURA : Kyle, comme vous le savez, nous avons tous été profondément affectés par la prise de conscience croissante du public sur le racisme systémique et par les efforts renouvelés de nombreuses personnes pour remodeler les structures sociales. Je sais que vous avez participé à des efforts communautaires, comme vous l’avez dit, pour promouvoir un dialogue sur la race et l’identité. D’où vous vient l’inspiration pour faire ce travail ? Et quels concepts et principes pensez-vous sont importants pour que nous puissions nous orienter dans ces conversations ?

KYLE : Je vais d’abord essayer de répondre à cette première question. D’où me vient l’inspiration pour faire ce travail ? Eh bien, quand j’y pense, en travaillant avec les jeunes, les préjeunes et les enfants — toute cette population de notre société — cela met vraiment en évidence les parties de la société qui font défaut. Lorsque nous regardons ce qui préoccupe les jeunes — ce qu’ils ont appris, qu’est-ce qui est important pour eux, etc. — cela nous apprend beaucoup sur ce qui est implicite dans notre société et notre culture, mais cela nous montre aussi de quelle façon les valeurs évoluent de génération en génération. Donc, pour moi, l’inspiration vient en partie du fait de servir une population qui est intrinsèquement remplie d’espoir et de potentiel.

Une autre chose qui me motive à promouvoir et à avoir un dialogue sur la race et l’identité est de voir comment les gens que je connais autour de moi réagissent à la conscience croissante du racisme systémique, et du manque général de justice qui envahit notre quotidien.

Tout cela revient donc à répondre à la deuxième question : réfléchir aux concepts et aux principes qui sont importants pour nous permettre de naviguer dans ces conversations. Pour moi, cela revient toujours à reconnaître l’unicité inhérente à l’humanité. C’est le fondement, parce que lorsque nous avons une compréhension profonde de cette phrase vraiment simple « L’unicité de l’humanité », et que nous agissons en fonction de celle-ci, nous pouvons trouver un remède à tous les maux sociaux que nous avons.

La reconnaissance de notre unité mène à toutes sortes d’égalités. Si je considère que vous et moi sommes égaux — je suis un homme, vous êtes une femme — cela nous aide à progresser en termes d’égalité des sexes. Si je reconnais mon unité avec quelqu’un d’une autre culture ou d’une autre ethnie, cela nous aide à voir ce qui est commun plutôt que ce qui est différent, et nous pouvons également progresser en termes de lutte contre les préjugés.

Cela permet également d’explorer une véritable compréhension et pratique de la justice. Et je pense que la compréhension de notre unité inhérente nous permet également de nous considérer comme des contributeurs aux sociétés que nous construisons et au monde dont nous sommes les gardiens.

Et puis, bien sûr, il y a deux autres choses sur lesquelles je dois toujours me concentrer et que je dois essayer de développer en moi, ce sont les principes de patience et de compréhension. Si quelqu’un a déjà travaillé avec des jeunes et des enfants, vous savez que la patience est absolument nécessaire. Mais pour tous ceux qui ont participé à des conversations ou à des actions visant à remodeler les structures sociétales, vous savez que ces choses ne se sont pas faites du jour au lendemain. Nos problèmes systémiques n’ont pas été créés du jour au lendemain, et il va sans dire qu’ils ne seront pas non plus démantelés ou modifiés du jour au lendemain.

Mais aussi il faut de la compréhension. Je ne pense pas que nous puissions surestimer la valeur de la compréhension, et j’utilise ce terme au sens large. Toute motivation est ancrée dans la compréhension. Si nous ne comprenons pas pourquoi nous ferions quelque chose, ou pourquoi une chose est comme elle est, alors comment pouvons-nous être poussés à faire quoi que ce soit ? Nous ne pouvons pas être motivés à faire quoi que ce soit si nous ne comprenons pas ce que ces actions accompliraient.

LAURA : Vous avez parlé de la patience qui est nécessaire dans ce travail avec les jeunes, et c’est une excellente transition pour passer à l’avis de Cyril. Je voulais vous demander : quelle est la source de votre inspiration pour travailler avec les organisations de jeunesse ? Et aussi, quelles idées pensez-vous utiles à ces organisations qui essaient d’aider les jeunes à lutter contre le racisme qui existe dans leurs communautés ?

CYRIL : Oui. Merci pour cette question. Travailler avec les jeunes était vraiment encourageant, vraiment énergisant, ou ré-énergisant, et je me sentais utile parce que vous soutenez d’autres êtres humains dans une étape très importante de développement de leur vie durant laquelle ils explorent leurs intérêts, et leurs contributions à la société, et leur engagement, et leur volonté de contribuer à la société. Mais lorsque j’ai quitté le travail de première ligne auprès de la jeunesse il y a quelques années et que j’ai commencé à travailler directement avec des travailleurs et des organisations de jeunesse, j’ai découvert que ma passion, mon inspiration, venait du soutien apporté à d’autres travailleurs auprès de la jeunesse.

En tant que travailleur des services à la jeunesse, j’ai connu bien des difficultés dans le secteur lui-même. J’ai découvert que non seulement la voix des jeunes et l’humanité des jeunes étaient parfois sous-estimées par ceux qui occupaient des postes administratifs et d’autorité, mais que c’était aussi une expérience vécue par les travailleurs des services à la jeunesse eux-mêmes. Lorsque j’ai commencé à travailler avec des organisations de jeunesse, je voulais trouver un espace pour renforcer les capacités, afin d’aider d’autres travailleurs de ce secteur à faire leur travail, et aussi afin d’être capable d’identifier certains des défis qu’ils rencontrent et d’en discuter.

Mon inspiration vient donc d’un désir de préconiser des systèmes et de les faire évoluer pour qu’ils changent et qu’ils rendent compte de l’injustice qu’ils continuent à reproduire ; même si ce n’est pas nécessairement intentionnel, car nous avons les meilleures intentions. Nous voulons aider. Mais si nous nous définissons comme l’aidant et l’autre personne comme l’aidée, c’est en quelque sorte le point central de toute cette conversation basée sur le « nous » et « eux ».

Je ne m’étendrai donc pas trop sur ce sujet, mais pour ce qui est d’examiner les stratégies des organisations — pour les programmes visant à aider ou plutôt à coopérer avec les jeunes afin de relever les défis du racisme dans leurs communautés — je dirais qu’il s’agit en fait pour les organisations de faire de la place à la table, et aussi de s’assurer d’avoir effectivement un plan d’action à mettre en œuvre pour toute action ou recommandation que font les jeunes et les membres de la communauté.

LAURA : Eh bien, je suis heureuse que nous ayons des gens comme vous, possédant cette inspiration, cette détermination et cette persévérance dans un contexte très difficile. Changeons un peu de sujet. Kyle, vous travaillez depuis plusieurs années avec les jeunes du quartier St. James Town à Toronto, et vous les aidez à contribuer à l’avancement de leur communauté. Et en réponse au récent meurtre de George Floyd, ainsi qu’à de nombreux autres actes de violence dirigés contre les noirs et les autochtones, vous avez contribué à encourager un certain nombre de conversations avec des jeunes sur la question raciale. Pouvez-vous nous faire part de certaines des idées qui se sont dégagées de ces conversations ?

KYLE : St. James Town est une communauté de plus de 10 000 personnes et ce n’est pas un très grand quartier. Il s’agit donc de grands immeubles d’habitation, de nombreuses personnes vivant ensemble dans un très petit espace, et la majorité de cette population est ce que nous appellerions de nouveaux arrivants ; de nouveaux arrivants au Canada. Il s’agit donc de familles d’immigrants. Ils sont noirs, ils sont bruns, ils sont religieux. Nous n’avons pas besoin de réfléchir trop longuement à leur expérience dans une société laïque à prédominance blanche.

Une grande partie des conversations que nous avons dans les activités de quartier tournent autour de ce concept d’un double objectif moral. D’une part, le but est de grandir spirituellement et intellectuellement en tant qu’individus, et d’autre part, il s’agit de contribuer à l’amélioration de la société. C’est une phrase simple, mais elle a de profondes implications, car nous savons qu’aucun d’entre nous n’existe en dehors de notre environnement. Aucun d’entre nous n’est séparé de son environnement, et notre environnement est tel qu’il est parce qu’il est constitué d’individus comme nous. Donc, c’est un peu comme si ces deux côtés se renforçaient l’un l’autre. Lorsque nous réfléchissons et agissons consciemment sur ces deux aspects de ce but moral — grandir spirituellement et intellectuellement pour nous-mêmes et penser à l’amélioration de la société — c’est une façon de pouvoir effectuer un changement positif et durable dans nos communautés et dans nos propres vies.

Parler de ces choses — parler des injustices comme le meurtre de George Floyd — parler de ces choses avec les jeunes est très facile ; dans le sens où cela vient facilement. Parce que les jeunes sont à un moment de leur vie où leurs yeux s’ouvrent aux forces sociales qui existent autour d’eux. Ils commencent à réfléchir de manière critique aux valeurs qu’on leur enseigne à la maison et à la façon dont ces valeurs sont contredites par la société en général.

Dans le monde entier, les jeunes sont les moteurs du changement en raison de cette énergie qui vient intrinsèquement avec le fait d’être jeune. Il y a une fraîcheur et une audace. Imaginez que vous combinez une boule d’énergie fraîche avec un sens aigu de la moralité, ou un sens aigu du bien et du mal, et un sens aigu de la justice. Je veux dire, il suffit de jeter un coup d’œil à l’histoire, c’est ainsi que chaque révolution s’est formée. Elles ne sont pas menées par des enfants, elles ne sont pas menées par des personnes âgées, elles sont menées par des jeunes qui sont éveillés aux problèmes de leur société, et qui veulent la changer.

Au début de la pandémie, tout le monde se renfermait sur lui-même, puis beaucoup de choses ont fait leur apparition dans les médias, beaucoup de choses comme la mort de George Floyd, etc. Et il semblait que les dominos tombaient tous. Alors, un ami et moi avons décidé que ce serait une bonne idée de réunir un groupe de personnes qui sont également préoccupées par ces choses, et qui ont peut-être même des réflexions et des questions, pour les rassembler dans une sorte de consultation de groupe et voir ce que nous pourrions tous apprendre les uns des autres.

Il m’est apparu clairement que beaucoup de gens ne savent tout d’abord pas comment absorber ce qu’ils voient et ce que nous vivons. Ils ont des questions, mais ils sont paralysés parce qu’ils ne savent pas comment les poser.

Les préjugés sont enracinés dans l’ignorance, et, je crois, dans la peur. Quand vous êtes ignorant sur quelque chose, et que vous avez peur de ce que cela signifie de vous pencher sur cette question, d’essayer de mieux la comprendre, vous vous retranchez de plus en plus dans vos propres croyances problématiques.

LAURA : Qu’avez-vous appris de cette expérience ?

KYLE : C’est normal de ne pas avoir de réponses. Parce que si vous avez une question, et que vous êtes capable de la poser et que vous n’avez pas de réponse, alors la seule autre chose à faire est d’écouter. Et l’écoute est inestimable durant la présente période. Si vous voulez apprendre quelque chose, vous devez vraiment, vraiment écouter.

LAURA : Je trouve très inspirant d’entendre ces expériences que vous avez vécues au niveau des jeunes de la communauté. Je sais que Cyril a aussi beaucoup d’expérience en cette matière, ainsi que dans des contextes plus institutionnels. Cyril, j’ai donc réfléchi à la guérison intergénérationnelle et au pouvoir qui s’y cache. Que vous disent les animateurs de services à la jeunesse et les travailleurs sociaux sur la façon dont nous pouvons collectivement surmonter les défis en matière de race, d’inégalité et de violence ? Parce que c’est clairement un problème qui ne peut être résolu par un seul groupe de la société, n’est-ce pas ? Il nous concerne tous. Alors, qu’apprenez-vous sur le rôle des jeunes dans ce processus ? Et comment pensez-vous que les mentors et les personnes plus âgées peuvent soutenir ces efforts des jeunes en faveur de l’unité raciale ?

CYRIL : Si nous regardons l’histoire des luttes qui ont été couronnées de succès, à mon avis, elles ont toujours été intergénérationnelles. Nous avons de nombreuses couches [sociales], et si nous luttons les uns contre les autres, ce n’est pas très productif. Je dirai que dans chaque société et chaque culture, nous avons des individus qui sont plus égoïstes que centrés sur la communauté, et lorsque nous sommes déçus par des dirigeants qui occupent des postes de pouvoir, et aussi par l’ancienneté — non seulement en termes de rang, mais aussi d’âge — nous regardons la génération plus âgée et nous nous disons : « Oh, vous êtes vendus ! Vous n’avez rien fait. Vous jouez juste le jeu parce que vous voulez vous assurer que votre hypothèque est payée et que vous aurez ces belles croisières — vous savez ? — (quand les bateaux reprendront leurs activités), plutôt que de vous battre pour votre communauté tous les jours ».

Donc, nous voyons souvent que ceux qui sont en première ligne sont peut-être un peu plus proches des conséquences de l’injustice — en termes de brutalité policière et d’expériences directes — parce que vous êtes dans la rue peut-être plus, parce que vous êtes plus actifs, et vous allez à différents endroits, et dans votre cercle social et vos réunions sociales, vous rencontrez cela plus rapidement.

Si nous nous penchons spécifiquement sur le contexte de la communauté noire et que nous réfléchissons à l’importance de l’harmonie intergénérationnelle pour une communauté noire et autochtone. Non seulement avec les générations qui sont présentes avec vous dans la vie, mais aussi avec les générations qui vous ont précédé. Vous pouvez considérer un programme pour les jeunes, par exemple, comme des programmes de « rites de passage » qui encouragent vraiment un espace et un lieu où les jeunes peuvent faire un parcours qui ne consiste pas seulement à établir un lien avec l’héritage et la dynastie, mais aussi à tracer une nouvelle voie pour l’avenir. Je pense donc que l’examen de certains de ces modèles peut vraiment nous aider dans notre recherche de solutions pour amener les contributeurs intergénérationnels à travailler ensemble en harmonie.

LAURA : Merci. Ce que vous avez dit m’amène en quelque sorte à la question suivante pour Kyle sur le pouvoir des histoires. Je sais, Kyle, que vous êtes aussi cinéaste et conteur d’histoires. Il est évident que les histoires que nous racontons sur nous-mêmes sont incroyablement importantes. Et parfois, les histoires que nous racontons laissent de côté une grande partie de la population et sont, dans un sens, biaisées. Alors, de quels types de nouvelles histoires avons-nous besoin en ce moment ?

KYLE : Ce n’est pas une exagération de dire que les histoires changent la vie des gens, parce qu’elles le font littéralement, chaque jour. C’est pourquoi, par exemple, les nouvelles sont si puissantes. C’est pourquoi les médias sociaux sont aujourd’hui si puissants. Mais dans une société injuste, les histoires que l’on nous raconte en tant que citoyens ont tendance à déformer la vérité ou à montrer une image partielle. Elles perpétuent ces mensonges qui, en fin de compte, renforcent les éléments mêmes qui soutiennent une société injuste.

De telles histoires peuvent littéralement faire en sorte que quelqu’un se déteste soi-même ou déteste son propre peuple, parce que les histoires ont un tel pouvoir. Mais en même temps, ce pouvoir, le pouvoir des histoires n’est pas intrinsèquement négatif. Il est négatif si nous l’utilisons négativement. Pour le dire simplement, comme tout pouvoir, il peut être exercé pour le bien ou pour le mal.

Récemment, en discutant avec mon grand-père, j’ai découvert que nous avions été esclaves. Et avant les Bermudes, nous avions été esclaves dans une autre île des Antilles. Et avant cela, nous venions d’un pays d’Afrique de l’Ouest. C’est malheureusement aussi précis qu’il a pu l’être. Mais le fait de connaître cette histoire est le début. C’est le début d’une histoire de famille très courante chez les Noirs d’Amérique du Nord. À moins qu’ils n’aient immigré ici à un moment donné, ce qui arrive évidemment, les Noirs sont sur ce continent à cause de l’esclavage.

Mais cette histoire est un peu différente parce que mon grand-père est devenu le premier directeur des affaires culturelles des Bermudes dans leur gouvernement, et il est en fait la personne qui a écrit la législation sur les droits de l’homme pour le pays, leur charte des droits de l’homme. En réfléchissant à cette histoire : ma famille est passée de personnes vivant en Afrique — vivant leur propre vie en Afrique — à être kidnappée et amenée dans un autre pays en tant qu’esclaves, pour finalement être libérée de l’esclavage, mais devant vivre dans une société ségréguée, et ensuite [un de ses membres a été) non seulement employé du gouvernement au sein de cette société, mais la personne qui rédige la loi sur les droits de l’homme pour tous les citoyens de ce pays.

C’est une histoire qui est extrêmement percutante. Parce qu’il y a de nombreuses leçons que vous pourriez tirer de cette histoire, et la plus évidente est la façon dont quelqu’un, grâce à l’éducation et à la résilience, peut atteindre une position d’influence assez important, et être une force de changement positif au sein d’une communauté entière, et d’un pays entier.

Je pense que les histoires dont nous avons besoin en ce moment sont celles qui, au lieu de renforcer les aspects négatifs et injustes de notre société, ou les choses qui tentent de nous rabaisser en nous faisant croire que nous ne sommes pas meilleurs que les animaux, ou que nous ne pouvons pas réellement surmonter les préjugés, ou que la violence est inhérente à notre nature humaine — toutes ces choses, on nous lance beaucoup de messages différents — je pense que nous avons besoin d’histoires qui renforcent la noblesse inhérente des êtres humains. Je pense que nous avons besoin d’histoires qui renforcent la noblesse inhérente des êtres humains. Nous avons besoin d’histoires qui promeuvent une vision de l’unité de notre humanité. Nous devons nous montrer les uns aux autres des choses qui nous aident à être plus compatissants envers ce genre de personnes, ce genre de situations, quelles qu’elles soient.

LAURA : Merci. Vous avez beaucoup parlé de l’unité, et vous nous ramenez toujours à l’unité. Cyril, nous avons intitulé cet épisode « Surmonter l’opposition “nous” vs “eux” ». Je sais que vous en avez parlé un peu plus tôt, mais que signifie pour vous le fait de surmonter cette opposition entre « nous » et « eux » ?

CYRIL : Comme ce que Kyle disait tout à l’heure, je pense que comme dans la première question, Kyle parlait de l’unicité de l’humanité. Je pense à la religion en termes de… lignes directrices, conseils, idées sur la façon dont vous pouvez devenir la version complète de vous-même. Et pas seulement « vous », mais ce « vous » est aussi un « nous ». C’est aussi un lien universel avec « vous » en termes de votre personne, et de la Source, du Créateur, de tout le reste. Et c’est pourquoi nous avons la règle d’or. C’est pourquoi, dans les croyances judéo-chrétiennes, que je connais mieux, le plus grand commandement concerne l’amour de Dieu, le Créateur, mais aussi de votre prochain. Et pas seulement cela, mais aussi le sens de l’amour de soi — car comment peut-on aimer quelqu’un d’autre si on ne s’aime pas soi-même ? Alors, traitez votre prochain comme vous vous traiteriez vous-même.

Je dirais qu’au lieu de chercher ces structures et ces institutions qui organisent la société humaine et qui ont tant de bagages et de contexte, regardons vers l’intérieur. Comment conciliez-vous votre relation avec vous-même ? Comment réconciliez-vous votre relation dans la réalité d’être connecté à d’autres ? Font-ils partie de vous ? Faites-vous partie d’eux ? Par exemple, qu’est-ce qui compose votre corps ? Qu’est-ce qui constitue vos éléments physiques qui existent dans l’environnement et autour de la terre ?

Y a-t-il une plus grande connectivité que nous pourrions comprendre qui nous donnerait un point de départ et nous centrerait, afin que nous ne nous référions pas seulement au cadre de référence social dans lequel nous avons été formés ? « Oh, il est noir. Il est blanc. Elle est une femme. » Par exemple, nous comprenons la catégorisation sociale qui se produit, et les fonctions que les catégories peuvent remplir, et leurs limites, mais y a-t-il une base de référence qui nous permet de commencer à nous voir dans une autre personne, et même de remettre en question notre propre identité.

Je dirais qu’en avançant dans le débat sur « nous » versus « eux » et en essayant de surmonter cela, nous avons besoin d’empathie. Une empathie qui n’exploite pas, et qui ne cherche pas seulement à voir ce que vous voulez voir chez une autre personne, ou de la part d’une autre personne, mais qui se regarde de manière critique et, comme le disait Kyle, qui écoute les autres afin que nous puissions construire ensemble une version plus complète de notre expérience humaine. Être conscient que la concurrence politique et sociale dans laquelle nous sommes n’est pas nécessairement propice à une société harmonieuse.

Il faut donc prendre du recul et remettre en question nos suppositions sur l’identité de « l’autre », et ce avec un sentiment d’urgence. Autant que nous nous aimons nous-mêmes… Et nous voulons tous être compris. Et nous savons tous, la plupart d’entre nous peut-être, ce que c’est que d’être mal compris. Et autant nous aimerions que les gens voient notre vraie valeur et notre vraie contribution, ouvrons aussi les yeux pour que nous puissions commencer à voir la valeur et la contribution d’une autre âme. Vous savez… Et je pense que cela se transforme alors en une connexion spirituelle.

LAURA : Merci. Cela me fait penser à cette citation dont j’ai entendu parler : « on écoute l’autre pour voir qu’il n’y a pas d’ ’autre” ». L’écoute est incroyablement puissante, parfois plus que la parole.

Je me demandais donc si vous aviez une dernière réflexion ? D’autres réponses à ce que les autres ont dit ? Avez-vous quelque chose à ajouter ?

KYLE : Ce n’est pas tant une réponse. C’est juste quelque chose que ce que Cyril vient de dire m’a rappelé. Et je pense que je vais le mentionner ici parce qu’il est toujours bon pour moi, et peut-être pour d’autres, de me rappeler que ce qui est légal n’est pas nécessairement ce qui est moral. L’apartheid était légal. Les pensionnats étaient légaux. Mais à quel point ces choses sont-elles éloignées de la morale et de l’éthique ? Et c’est aussi lié à ce dont parlait Cyril en termes de spiritualité et à ces vérités et principes sous-jacents sur lesquels nous devrions nous concentrer et que nous devrions essayer de respecter. Tout cela est lié à ce que je disais plus tôt sur le double objectif moral : développer sa propre capacité intellectuelle et spirituelle et penser à l’amélioration de la société. Comme, vous ne pouvez pas faire l’un sans l’autre, et je ne fais que renforcer ce que Cyril disait.

LAURA : Magnifique. Merci. Cyril, je veux vous donner une dernière chance, parce que vous avez peut-être quelque chose à ajouter.

CYRIL : Oui, je trouve parfois difficile d’être très constructif et d’agir en termes de « tu devrais faire ceci » et « tu devrais faire cela », « voici le conseil » alors qu’il s’agit d’un type de méditation si existentiel.

Je me sens donc un peu à la dérive en termes d’abstraction puisque le concept d’empathie doit être pris dans deux sens. D’une part, en termes de fonction pure. Et d’autre part, en termes de réponse à notre contexte social. Et ce que j’entends par là, c’est l’empathie en termes de se voir dans une autre personne, mais aussi l’empathie prudente et la reconnaissance du fait que vous n’êtes pas cette personne. Vous devez aussi devenir vulnérable, vous devez aussi vous ouvrir et voir votre propre connexion à la lutte qui se situe au-delà de votre position, ou de vos diplômes, ou de votre ambition, ou de votre sens de l’autosatisfaction. Et c’est une chose très difficile à remettre en question.

LAURA : Merci. C’était très profond et très beau. Et inspirant. Je tiens à vous remercier tous les deux pour cette conversation très riche et réfléchie. Merci d’avoir participé à Discours public.

KYLE : Merci.

CYRIL : Merci.