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Réflexions sur le rôle de la religion dans la société

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La communauté bahá’íe du Canada est une communauté confessionnelle vouée à la promotion de l’amélioration de la société. Travailler en collaboration avec des gens de toutes les religions ou qui n’appartiennent à aucune religion, pour explorer le rôle de la religion dans la société canadienne est un élément central de notre contribution à ce but. Notre expérience nous permet de mieux comprendre le rôle de la religion dans la société et le présent document représente un premier effort pour discuter certaines de nos observations dans le but de contribuer au discours général sur le rôle de la religion dans la vie publique du Canada.


Ces dernières années, la religion a reçu une plus grande attention dans la vie publique canadienne, et elle n’est plus écartée comme une question qui a uniquement trait au culte privé, en famille ou en communauté. Quel devrait alors être le rôle public de la religion? Aussi importante qu’elle puisse être, la religion est un sujet très controversé et on s’entend très peu sur son rôle dans la société, ou pour dire si son rôle est positif ou négatif.

Les opinions varient parmi les croyants et les non-croyants, et, chez les noncroyants, entre ceux qui rejettent la religion, mais pensent qu’elle est relativement inoffensive et ceux qui considèrent qu’elle est un obstacle au progrès, ou pire encore, qu’elle est une source de préjugés, d’ignorance et même de violence et de conflits.

Bien des croyants acceptent volontiers les bénéfices de la religion dans leur propre vie, et certains ont confiance que ces bénéfices s’étendent à la vie de la société en général. D’autres croyants préfèrent que la religion demeure une question privée entre eux-mêmes et leur groupe exclusif de coreligionnaires, en dehors d’une participation à la vie de la société, qu’ils croient irrémédiablement laïque. D’autres encore favorisent ce qu’ils appellent la spiritualité, mais pourraient se passer de l’institution de la religion. Et enfin d’autres sont résolument sectaires et insistent pour défendre leur point de vue religieux exclusif, faisant tout ce qu’ils peuvent pour promouvoir publiquement des points de vue même extrémistes.

La religion et la sphère publique

L’idée que la religion a un grand potentiel pour contribuer au bien commun n’est certainement pas une conviction universelle, et les médias populaires font preuve d’une grande ignorance quant à l’effet positif de la religion. De plus, la société a beaucoup tendance à dénoncer la religion pour toute une gamme de fautes, dont certaines qui sont illusoires, tout en amplifiant des maux véritables pour lesquels la religion n’est qu’un facteur parmi bien d’autres.

Pour que les bénéfices de la religion pour la société soient appréciés plus généralement, il semble qu’il soit manifestement nécessaire de mieux faire rapport sur les contributions que la religion fait, partout dans le monde, à l’éducation, aux soins de la santé et à d’autres structures sociales, et de les publiciser, tout comme il est nécessaire de mieux analyser comment la religion a été exploitée pour des fins politiques et égoïstes et a été blâmée pour l’arrogance et l’ambition inappropriées d’un nombre relativement restreint de personnes. Il est très facile de blâmer la religion quand les erreurs et les maux commis le sont sous le couvert de la religion ou d’une motivation religieuse.

Ainsi, pour que la religion joue un rôle plus actif dans le discours public et qu’elle participe au développement d’une sphère publique robuste et saine, la société et les croyants eux-mêmes ont beaucoup à faire. Les revendications privées et sectaires exclusives qui placent la religion en dehors de la portée d’une discussion raisonnable doivent être contestées par des questions équitables et raisonnables. En outre, il est aussi nécessaire de remettre en question le rejet trop facile du fait que la société a besoin de l’institution de la religion. On peut légitimement dire que la société et la population payent le prix du déclin de la religion en tant que source de bien social.

Il est vrai que la religion a permis que toutes sortes de causes néfastes au profit d’intérêts particuliers et d’individus, qui l’utilisent et en abusent dans une quête du pouvoir pur, se servent d’elle. Elle a souvent refusé de s’accommoder de l’efficacité de la méthode scientifique. Ceux qui veulent débarrasser la société des institutions religieuses n’ont pas à chercher des raisons très loin. Pourtant, ce point de vue contemporain sur la religion est injuste et ignore ses contributions pendant des siècles à la vie de la société, contributions qu’on peut toujours déceler dans le monde si on fait un effort pour regarder les choses équitablement et raisonnablement. Une évaluation équitable et impartiale ne peut que conclure que le bien-être, la sécurité et le bonheur des collectivités et de millions de personnes, doivent beaucoup à la religion.

La religion en général, indépendamment de ses multiples formes, communautés, confessions et pratiques, mérite sûrement une disculpation plus raisonnable et plus efficace et un effort plus vigoureux pour définir et défendre ses nombreuses vertus que ne l’admettent l’opinion populaire et les mentions habituelles dans les médias. Pour que la religion puisse être jugée équitablement comme source de bien social, elle doit être comprise pour ce qu’elle est, dans toute sa diversité, et cela exige un certain niveau de liberté de croyance et de non-croyance, dans un cadre de tolérance, de respect mutuel et de pluralisme. Dans les collectivités de plus en plus diverses du monde, c’est là la seule conception pratique d’une société mondiale et de sociétés nationales que l’on puisse imaginer comme modus vivendi.

La religion en tant que source de bien social

Plusieurs facteurs nous semblent essentiels à la définition de la religion et de ses nombreuses contributions à la vie et à la collectivité humaines. Premièrement, la religion peut enrichir notre compréhension de la nature humaine d’une manière qui va bien au-delà des conceptions étroites des êtres humains en tant que simples consommateurs, qu’unités économiques, qu’individus dépourvus d’une communauté ou que citoyens jouissant de certains droits. Ces puissantes conceptions de la nature humaine ne réussissent aucunement à tenir compte de la noblesse des êtres humains. En outre, les revendications d’identités culturelles qui tentent de récupérer un certain sentiment de dignité demeurent trop minces et trop étroites pour mener à une compréhension universelle de ce que nous sommes. Nous avons besoin d’une vision plus large de l’être humain, une vision qui surmonte les problèmes d’aliénation, d’anomie et d’apathie qui minent le potentiel humain et le privent du sens de beauté et d’amour qui semblent essentiels à toute vie authentique et satisfaisante.

Deuxièmement, la solidarité, l’unité et l’unicité de la famille humaine, qui fait face à une telle fragmentation dans le monde contemporain, sont certainement au nombre des valeurs les plus essentielles de la religion. Les religions du monde étaient après tout mondiales avant que le phénomène contemporain de la mondialisation n’ait été rendu possible par les réalisations de la science et de la technologie dans les domaines des communications et du transport. La grande solidarité des premières collectivités cosmopolites chrétiennes, juives et musulmanes, s’étendant souvent sur plusieurs continents, est une considération qui ne peut être ignorée lors d’une évaluation équitable de la religion.

Troisièmement, la justice — à la fois le concept de la justice et sa pratique — a toujours été partie intégrante de la religion et de la civilisation. Avec la naissance et le développement de plusieurs des grandes religions du monde, qui ont fait avancer l’existence humaine au-delà de ses limites antérieures, on peut observer l’avancement et la propagation du bonheur des êtres humains. Au-delà des avancées récentes que sont les dispositions constitutionnelles et l’adoption moderne de la primauté du droit (dont nous devrions tous nous réjouir), la religion peut être une source de nouvelles compréhensions et de nouvelles façons d’exercer la justice dans la vie personnelle, familiale et collective, ne se confinant pas à des définitions juridiques.

Le savoir, qui porte sur les forces de la nature et sur la façon de vivre notre existence physique, et aussi sur les relations humaines, sur l’organisation sociale, sur l’art et la musique et sur l’esprit humain, a toujours été associé à la religion. Pourtant une étrange amnésie semble avoir saisi l’esprit contemporain, séparant la religion de la science. Nous oublions que dans le passé une interaction étroite existait entre la religion et la science. La religion fournissait alors le milieu fécond des motivations et des vertus épistémiques qui ont généré la science. Ceux qui, depuis l’émergence de la science, ont parlé au nom de la religion ont trop souvent défendu la superstition et la foi aveugle au détriment de raisonnements, de convictions et de pratiques qui peuvent certainement durer et servir de complément à la science et qui sont les éléments d’un fondement solide de la foi authentique de ceux qui savent qu’on ne peut pas séparer la raison d’une conviction qu’un Dieu éternel et transcendant existe. La religion doit accepter ce qu’elle comprend sur la génération de connaissances, le moteur de la civilisation humaine, et, au bénéfice de tous, elle doit apprendre à travailler en collaboration avec l’autre pilier d’une civilisation éclairée, la science.

Enfin, quand on défend et définit la place de la religion dans le domaine public, il est nécessaire d’en arriver à une compréhension plus large du pouvoir. Nous en sommes venus à définir le pouvoir comme un moyen de coercition et un instrument de la force, servant à dominer les autres. Tout en admettant que le pouvoir joue un rôle dominant, nous devons aussi apprécier le rôle plus positif et productif qu’il peut jouer. Nous devons admettre que l’autorité est nécessaire dans l’organisation sociale, et reconnaître les pouvoirs régénérateurs qui sont libérés quand nos capacités sont développées, quand nous faisons appel au potentiel motivateur de la spiritualité et quand nous exploitons les aspirations collectives.

Au cours des dernières décennies, des personnes réfléchies ont mis de côté certaines idées, même s’il n’ont pas complètement rejeté les habitudes correspondantes, qui ont maintenu les préjugés de toutes sortes — que ce soit contre les femmes, contre diverses races, contre certaines classes et certains rangs sociaux, contre les handicapés, contre ceux qui sont différents et contre la diversité — alors qu’un préjugé général contre la religion et que des préjugés contre des religions particulières ont été préservés sur le plan des idées et des pratiques. Pourquoi? La société doit rejeter ce dernier préjugé. La religion est ici pour rester et il est temps de prendre part à une discussion équitable et réfléchie sur son rôle public.


La Communauté bahá’íe du Canada collabore avec un certain nombre de personnes à l’élaboration de contributions à la réflexion sur des questions importantes pour la société.

Ce document présente une réflexion qui aide à éclairer le travail de notre communauté pour participer aux discours publics du Canada. Il ne s’agit pas d’un exposé de position ou d’une déclaration officielle de la Communauté bahá’íe, mais plutôt d’un ensemble de réflexions qui s’appuient sur les enseignements bahá’ís et l’expérience de la communauté alors qu’elle s’efforce de les appliquer à l’amélioration de la société.

Vous pouvez adresser vos propres réflexions ou commentaires sur ce document, en écrivant à affairespubliques@bahai.ca.