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Mémoire de la Communauté bahá’íe du Canada présenté à la Commission de vérité et réconciliation, 2013

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Nous nous joignons à d’innombrables autres Canadiens pour louer l’honorable travail de la Commission de vérité et réconciliation pour mettre en lumière les expériences personnelles et les histoires jusqu’à maintenant restées sous silence de ceux dont l’existence a été altérée par l’expérience des pensionnats indiens. En soumettant le présent mémoire, la Communauté bahá’íe du Canada désire exprimer sa gratitude à la Commission pour l’avoir invitée à lui communiquer ses réflexions. Elle est animée par un désir sincère de participer à la promotion de la justice, de la réconciliation et de la guérison que devraient engendrer les efforts de la Commission, des survivants qui témoignent devant elle, et de tous ceux qui participent à son travail.

L’établissement de la Commission représente un autre pas important dans le processus de réconciliation culturelle au Canada. Son travail s’appuie sur l’important rapport de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones. Dans un mémoire soumis à cette époque, la Communauté bahá’íe avait reconnu que les souffrances endurées par les êtres humains au cours du vingtième siècle avaient gravement éprouvé les vies, les familles et les communautés des peuples autochtones du monde. Corriger les torts faits aux peuples autochtones constitue un défi considérable.

En mettant en lumière les souffrances et les injustices causées par le système de pensionnats indiens, la Commission de vérité et réconciliation aidera à rectifier les torts qui ont été faits aux peuples autochtones du Canada. Il est essentiel que nous comprenions l’histoire et les conséquences du système de pensionnats indiens pour que nous puissions guérir des profondes blessures qu’il a infligées à notre pays et à ses habitants et bâtir de nouvelles relations qui sont basées sur la justice et l’unité fondamentale de l’humanité.

Vérité, justice et réconciliation

Les conséquences graves et durables des pensionnats indiens établis au Canada méritent l’attention de tous les Canadiens. Nous sommes reconnaissants des témoignages des survivants qui ont décrit leur expérience afin que soit dévoilée la vérité sur ces efforts systématiques pour démanteler les cultures, les familles et les relations des autochtones.

Les abus commis par le système de pensionnats indiens sont un affront à la dignité humaine des victimes et à leur noblesse intrinsèque. La divulgation récente de certaines informations concernant des expériences menées sur l’alimentation de jeunes enfants dans ces pensionnats reflète les attitudes inhumaines qui ont permis à ces abus d’être perpétrés. Le système de pensionnats indiens était fondé sur des idées racistes qui ne reconnaissaient pas la pleine humanité des autochtones, et il a causé des dommages aux relations entre les individus, les familles et les communautés. Toute l’ironie de ce système repose dans le fait qu’alors qu’il prétendait «civiliser» les enfants autochtones, souvent au nom de la religion, il a plutôt encouragé l’ignorance au sujet de leur culture et de leur spiritualité. Le but de la religion, nous disent les enseignements bahá’ís, «est de sauvegarder les intérêts du genre humain et de promouvoir son unité, de stimuler l’esprit d’amour et de fraternité parmi les hommes. » Les abus perpétrés par le système de pensionnats indiens ont violé la nature et le but même de la religion.

Nous croyons que le processus menant à la mise en lumière de la vérité et à la réconciliation est intimement lié au principe de la justice. La justice est essentielle à la vérité aussi bien qu’à la réconciliation. La justice est, en premier lieu, rendue possible par le développement de la capacité de voir la vérité par ses propres yeux, et non par l’intermédiaire de l’opinion d’autrui, d’un point de vue partial ou conforme aux vérités reçues. La justice se manifeste, en deuxième lieu, dans la mesure où l’unité et la réconciliation sont reflétées dans nos relations et structures sociales. Autrement dit, nous devons nous efforcer d’admettre l’injustice pour ensuite nous assurer que la justice soit restaurée dans notre société et nos institutions. La justice exige de plus que tous développent leurs capacités de sorte que le processus entrepris pour bâtir un monde meilleur puisse bénéficier d’une participation universelle.

Alors que les survivants des pensionnats indiens qui témoignent devant la Commission nous aident à comprendre la vérité de ce qui s’est passé, nous devons aussi songer à accepter ce pan de notre histoire. Pour ce faire, la reconnaissance de la responsabilité des crimes qui ont été commis constitue une part essentielle du processus de réconciliation. Les pensionnats indiens étaient aussi une forme d’injustice politique, et bien qu’il ne soit pas possible d’obliger les responsables à personnellement rendre compte des décisions qu’ils ont prises, et dont les conséquences ont été violence et traumatismes, les institutions qu’ils représentaient doivent accepter une part de cette responsabilité historique.

La justice exige aussi qu’on offre une réparation à ceux qui ont souffert injustement. En pratique, à cause du passage du temps, cela est difficile, mais, jusqu’à un certain point, cet aspect de la réconciliation est réalisé par des moyens matériels qui symbolisent ce que la société doit à ceux qui ont été traités cruellement et de façon destructive. De telles réparations ont, par exemple, pris la forme d’un soutien à une éducation qui respecte les langues et les cultures autochtones et qui permet à ces peuples de participer pleinement à l’économie et à la vie de la société.

La reconnaissance de l’existence de blessures de longue date et la présentation d’excuses sont des aspects essentiels de la réconciliation. Cette responsabilité appartient à ceux qui ont commis l’injustice, mais lorsque les personnes directement responsables sont décédées, le gouvernement canadien et ses représentants ont pris la parole au nom de ceux qui ont commis les actes préjudiciables, qu’ils aient encouragé des actes de racisme, de haine ou d’immoralité ou plutôt négligé ou ignoré leur devoir de protéger les victimes. Bien entendu, des excuses produisent un meilleur effet lorsqu’elles sont accompagnées de mesures pour restaurer la justice au sein des communautés et des institutions.

Toutes les personnes concernées, les auteurs des actes répréhensibles, les victimes et même les nouveaux venus – tous ceux qui doivent apprendre à vivre ensemble au Canada – peuvent faire preuve de magnanimité et ainsi contribuer au processus de réconciliation. Sans pour autant oublier les injustices commises dans le passé, un sentiment de solidarité et de détermination nous aidera à faire face ensemble au présent et à l’avenir. Les victimes qui offrent leur pardon à ceux qui leur ont fait du mal contribuent à ce processus, mais personne n’a le droit d’exiger cela d’elles. Sans effacer le souvenir des injustices et des douleurs passées, le pardon peut être une manifestation de grandeur d’âme et de ténacité, qui fait ressortir davantage la noblesse et le courage de ceux qui ont souffert.

Le processus spirituel de réconciliation

En parlant de réconciliation, nous nous référons au mouvement vers la paix et l’unité, et à la transformation individuelle et collective qui est nécessaire pour réaliser cet objectif. La réconciliation implique un processus qui mène à l’établissement de degrés de plus en plus élevés d’unité et de confiance. Fondamentalement, la réconciliation est un processus spirituel qui mène à une prise de conscience de l’unité essentielle de l’humanité dans tous les aspects de la vie.

La poursuite de la réconciliation ne peut pas être basée sur des attitudes empreintes de préjugés, réalisée par des moyens législatifs, ou être motivée par la peur. Elle exige que nous entretenions des rapports les uns avec les autres dans un esprit d’amour désintéressé, dans un climat où les malentendus sont surmontés par un dialogue respectueux et patient et où les différences culturelles nous incitent à apprendre les uns des autres. Les enseignements bahá’ís nous disent: «Fermez les yeux à l’aliénation, puis fixez votre regard sur l’unité. » On nous encourage aussi de cette façon: «Ne vous contentez pas de paroles amicales, mais que votre cœur soit embrasé par une affectueuse bonté envers tous ceux qui peuvent croiser votre chemin. »

Nous reconnaissons que pour réaliser notre but d’unité et de réconciliation, nous devons guérir des divisions sociales qui nous affligent. Nous faisons tous partie de la même famille humaine. En gardant devant les yeux une vision d’unité et en appréciant la beauté de notre diversité, nous pourrons être guidés à travers le processus de guérison. Un passage des Écrits bahá’ís illustre cette idée d’unicité et d’harmonie:

[…] efforçons-nous comme des fleurs du même jardin divin de vivre ensemble en harmonie. Bien que chaque âme ait son propre parfum et ses propres couleurs, elles reflètent toutes la même lumière, contribuent toutes leur fragrance à la même brise qui souffle à travers le jardin, continuant toutes leur croissance en parfaite harmonie et en parfait accord. [traduction]

Partout sur ce continent, les autochtones ont reconnu depuis longtemps que le monde de la nature est une réflexion des attributs du Créateur. Les processus organiques de la nature et leur promesse de renouvellement pourraient nous éclairer. Les mois de l’hiver sont une période difficile. Un paysage autrefois éclatant repose dans un état de dormance et semble sans vie. Cette période est toutefois nécessaire pour que le printemps puisse apparaître et que les doux parfums de la terre soient régénérés et renouvelés. La raison d’être de l’hiver devient apparente dans la beauté du printemps. Aujourd’hui, alors que nous sommes au printemps spirituel et que l’humanité aspire à mettre en œuvre de nouvelles normes qui reflètent l’unicité de l’humanité, notre regard demeure fixé sur le potentiel des enfants et des jeunes. Durant cette période brillante de leur vie, une période d’énergie abondante et marquée par la volonté de contribuer à la société, les jeunes ont la capacité d’engendrer des changements constructifs. Malgré les nombreuses forces qui agissent pour les entraver dans la poursuite de leurs idéaux, ils sont comme des pousses fraîches et vertes, qui croîtront et se propageront, donnant vie aux espoirs sincères de leurs ancêtres qui ont supporté la saison hivernale.

Reconstruire les relations sociales

Nous comprenons que la difficile période actuelle de notre vie sur cette planète, au cours de laquelle les autochtones ont été meurtris dans une mesure disproportionnée par des forces historiques destructives, est aussi une période où des forces constructives sont à l’œuvre. Ces forces rapprochent des peuples longtemps séparés et créent ainsi de nouvelles relations. Les dynamiques des préjugés et de la domination sont remplacées par des pouvoirs comme ceux de la coopération, de la réciprocité, de l’amour et de l’harmonie authentiques entre des peuples divers. Nous devons faire notre part pour promouvoir ces forces constructives, en évitant d’être naïfs au point d’ignorer les forces destructives qui ont infligé tant de peines et de souffrances à un si grand nombre.

Le processus de réconciliation nous aidera à reconceptualiser et à transformer les relations qui forment la base de la société et à créer un environnement qui favorise le bien-être individuel et collectif. Notre relation actuelle avec la nature, qui est basée sur un appétit illimité pour ses ressources, a engendré une crise environnementale qui va en s’aggravant. Nous devons rééquilibrer notre relation avec l’environnement, la rendre viable, et la baser sur la modération et le respect de la Terre. La détérioration de la cellule familiale et du milieu familial s’est accompagnée d’une aggravation de l’exploitation des femmes et des enfants, et nous devons repenser la nature des relations au sein de la famille. La concentration de la richesse et du pouvoir dans les mains de quelques personnes, alors que la pauvreté et l’abandon sont infligés aux autres, est le reflet d’une conception erronée des relations qui persiste dans notre propre pays. Une réelle application du principe de l’unicité de l’humanité à notre vie collective nécessitera donc une transformation organique des structures de notre société.

Pour parler de reconstruction de la société, nous devons aussi considérer la question du pouvoir. Le pouvoir est souvent décrit comme un instrument de domination, qui sert à enlever le contrôle à une autre personne. Quand la politique est décrite comme un jeu, un concours ou une compétition, c’est que son but est souvent de chercher le pouvoir. Ce modèle politique s’est souvent avéré destructif et source de division. Nous devons considérer une définition plus large du pouvoir, qui inclut le pouvoir de l’unité, de l’amour, du service humble et des actions pures. Ce pouvoir de l’esprit humain peut être libéré et guidé de manière à bâtir des relations sociales qui reposent sur la coopération et la réciprocité, plutôt que de refléter des luttes perpétuelles entre intérêts opposés. Un tel point de vue sur le pouvoir peut aussi guider notre approche de la politique. On ne peut pas réaliser de nobles objectifs par des moyens méprisables. Si nous cherchons à bâtir une société qui repose sur le respect mutuel, la justice et l’unité, les moyens par lesquels nous tentons d’effectuer des changements sociaux et politiques devraient incarner ces nobles idéaux.

En matière de réconciliation, le Canada fait face au même défi que le reste de la famille humaine. Dans nos relations internationales tout comme dans nos relations intérieures, nous devons reconnaître que nous faisons partie d’un tout organique. Comment pouvons-nous forger des liens d’unité et de respect et comment pouvons-nous nous servir de notre diversité pour devenir plus forts? Comment pouvons surmonter les forces du paternalisme et des préjugés en exerçant le pouvoir de l’amour et de la justice? Quels changements devons-nous faire aux structures de gouvernance et à notre utilisation des ressources pour pouvoir corriger les injustices et les inégalités sociales du passé? Ce sont des questions que nous nous posons en tant que citoyens d’un pays qui poursuit la réconciliation. Et en avançant ensemble dans cette voie, ici au Canada, nous apprenons des leçons et découvrons des mesures concrètes qui nous guideront dans nos efforts pour guérir d’autres divisions entre les peuples du monde.

Le présent mémoire est respectueusement soumis par la Communauté bahá’íe du Canada.

Un des principes centraux des enseignements bahá’ís est celui de l’unicité fondamentale de la famille humaine, qui affirme la noblesse intrinsèque de chaque personne et exige l’élimination de toutes les divisions sociales et de tous les préjugés. Au Canada, le défi qui se pose à nous est de réaliser l’unité et la réconciliation de tous les peuples et de toutes les cultures du pays. Partout dans le monde, quelque 2100 groupes autochtones, dont les Premières Nations, les Inuit et les Métis, sont représentés dans la communauté bahá’íe. Nous croyons que la création d’une société mondiale matériellement et spirituellement prospère exige la participation et l’autonomisation de toute l’humanité.