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Faire progresser la conversation sur la réconciliation au Canada

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La réconciliation entre les Autochtones et les non-Autochtones du Canada exige la participation de la société entière. Selon le rapport final de la Commision de vérité et réconciliation (CVR), la réconciliation « consiste à établir et à maintenir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et non autochtones dans ce pays. »

Pour bâtir cette relation, il est nécessaire que chaque personne, chaque famille, chaque groupe, chaque entreprise, chaque entité culturelle et chaque niveau de gouvernement participe au processus. Cette participation doit inclure des efforts de sensibilisation à notre histoire, l’admission des torts que nous avons faits, et l’adoption de mesures concrètes pour corriger les injustices et le mal qui a été fait aux autochtones durant plusieurs générations. Il y a toute une gamme de questions qui doivent être abordées, comme la propriété de la terre et des ressources, le processus décisionnel sur ce qui sera enseigné dans les écoles et les universités, et la gestion de l’enseignement. Et nous avons tous beaucoup de chemin à faire.

Pour relever le défi de la réconciliation, il est nécessaire de changer le discours public au sujet des relations entre Autochtones et non autochtones au Canada. Comme la Commission le faisait remarquer dans son rapport: « Cependant, pour pouvoir y répondre au cours des prochaines années, il faudra absolument favoriser le dialogue public et prendre des mesures qui vont au-delà du processus de réconciliation actuellement mis en oeuvre pour les élèves des pensionnats. » Ce sont les Autochtones et les organisations autochtones qui ouvrent la voie, mais le reste de la population devra changer son langage et sa mentalité. Le but du présent document de réflexion est d’offrir modestement quelques réflexions sur l’élargissement du dialogue public afin d’appuyer les actions définies par la Commission. Les idées qui y sont exprimées s’inspirent des enseignements bahá’ís, et des efforts de notre communauté pour appliquer le principe de l’unicité de l’humanité, un concept central de ces enseignements. Nous y réfléchirons au rôle de la parole et de l’écoute, au développement d’une compréhension mutuelle entre les cultures, à l’importance de l’éducation, à l’enseignement de l’histoire, et au processus des efforts faits en vue de changements sociaux durables.

Les brefs commentaires qui suivent expriment, bien qu’incomplètement, quelques idées sur le défi de la réconciliation. Certains autres aspects sont discutés dans le document de la Communauté bahá’íe du Canada soumise à la Commission royale sur les peuples autochtones en 1994, dans le document soumis en 2013 à la Commission de vérité et réconciliation, et dans le court métrage The Path Home qui a été produit en 2015 pour marquer la conclusion officielle du travail de la Commission.

Il est nécessaire de reconnaître dès le départ qu’il est difficile d’effectuer une réconciliation véritable. On ne doit pas sous-estimer la complexité des questions ni le temps qu’il faudra investir pour obtenir des résultats tangibles. Une réconciliation véritable et durable ne peut pas être obtenue par une approche unidimensionnelle, ou en s’appuyant exclusivement sur des projets gouvernementaux. Nous participons tous à un apprentissage social et collectif au sujet de la réconciliation.

Le rôle de l’éducation

Les établissements d’enseignement doivent tous jouer un rôle dans ce processus en offrant un enseignement approprié sur l’histoire, les cultures et les modes de vie, qui favorise une compréhension fondamentale sur laquelle les conversations peuvent s’appuyer et dépasser la simple expression d’opinions. Nous devons admettre que notre histoire comporte de profondes cicatrices et développer une conscience et un langage qui nous permettent d’examiner de façon critique les injustices passées et l’oppression contemporaine, tout en adhérant à une conception de la noblesse de chaque personne. Une meilleure éducation est nécessaire si nous voulons rendre justice aux expériences, aux actions et au travail qu’exige la création de nouveaux modes de réciprocité et de coopération qu’exige la réconciliation. En cette matière, et particulièrement aux échelons provincial et local, où la législation et les politiques sont générées, les gouvernements peuvent aider à renforcer de nouveaux modes d’éducation et d’échanges, particulièrement chez les jeunes gens. Toutefois, les citoyens doivent aussi encourager l’adoption de telles politiques et appuyer leur mise en oeuvre.

Sur la base de notre expérience bahá’íe, partout au Canada, nous sommes convaincus que c’est parmi les jeunes, durant les années de l’enfance, de la période de formation de l’identité, alors que les valeurs sont acquises et que la personnalité se forme, que nous devons concentrer notre investissement social dans la réconciliation. Nous croyons que c’est durant cette période cruciale de l’adolescence (approximativement entre les âges de onze et quatorze ans), qu’on peut rallier les jeunes dans un contexte de service et d’amitié, pour découvrir les grands bénéfices que peut générer un processus de réconciliation qui transcende les limites de la culture et de l’identité. Et les gouvernements, les établissements d’enseignement, les communautés confessionnelles et les organisations autochtones ont les moyens dont ils ont besoin pour créer les conditions favorables à la participation des jeunes.

Les réformes de l’enseignement doivent aussi accorder l’attention nécessaire à la façon d’enseigner l’histoire aux jeunes. Cela implique d’une part qu’ils doivent apprendre au sujet des périodes de notre histoire durant lesquelles des relations de coopération existaient et des traités étaient conclus entre les peuples autochtones, les colons et les nouveaux venus. Nous pouvons aussi apprendre des vraies réalisations des périodes plus récentes, qui ont réussi à surmonter les attitudes sociales conventionnelles et nuisibles. Ces exemples nous aident à mieux comprendre la réalité alors que les individus, les familles et les communautés s’efforcent de prendre part à des efforts constructifs de transformation sociale.

Cependant, l’éducation doit aussi inclure ce que la Commission a appelé les « politiques de génocide culturel et d’assimilation. » Nous devons éduquer les jeunes au sujet des forces négatives de l’histoire, qui sont toujours présentes sous diverses formes — et se manifestent par l’oppression, la destruction de cultures et des atrocités — tout en leur permettant d’acquérir des connaissances encourageantes. Une telle éducation devrait favoriser le développement de leur capacité de discerner les tendances et les processus de l’histoire qui représentent des réalisations positives dans le domaine de la réconciliation, réalisations qui aident les gens à apprendre à percevoir les progrès dans le domaine de la justice, où qu’ils puissent avoir lieu, à aimer les actions collectives qui créent des ponts et qui renforcent ou lancent de nouveaux modes de coopération et de collaboration. Quand nous examinons l’histoire, nous pouvons discerner des forces intensément négatives et destructives, mais aussi des forces qui sont positives et constructives. S’il peut être nécessaire de comprendre la dimension sombre de l’histoire de l’humanité, pour avancer dans le travail de la réconciliation, il est aussi nécessaire de comprendre sa dimension positive et d’apprendre d’elle.

Les slogans simplistes et les clichés ne contribuent pas à notre compréhension, pas plus que les modes de pensée binaires qui s’expriment par des dichotomies rigides ayant pour effet de diviser et de fragmenter notre réflexion. Il convient plutôt de tenter de créer des conditions propices à une appréciation patiente et profonde des nombreux principes et des mesures concrètes que nous devons marier si nous voulons atteindre une guérison durable, obtenir des connaissances collectives cumulatives, et une reconnaissance impartiale des vérités contenues dans notre histoire.

Faire avancer la conversation

L’idée qu’il est nécessaire d’apprendre est essentielle à la manière de poursuivre notre action, alors que nous rencontrons d’autres personnes, que nous avons avec elles des conversations, et que nous développons des partenariats et des amitiés qui surmontent les barrières érigées par l’injustice, les préjugés et la souffrance. Nous apprendrons autant des erreurs que nous ferons en agissant courageusement que de nos réussites. Nous devons encourager le développement de la capacité d’agir ensemble résolument. Nous ne pouvons pas tenir de telles capacités pour acquises ou penser qu’elles s’amélioreront sans avoir à leur accorder notre attention. Il est inévitable que nos premiers efforts soient caractérisés par des malentendus et des désagréments, mais, en s’engageant à apprendre et à tenter de se comprendre mutuellement, ceux qui prennent part à ces efforts pourront passer outre les faiblesses des autres et devenir conscients de leurs propres préjugés inconscients, et continuer à travailler à l’établissement de l’unité, malgré les difficultés que cela entraîne souvent. Avec le temps, cela nous permettra de mieux nous apprécier mutuellement pour ce que nous sommes vraiment, d’acquérir ainsi un plus grand respect pour les autres et de parvenir à une meilleure entente.

Nous devons reconnaître la valeur des conversations et des qualités qui engendrent des conversations productives qui peuvent avancer. Ces qualités incluent celles qui permettent de discuter les questions à fond, d’être d’une écoute attentive, de réfléchir avant de parler, de parler aussi longtemps qu’il est nécessaire pour être compris, mais à condition que le but soit de trouver un terrain d’entente. C’est une éthique de la conversation qui est promue par de nombreuses cultures autochtones et qui mérite de recevoir une plus grande attention de la part de l’ensemble de la société canadienne. Accorder une telle attention au dialogue, c’est admettre qu’il n’y a pas de raccourci pour arriver à la guérison et à la réconciliation, et qu’il n’est pas possible d’obtenir la guérison, la réconciliation ou la justice sans prendre le temps de comprendre autrui et de se faire comprendre.

C’est ce type de conversation qui a le potentiel de générer une transformation sociale durable. Il accorde une grande importance à la candeur et à la courtoisie, au respect des participants, un respect non seulement des victimes qui ont subi les torts les plus graves, mais aussi de ceux qui se sentent mécompris et qui ont, à tort ou à raison, été accusés d’avoir pris le parti des forces de l’injustice. Le but ne devrait pas être de blâmer une personne ou de lui faire honte, mais d’aider tous les gens à comprendre le rôle qu’ils peuvent jouer pour développer une relation qui est basée sur le respect. Cela fait partie du processus authentique de recherche de la vérité, de l’effort pour donner à tous une occasion de participer, d’apprendre et d’être influencé par la conversation. Et cela ne tient aucunement de la négociation ou du compromis, des rapports de force, de la domination ou du paternalisme. Ce n’est pas non plus une forme de protestation ou une expression d’indignation, si naturels que puissent être de tels sentiments. De ce point de vue, une conversation qui cherche à favoriser une transformation personnelle aussi bien que collective devient une expression de justice. L’idée essentielle est que les organisations, les institutions, les communautés — bref, nous tous — doivent arriver à augmenter la qualité et la quantité des espaces sociaux où de telles conversations sur la réconciliation peuvent avoir lieu.

Une vision de la transformation sociale

À long terme, l’humanité doit apprendre à vivre comme une même famille humaine, sur la planète qui est son foyer. C’est là une réalité que nous ne pouvons nier si nous examinons l’histoire et si nous comprenons les besoins de notre planète unique et de son environnement intégré. Sous ce jour, nous pouvons voir des preuves manifestes du rapprochement en esprit et dans la bonne volonté des divers peuples de la planète, même s’ils ne le font pas encore au moyen d’institutions viables et de modes harmonieux de coordination et d’unité sociale. Nous traversons l’agitation de l’époque de l’adolescence. Durant cette période, il existe des forces destructives qui causent d’énormes souffrances. Il y a des gens qui vivent dans des conditions extraordinairement injustes et révoltantes. Il est impératif que nous apprenions à vaincre ces forces. Nous devons aussi prendre en considération les réalisations positives et surtout le réservoir d’espoir et d’idéalisme qui existe dans les jeunes générations.

Nous devons de plus considérer la question du pouvoir. On dit souvent que le pouvoir est un instrument de domination, ou un moyen de contrôler quelqu’un d’autre. Nous considérons trop souvent que la politique est une lutte pour le pouvoir. Il a bien été prouvé à quel point ce modèle de la politique est diviseur et destructif. Les rapports de pouvoir qui valorisent la domination, la coercition et le contrôle ont été un des plus grands obstacles aux efforts de réconciliation. Nous devons considérer une conception plus large du pouvoir, qui envisage d’autres capacités productives et génératives auxquelles nous avons accès. Par exemple, dans le domaine de l’action sociale, le pouvoir de l’unité, de l’amour, d’une humble forme de service et d’actions pures est souvent un pouvoir négligé. Quand il est cultivé adéquatement et délibérément, il peut créer des possibilités et des alternatives sociales qu’il serait impossible de générer par la coercition. Plutôt que de perpétuer des luttes sans fin entre groupes et intérêts opposés, nous pouvons encourager le développement de ces pouvoirs de l’esprit afin de guider et de développer des relations sociales qui sont basées sur la coopération et la réciprocité. On ne peut pas se servir de moyens indignes pour atteindre des buts nobles. Si nous cherchons à bâtir une société qui repose sur la vérité, le respect mutuel, la justice et l’unité — une société qui cherche sincèrement à favoriser la réconciliation — les moyens par lesquels nous cherchons à obtenir ces changements sociaux et politiques devraient refléter ces idéaux.

Depuis plus d’un siècle, la communauté bahá’íe est engagée à embrasser la participation des peuples autochtones dans la société. En 1916, avant que la communauté bahá’íe du Canada n’inclue des autochtones, ’Abdu’l-Bahá avait appelé les bahá’ís à « attacher une grande importance aux Indiens, premiers habitants de l’Amérique » à cause de leur grand potentiel d’illuminer la terre entière. Dans les années 1940, des Autochtones ont commencé à se joindre à la communauté bahá’íe, et son conseil dirigeant inclut des Autochtones depuis les années 1970. Conscients que les concepts bahá’ís ont beaucoup en commun avec les valeurs, les enseignements et les pratiques spirituelles autochtones, nous continuerons, que nous soyons autochtones ou non, à adopter les mesures qui mènent à une plus grande unité. Si variées que puissent être les valeurs et les pratiques autochtones d’une communauté à l’autre partout au pays, un certain nombre d’aspects communs semblent trouver leur écho dans les enseignements bahá’ís, au sujet de la noblesse des êtres humains, de la sagesse de la providence divine et de sa création, et la très grande valeur accordée à la vie des êtres humains, de sorte que chaque personne est considérée comme la responsabilité de la collectivité et que l’unité collective ne peut être assurée qu’en accordant l’attention requise à la justice.

La réconciliation en tant que défi spirituel

Fondamentalement, la réconciliation est un processus spirituel. C’est le processus par lequel nous réalisons l’unicité fondamentale de l’humanité, dans toutes les dimensions de la vie. La réconciliation exige que nos rapports avec les autres soient empreints d’un amour désintéressé, que nous surmontions les malentendus par un dialogue respectueux et patient et que nous nous servions des différences culturelles comme une occasion pour apprendre les uns des autres. Les cultures autochtones comprennent que l’amour est une chose qui inclut la coopération, la réciprocité et l’entraide, mais elles vont plus loin et croient que tous les gens sont parents. Cela est aussi notre conviction, en tant que bahá’ís. L’humanité elle-même ne forme qu’une seule famille. Comme nos enseignements le disent : « Fermez les yeux à l’aliénation, puis fixez votre regard sur l’unité. » Ailleurs, on peut lire : « Ne vous contentez pas des paroles amicales, mais que votre coeur soit embrasé par une affectueuse bonté envers tous ceux qui peuvent croiser votre chemin. » C’est là l’esprit qui permettra à la réconciliation de progresser.


La Communauté bahá’íe du Canada collabore avec un certain nombre de personnes à l’élaboration de contributions à la réflexion sur des questions importantes pour la société.

Ce document présente une réflexion qui aide à éclairer le travail de notre communauté pour participer aux discours publics du Canada. Il ne s’agit pas d’un exposé de position ou d’une déclaration officielle de la Communauté bahá’íe, mais plutôt d’un ensemble de réflexions qui s’appuient sur les enseignements bahá’ís et l’expérience de la communauté alors qu’elle s’efforce de les appliquer à l’amélioration de la société.

Vous pouvez adresser vos propres réflexions ou commentaires sur ce document, en écrivant à affairespubliques@bahai.ca.