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GEOFF CAMERON (directeur, Bureau des affaires publiques) : Merci de vous joindre à nous pour cet épisode du Discours public Erik et Jessey. Je suis vraiment ravi de vous avoir avec nous. Au début de chaque épisode de ce balado, nous invitons généralement nos invités à se présenter brièvement. Puis-je donc vous demander de dire quelques mots sur qui vous êtes et sur l’entreprise que vous dirigez. Jessey, je vais commencer par vous.
JESSEY NJAU (co-fondateur, Zawadi Farm) : Bien sûr. Merci pour l’introduction et merci de m’avoir invité. C’est un grand honneur. Je vous en suis très reconnaissant. C’est une conversation qu’il vaut la peine d’avoir. Je suis agriculteur urbain dans la ville de Toronto et ma pratique consiste simplement à cultiver des aliments dans des zones de culture urbaine. À l’heure actuelle, nous avons des cours arrière, des cours avant et des espaces publics au parc Downsview. Et ce que nous cultivons, c’est essentiellement pour nos partenaires d’agriculture soutenue par la communauté (ASC) et aussi pour aller dans les communautés pour d’autres choses dans lesquelles nous allons nous plonger.
GEOFF : Merveilleux. Merci Jessey. Je suis très heureux que vous ayez pu vous joindre à nous aujourd’hui. Erik, et vous ?
ERIK FRIEDMANN (co-fondateur, OK ! Kombucha) : Merci de m’avoir invité et je suis vraiment heureux de participer à cette conversation ; voyons où la journée nous mènera. Comme vous l’avez dit, j’ai une brasserie de kombucha. Pour ceux qui ne savent pas ce qu’est le kombucha, c’est un thé fermenté. Il est donc légèrement pétillant, légèrement piquant, et nous l’aromatisons avec différents ingrédients comme des jus frais, des ingrédients frais, pour donner à la boisson un profil de goût intéressant.
Notre entreprise est donc une brasserie dont le siège social est à Toronto.
GEOFF : Super. Je suis très heureux de vous parler de ce que c’est que de diriger une entreprise pendant une pandémie, mais je veux commencer par une question de valeurs. C’est un sujet que nous finissons souvent par aborder dans le Discours public. Vous dirigez tous les deux des entreprises qui sont l’expression de certaines valeurs que vous voulez voir reflétées dans le monde qui vous entoure. Vous avez tous deux présenté les entreprises que vous avez contribué à fonder, mais pouvez-vous parler un peu plus de l’entreprise et des valeurs qui l’animent ? Erik, je vais commencer par vous.
ERIK : Oui, absolument. Quand nous avons démarré l’entreprise, nous avions ces conversations sur le type de valeurs que nous voulions voir reflétées dans notre entreprise, et nous sommes arrivés à quelques valeurs qui reflétaient vraiment le type d’activité qu’exige la préparation du kombucha. Nous sommes essentiellement un fabricant de produits alimentaires, un transformateur de produits alimentaires. C’est le type d’activité dans lequel nous travaillons. Nous voulions donc penser à des valeurs vraiment pertinentes pour cette sphère d’activité.
Certaines des valeurs fondamentales que nous avons considérées — et qui nous semblent vraiment importantes lorsque vous êtes impliqués dans la fabrication de produits alimentaires — sont la transparence et une qualité sans compromis. Je pense que la transparence est vraiment importante quand on s’occupe de nourriture et qu’on la distribue à d’autres.
Pour nous, cela signifie communiquer notre histoire, l’origine de nos ingrédients, notre processus, et être vraiment très ouverts avec nos clients et nos partenaires grossistes ; ne pas se retenir et ne pas avoir l’impression d’avoir une sorte de propriété intellectuelle que nous essayons de garder secrète, ou essayer de protéger un processus qui est vraiment unique dans la façon dont nous gérons notre entreprise. Nous voyons cela sous un angle très différent. Nous voulons vraiment parler de ce que nous faisons très ouvertement avec ceux qui s’intéressent à nous.
Et en ce qui concerne la qualité sans compromis : lorsque nous approchons la boisson que nous produisons, nous voulons vraiment nous assurer qu’elle soit la meilleure possible, qu’elle offrira la meilleure valeur au client. Souvent, dans la fabrication des aliments — dans la façon dont les produits sont développés — il s’agit généralement d’un produit à un certain prix. On définit en quelque sorte l’aspect économique. On pense : quel est le prix de cet ingrédient ? On calcule le coût des ingrédients. Et comme on essaie d’atteindre un prix précis, il est très difficile d’innover ou de fournir le type de qualité que le client souhaite. On est limité par les aspects économiques. Et nous essayons vraiment de supprimer cet aspect de l’équation et de nous concentrer sur la qualité.
Alors, que devons-nous faire, quels sont les ingrédients dont nous avons besoin pour nous approvisionner, quels sont les fournitures, les emballages, etc. Et une fois que nous avons rassemblé tout cela, que nous avons déterminé le coût et que nous avons constaté que c’est rentable, nous pouvons aller de l’avant - même si cela signifie que nos bénéfices seront plus faibles.
Ce sont vraiment deux piliers fondamentaux de la manière dont nous gérons notre entreprise. Et l’autre pilier qui guide réellement nos actions est la sincérité véritable. Lorsque nous avions ces conversations, nous essayions de réfléchir au langage, par exemple, quelle est cette chose que nous faisons lorsque nous communiquons avec nos clients ? Avec nos partenaires grossistes ? Avec nos distributeurs ? Qu’est-ce que c’est ? Quel est le principe qui peut guider nos actions ? Et lorsque nous avons eu ces conversations mon co-fondateur et moi, nous sommes en quelque sorte arrivés à cette expression « sincérité authentique » pour refléter la façon dont nous voulions nous comporter.
Et cela s’étend évidemment au client. Tout ce que nous faisons, nous voulons vraiment nous assurer que cela a de la valeur pour nos clients et, espérons-le, ils ressentent cette sincérité authentique de notre part lorsque nous leur communiquons ce que nous faisons.
JESSEY : Bien dit. Bien dit.
GEOFF : C’est très intéressant. Merci, Erik. Jessey, maintenant j’aimerais vous poser la même question. Vous avez établi une ferme urbaine. Quelles sont les valeurs qui sous-tendent votre travail avec cette ferme ?
JESSEY : Je dois dire que notre parcours a été un parcours durant lequel nous cherchions à comprendre les valeurs. Je viens du monde de la technologie, et quand je suis passé à l’agriculture urbaine, j’ai introduit l’esprit technologique et j’ai découvert très vite que cela ne marchait pas. Vous savez, l’environnement agricole a tout ce à quoi j’étais habitué, sauf que c’est l’inverse.
Je vais vous donner quelques exemples. Quand nous avons commencé le projet, je cherchais des terres. Je cherchais à savoir où j’allais commencer. Ma première idée était : trouver un lopin de terre, louer une terre, rassembler un peu d’argent — vous savez, juste un peu de financement — et trouver une terre et commencer à cultiver. Et j’ai vite appris qu’il y avait quelque chose de différent dans cette approche, car quelqu’un qui avait entendu parler de ce que je faisais m’a offert son jardin, de 7500 pieds carrés, juste là. Boum ! Prenez-le gratuitement ! C’était donc une anomalie dans l’équation, car cela ne se fait pas dans le monde de la technologie. On n’a jamais rien de gratuit. Si c’est gratuit, il y a quelque chose d’autre que vous devrez payer.
Et puis, lorsque nous avons commencé à cultiver cette terre, j’ai organisé un marché de producteurs que nous gérions — moi-même et quelques commerçants — et nous y avons apporté tous nos produits en pensant : nous avons des aliments, nous cultivons ces aliments, ce sont de bons aliments, tout le monde devrait en avoir. Et nous avons rapidement appris que tout le monde n’a pas le même accès aux aliments que ce à quoi nous nous attendions.
Une de mes histoires préférées au sujet de ce processus qui a défini les valeurs fondamentales sur lesquelles nous nous appuyons est celle-ci. Chaque fois que nous venions vendre nos produits, la conversation allait comme ceci. Quelqu’un venait à notre table, voyait nos produits, aimait ce qu’il voyait, mais la première chose qu’il nous disait était : « Je peux trouver ça moins cher ». « Je peux trouver du chou frisé moins cher. » « Je peux trouver des betteraves moins chères », etc. La conversation était centrée sur l’argent, l’argent, l’argent.
Et dans une négociation, si une personne part d’un prix précis, selon moi, la négociation est terminée, parce que cette personne a déjà décidé combien elle veut payer. Si vous commencez à négocier à ce point, il ne s’agit plus du produit, il s’agit de décider la valeur monétaire que vous êtes prêt à sacrifier. N’est-ce pas ? Ce type de conversation était très pénible parce qu’il m’était impossible de gagner mon point.
J’ai donc dû repenser mon approche. Je me suis dit « D’accord, je fais faire quelque chose de radical, quelque chose de fou. » Tous ceux qui sont venus et m’ont dit : « Je peux trouver des choux frisés moins cher… » par exemple, ou moins cher que les betteraves ou les radis que nous avions cultivés. Je leur ai donné les légumes, et je leur ai dit : « Écoutez, ramenez-les chez vous, mangez-les, revenez la semaine prochaine et criez après moi s’il le faut, ou parlez-moi de votre expérience ». Et ce que nous avons appris de cette expérience, c’est que tous ceux à qui nous avons donné des produits ont été fidélisés. La conversation a changé. Le taux de rétention était d’ailleurs de 100 %. Ils sont tous revenus, mais ils ne demandaient plus « combien ceci coûte-t-il ? » Ils disaient plutôt « J’ai 25 $. Avec quoi puis-je remplir mon panier ? » Dès ce moment ce n’est plus une question de prix. Les gens disent plutôt « Je veux cette expérience alimentaire ». Et c’est ce qui a changé notre concept. Plutôt que de passer cinq heures à un étalage, à attendre que les gens achètent nos légumes, nous créons ensemble une boîte de produits alimentaires, qui coûte 25 $ et que nous pouvons livrer aux gens.
En fait, ces personnes sont devenues nos premiers partenaires d’ASC. C’est ainsi que tout a commencé. Mais ce que nous avons appris au cours de ce même processus, c’est que tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir ces produits. L’autre partie de l’équation consistait à trouver comment nous allions y parvenir. Nous n’avons pas besoin d’un énorme gain financier, d’un énorme profit. Au départ, nous bâtissons une entreprise. Nous en sommes à notre première année. Le besoin financier n’était pas la première chose à laquelle nous voulions répondre. Ce processus nous a poussés à retourner découvrir notre communauté, à écouter les gens de notre communauté, à voir notre communauté, et pour la première fois — je vis à Etobicoke depuis plus de 20 ans — mais c’était la première fois que je prenais du recul et que je commençais à regarder ma communauté. Et quand j’ai commencé à la voir et à rencontrer les gens, j’ai commencé à voir à quel point mes produits étaient inadéquats pour ceux qui n’ont les moyens de les acheter — ceux dont les revenus sont faibles. Mon patelin est très densément peuplé de gens à faibles revenus.
Nous avons commencé à réfléchir : comment distribuer nos produits de manière à ce qu’ils atteignent, d’un point de vue éthique, les personnes qui n’ont pas les moyens de se les payer ? C’est ainsi qu’est née cette autre idée folle, qu’un ami m’a communiquée. Il m’a dit : « Écoute. Et si vous définissiez ce qu’est votre notion de ce qui vous est suffisant ? « Ce qui est votre suffisant », c’est une fois que les partenaires ont eu leur part et que vous avez livré tous les produits, tous ceux qui ont besoin de ces produits peuvent les acheter au prix de gros.
Nous produisions en quantité suffisante et, après tout le reste, il nous en restait. Nous avons donc organisé un marché communautaire et avons subventionné tout ce que nous y vendions. Et cela a fait toute la différence. Tout se vendait parce que tous nos produits étaient frais et venaient directement de la ferme.
Nous avons continué à faire cela de plus en plus. Nous l’avons fait continuellement pendant quatre ans. Nous avons planté d’une manière suffisamment dense pour que tous les produits puissent être vendus et que nous puissions satisfaire nos engagements envers nos partenaires ASC à tous les niveaux possibles, mais qu’ensuite nous pussions en offrir une bonne partie à la communauté.
Tout cela s’est produit à cause de considérations éthiques. À mesure que nous avons échangé avec les membres de notre collectivité, notre état d’esprit a évolué. Mais quand la COVID-19 a frappé, notre relation avec la communauté a pris un coup, parce que nous ne pouvions plus visiter les gens à faibles revenus pour leur vendre nos produits.
Nous nous sommes alors associés à FoodShare avec qui nous avions déjà eu un partenariat, mais nous pouvions maintenant leur fournir une beaucoup plus grande quantité d’aliments. De plus ils avaient déjà établi le chaînon de la consolidation et pouvaient distribuer nos produits dans tous les marchés communautaires beaucoup mieux que nous n’aurions pu le faire. Notre conversation se poursuivait donc très bien.
J’aime ce qu’Erik disait à propos de la transparence. Vous savez ? Nous n’essayons pas de créer quelque chose qui nous appartient et que nous devons protéger. Nous sommes ouverts à ce sujet. Apprenez de nous. Nous vous montrerons comment faire. Nous mettons en ligne tout ce que nous faisons. Nous communiquons autant que possible. Et la saison prochaine, nous réaliserons beaucoup plus de vidéos sur YouTube pour parler de cette conversation « Construisez votre communauté d’abord, comprenez votre sol ensuite, et sachez qui sont vos partenaires et bâtissez cette relation ». Nous avons découvert que plus nous créons ces relations symbiotiques — elles n’ont pas besoin d’être parfaites — mais plus nous les entretenons, mieux nous pouvons survivre durant cette pandémie.
GEOFF : Formidable. Merci, Jessey. Vous avez vraiment mené la conversation dans le sens que j’espérais. Vous avez tous deux décrit un certain nombre de valeurs qui guident vos entreprises, allant de la recherche de la qualité et de l’excellence à la transparence, en passant par le désir de voir vos produits servir une population plus en santé ; vous avez parlé des liens avec la communauté, du partenariat et du fait de voir au-delà de la recherche du profit comme une dimension importante du fonctionnement de vos entreprises. Mais je m’intéresse à la manière dont cette pandémie a affecté votre façon de travailler.
Naturellement, Jessey, vous le disiez dans vos remarques, le contexte de la pandémie a modifié la façon dont vous abordez certaines choses dans votre entreprise. Et je voulais poser à Erik cette question que vous avez abordée, Jessey. Je veux dire, quels sont certains des défis présentés par la pandémie ? Parce que je pense que c’est quelque chose qui a préoccupé beaucoup de gens : le défi que cela représente pour les petites entreprises. Mais de plus, je crois que vous avez déjà mentionné que cela peut aussi créer des occasions de faire les choses différemment.
Pourriez-vous nous parler de cela, les défis présentés par le besoin de s’adapter, et aussi les possibilités de changer ?
Erik : Oui, certainement. Au début de la pandémie, en mars, après le début des mesures de confinement, notre modèle économique a réellement été remis en question. À l’époque, notre modèle d’entreprise dépendait beaucoup des grossistes ; nous vendions donc, par exemple, aux épiceries, aux cafés, aux restaurants, puis eux, à leur tour, vendaient à leurs clients. C’était le modèle commercial que nous poursuivions. Et en raison des conséquences de la pandémie sur les économies locales, notre modèle commercial a été complètement remis en question.
Du jour au lendemain, nous avons perdu 80 % de nos comptes, 80 % de nos revenus ont été effacés sans qu’on sache clairement quand ces revenus pourraient revenir à ce niveau. Et pendant ces jours, pendant ces semaines, j’ai pensé que c’était peut-être la fin, comme si c’était fini pour notre entreprise. C’est la fin pour de nombreuses petites entreprises dans toute la ville et le pays.
C’était une période difficile, caractérisée par l’incertitude, et nous n’étions pas vraiment sûrs de ce qui allait nous arriver. Mais tout comme de nombreuses entreprises, nous devions nous adapter. Nous avons dû changer notre modèle d’entreprise et nous avons fini par adopter un modèle de vente directe aux consommateurs. C’est ce que beaucoup d’entreprises ont fait. Ce n’est vraiment pas notre cas particulier, autrement dit, nous n’innovons pas vraiment à cet égard. Je pense que nous avons simplement analysé notre réalité et avons vu que les gens étaient chez eux, qu’ils voulaient toujours consommer nos produits, et qu’ils étaient prêts à payer une prime pour se faire livrer ces produits à leur porte. Nous avons donc dû créer une toute nouvelle infrastructure pour pouvoir répondre à cette demande de livraison à domicile ; de la création d’un site web à la mise en place de la logistique de l’entreposage, du transport, de la livraison des produits aux portes des gens, à l’exécution des commandes, tout un écosystème qu’il nous fallait comprendre et que nous devions comprendre assez rapidement.
Ce nouvel environnement a donc mis notre entreprise au pied du mur. Il a vraiment rendu les choses très difficiles pendant un certain nombre de semaines. Mais ensuite, il a ouvert cette porte qui, je pense, avait toujours été là, mais maintenant elle est très en demande. Cela nous a vraiment poussés à explorer ce modèle de livraison directe à nos clients. Ce que cela a fini par faire — c’était en fait une très belle période de quelques semaines — lorsque nous avons lancé ce modèle, était d’établir une interaction directe avec nos clients. C’était la pièce qui manquait toujours lorsque nous traitions avec les grossistes, parce que les grossistes, les gérants d’épiceries, les gérants de cafés étaient nos clients.
Nous livrions quelques caisses. Nous bavardions avec eux et ils disaient : « Oui, c’est super. Les gens adorent ça. » Vous obtenez donc en quelque sorte un retour d’information par leur intermédiaire, mais vous n’obtenez pas vraiment le vrai retour d’information. Par exemple, qu’est-ce que les gens aiment vraiment ? Pourquoi les gens achètent-ils nos produits ?
Nous avons commencé à interagir directement avec nos clients et à leur poser des questions, et nous avons mis en place des outils de clavardage en direct sur notre site web pour que les gens puissent nous écrire et que nous puissions leur répondre immédiatement. Vous savez, toute cette interaction — cette sorte d’interaction communautaire — a commencé à se mettre en place. Je pense que cela a été l’un des aspects positifs de la pandémie : à bien des égards, cela a créé de nouveaux espaces d’interaction entre les gens, où de nouvelles communautés pouvaient être créées.
Et maintenant que la pandémie a créé une « nouvelle normalité » et que les petites entreprises — certaines petites entreprises, les épiceries, les cafés — peuvent commencer à rouvrir dans de nouvelles conditions — nous avons maintenant la possibilité de nous servir à la fois de cet ancien modèle commercial que nous avions, qui était notre commerce de gros, et de ce nouveau modèle commercial qui est un modèle de vente directe au consommateur.
Malgré les défis, nous sommes maintenant dans une position où nous avons de nouvelles possibilités, nous avons de nouveaux clients qui ont pu nous trouver, une communauté plus forte et, je pense, une meilleure vision.
GEOFF : Jessey, peut-être pourrais-je vous poser la même question, mais d’une manière légèrement différente, car vous avez déjà commencé à parler de la façon dont la pandémie a créé un nouvel environnement pour Zawadi Farms. Y a-t-il certaines choses que vous avez commencé à faire au cours des huit derniers mois et que vous pensez continuer à faire, par exemple l’année prochaine lorsque, si Dieu le veut, les choses reviendront à un état plus normal ?
JESSEY : J’aime beaucoup cette question parce qu’elle permet de comprendre que les systèmes pouvaient changer avant la pandémie et qu’ils s’adaptent au nouveau scénario : ce que la pandémie était durant les mesures de confinement, et qui sait ce que demain apportera. Tout change d’une minute à l’autre. Avant la fin de notre conversation, je suis sûr que nous aurons de nouvelles informations sur quelque chose qui a changé, et nous devrons nous y adapter.
Mais le défi que nous avons dû relever avant même que la pandémie ne frappe — et en passante, Erik je vous remercie beaucoup pour cet exemple de la façon dont vous avez interagi avec vos clients et les avez rencontrés — c’était notre objectif numéro un après avoir créé la ferme, et une fois que nous avons commencé à changer notre façon de penser pour aller directement au client. Lorsque nous avons commencé, nous avions environ 15 à 20 clients. La première année — en fait, ce n’était pas la première, c’était la deuxième année — nous livrions. Nous apportions donc une boîte de produits chez quelqu’un… avant même que la pandémie ne frappe. Et ce à quoi Erik fait allusion est l’une des ressources humaines les plus puissantes que nous perdons dans l’interaction dans les magasins-entrepôts.
Nous avons maintenant 70 abonnés. Nous espérons en avoir 100 l’an prochain, et je ne veux pas renoncer à mon temps de livraison parce que je veux passer la journée à rencontrer des gens. Après le début de la pandémie, nous avons dû nous replier parce que nous ne pouvions pas aller chez les gens et interagir avec eux et parler des produits et de la façon dont ils pouvaient les préparer, et tout le reste. Nous avons dû introduire de nouveaux éléments numériques pour les transformer en conversations continues. Mais avant la pandémie, les histoires et les conversations que nous avions étaient un carburant, car on nous disait : « Cette betterave était… ! Vous savez ? Ou encore : « Ce chou frisé était… ! » Ou encore « Pourriez-vous faire pousser ceci ? » « Avez-vous pensé à faire pousser ça ? » Ou, « Avez-vous des poivrons pour… ? »
Nous avons évolué si vite parce que notre communauté nous a montré le chemin de la croissance, où la croissance était possible. Et certaines personnes qui voyaient nos membres recevoir des choses disaient, “Qu’est-ce que c’est que cette chose ? « Ah, eh bien, ça a été cultivé à Toronto. » « Cultivé à Toronto ? Quoi ? » Et ça a commencé à changer les choses et à multiplier nos membres. Notre histoire devenait encore plus profonde parce que les gens comprenaient que plus on nous soutient, plus nous devenons forts dans notre poursuite de l’élimination de la pauvreté dans notre communauté.
Ils sont donc devenus très motivés ! ‘Que puis-je vous acheter d’autre ? Que puis-je faire d’autre ? En fait, j’ai un ami qui veut [ceci].’ Je veux dire, ça a pris de l’ampleur et nous a menés dans des endroits que nous n’attendions pas… D’ailleurs, nous n’avons jamais fait de publicité. Et nous recevons des appels pour faire de la publicité, de la publicité, de la publicité. Mais parce que nous avions entamé la conversation initiale avec notre communauté, cela nous a vraiment aidés à parler aux gens d’une manière telle que lorsque nous disons : « Nous arrivons à une nouvelle saison, nous avons un espace limité », nous étions relativement tristes parce que nous ne pouvions pas nourrir beaucoup de gens. Ce n’est pas possible.
Vous savez, 70 [abonnés] est un grand nombre et il sera difficile d’en avoir 100. Mais ce que nous avons commencé à voir maintenant dans la conversation avec des gens qui aiment nos produits et tout le reste, c’est que cette conversation ne porte plus sur l’argent. On nous demande maintenant : « Que puis-je faire pour vous ? »
Il y a des gens qui veulent devenir livreurs pour moi. Il y a des gens qui veulent devenir vidéastes pour moi ; en fait, ils l’ont déjà fait. Il y en a eu quelques-uns la saison dernière. Et certains veulent raconter mon histoire.
En fait, un de mes amis est venu et nous a fait une vidéo qui est devenue un outil phénoménal. Même aujourd’hui, les gens viennent encore nous voir et nous disent : « J’ai vu cette vidéo. S’il vous plaît, dites-m’en plus sur ce que vous faites ».
La conversation a donc changé. On me dit maintenant : « Je suis heureux de payer pour les produits, mais que puis-je faire d’autre ? Que voulez-vous que je fasse d’autre ? Qu’essayez-vous de résoudre d’autre ? » Et je vais vous raconter une histoire qui illustre cela. Normalement, nous ne la publions nulle part, mais je vais vous la raconter parce qu’elle fait en quelque sorte partie de cette histoire.
Chaque année, mon partenaire, Mischa, et moi achetons des sapins de Noël, les plaçons sur notre pelouse de devant, appelons nos amis, nos familles et nos voisins et leur disons : « Venez chercher votre sapin ». C’est ce que nous faisons depuis cinq ans. Et quand nous avons fait cela, ce n’était pas une expression de, vous savez, « Regardez-moi, j’ai gagné tellement d’argent ! » Non. Ce n’était pas ça. Nous savons qu’il y a des gens qui n’auront pas la chance d’aller chercher un arbre, d’en acheter un et de le ramener à la maison. Certaines personnes n’ont pas cette capacité. Mais nous, nous avons la capacité de le faire.
Cette année, nous avons acheté 50 arbres au lieu de 20 comme c’est habituellement le cas. Mais nous n’avons pas payé pour les arbres. Notre communauté l’a fait parce qu’elle aime notre histoire et les raisons pour lesquelles nous travaillons ensemble. Donc ma volonté de résoudre la pauvreté dans ma communauté, ce n’est plus [seulement] ma volonté, n’est-ce pas ? C’est maintenant la volonté de notre communauté.
Donc, au-delà d’une transaction du type « Voici mes produits », « Voici mon argent », l’histoire est maintenant que nous avons un plus gros travail à faire. Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a donc une élévation commune à ce sujet.
La pandémie n’était pas une cause de séparation des gens. En fait, elle nous donne maintenant une chance de prendre vraiment le temps, de regarder en arrière et de voir où nous pouvons approfondir la conversation, de me demander, « où Erik en est-il ? », « où est-ce que j’en suis ? », ou de vous demander où vous en êtes, Geoff. Pour moi, c’est donc la ressource la plus puissante qui nous manquait.
Je sais. Je parle trop. Je vous prie de m’excuser.
GEOFF : Non, c’est excellent. Je veux dire, vous parlez tous les deux de la façon dont la pandémie vous a permis d’atteindre vos communautés, vos clients, d’une manière qui ne vous était pas possible auparavant ou pour laquelle vous n’aviez pas développé le modèle. Ce qui est assez paradoxal, n’est-ce pas ? Je veux dire que nous pensons que la pandémie nous sépare, mais vous décrivez de quelle manière elle vous a rapprochés.
Jessey : Absolument.
GEOFF : Très bien. Maintenant j’aimerais juste amener notre conversation à une sorte de point final de réflexion, en vous demandant de réfléchir chacun à vos espoirs et à vos aspirations pour l’avenir de notre société, en vous appuyant sur ce que vous avez appris au cours des huit derniers mois environ.
Je pense que vous avez déjà abordé ces thèmes dans vos commentaires, mais vous pouvez peut-être réfléchir à l’avenir, à vos espoirs pour votre communauté et pour notre société au moment où nous émergeons de la pandémie. Erik, puis-je commencer par vous ?
ERIK : Oui. Bien sûr. C’est une grande question.
GEOFF : Nous sommes spécialisés dans les grandes questions.
ERIK : Oui. Je ne l’ai pas vu venir celle-là. Nous avons été tellement préoccupés par la réalité et par ce qui se passe dans nos entreprises. Je pense que nous y pensons tous. Qu’est-ce que nous espérons une fois que tout cela sera terminé ?
Au-delà de ce que nous avons vécu, de ce que j’ai vécu personnellement, de ce que la pandémie a également créé — outre de nouvelles réalités, de nouvelles façons d’interagir, de se rapprocher les uns des autres — il y a aussi une autre réalité qui met en évidence les injustices que nous voyons partout dans le monde et à tous les niveaux. Elle met en évidence le fossé croissant entre les riches et les pauvres ; c’est quelque chose que la pandémie a en fait causé. Il y a les riches qui sont maintenant plus riches et les pauvres qui sont plus pauvres. C’est une réalité. Elle met en évidence les défis posés par le sans-abrisme et la pauvreté. Elle met en évidence les défis liés à l’accès aux soins de santé, les défis auxquels sont confrontées les communautés marginalisées.
J’espère donc qu’en tant que race humaine, nous pourrons relever les défis qui se présentent à nous aujourd’hui. Ils étaient déjà là avant et on pouvait les balayer sous le tapis, mais maintenant ils sont si évidents. Et j’espère vraiment que nous les regarderons et que nous les verrons pour ce qu’ils sont et que nous serons capables d’y répondre de manière significative et de manière à créer un changement durable. C’est ce que j’espère pour mon entreprise… J’espère que mon entreprise jouera un petit rôle dans le grand changement qui doit avoir lieu.
GEOFF : Parfait. Et Jessey ? Peut-être que vous pouvez penser grand. Vous pouvez aussi penser dans le contexte de la communauté que votre entreprise dessert. Quels sont vos espoirs et vos aspirations pour l’année à venir ?
JESSEY : Mes amis qui écouteront ce balado vont rire parce que c’est une question dangereuse à me poser. Tout ce que je fais chaque jour, c’est de penser à l’avenir et ce que nous ferons pour y répondre. Je vais donc vous donner les notes de synthèse sur la façon dont nous abordons la question.
Quand nous avons commencé, nous savions que Zawadi allait nous dépasser. Nous savions qu’elle atteindra un point où il y aura des gens dans notre communauté qui reprendront la ferme d’une manière ou d’une autre. Mischa et moi, atteindrons un point où de plus grandes batailles nous attendent. Nous étions donc préparés à cela dès le début.
Avant la pandémie, un de mes amis — un de mes mentors, en fait — m’a demandé : « Jessey, penses-tu que tu pourrais nourrir Toronto ? » Et une question ne m’a jamais autant ébranlé que celle-là, car si vous vous demandez si tous les systèmes d’importation s’arrêtaient, est-ce que Toronto pourrait se nourrir elle-même ? Peut-elle — et dans Toronto, j’inclue Mississauga, Brampton, tout le grand Toronto, et je me demande : « Pouvons-nous nous nourrir ? Est-ce que l’Ontario peut s’autosuffire en alimentation ? » Et ça m’a fait peur, parce que je ne sais pas.
Si vous vous déplacez en voiture dans notre ville — et, vous savez, Erik, vous rouliez vers Kingston — vous voyez tout est à vendre, à vendre, à vendre. Les fermes disparaissent. C’est donc une préoccupation pour nous, en pensant qu’à l’avenir nous ne mangerons pas moins, n’est-ce pas ? La population augmente, la demande de nourriture augmente, mais nous perdons des terres agricoles. Alors qu’est-ce que ça signifie ? Pourquoi ?
C’est un défi pour nous. Nous essayons de le relever. Et puis si vous regardez nos communautés aussi, le problème numéro un que nous avons, pour moi, un défi que je veux relever, c’est la pauvreté. Et la pauvreté n’est pas seulement un problème économique, c’est un problème mental. De mon point de vue, il y a beaucoup d’actions cérébrales qui se produisent et qui définissent la pauvreté.
Comment créer une économie qui invite ? Qui soit inclusive ? Cohésive ? Assez pour que, même si nous sommes confrontés à des problèmes tels que des conditions météorologiques extrêmes, la sécheresse, la fermeture des frontières, une pandémie, on puisse fournir à la demande. Nous avons ici des gens qui ont déjà vécu des situations bien pires que cela. Les Premières Nations ont survécu au pire, mais elles disposaient de méthodes et d’outils qui les rendaient résistantes même aux pires tempêtes ou conditions météorologiques.
Nous apprenons donc ces choses. Nous essayons de les intégrer à nos ressources. Et puis, par-dessus tout, nous formons les gens. Nous donnons aux gens l’équipement et les capacités nécessaires pour faire ce que nous faisons.
Nous travaillons actuellement avec des mécanismes de formation. Si vous entrez dans le marché à notre échelle, où vous avez plus de 100 membres, nous créons des méthodes que vous pouvez apprendre assez vite et assez bien pour le faire. Ou encore vous voulez simplement apprendre comment vous pouvez vous nourrir, nourrir votre famille et nourrir votre voisin, nous créons également des méthodes pour cela.
C’est la même idée que celle d’Erik qui a parlé d’être ouvert et transparent sur la façon dont nous faisons ce que nous faisons. C’est la même idée. Et pour nous, comme nous préparons aussi l’avenir, cela veut dire former et équiper autant de personnes que nous le pouvons.
Ce sont donc les choses sur lesquelles nous réfléchissons encore et, comme mes amis le savent, j’ai des idées, mais je ne me contente pas de penser, j’agis en fonction des idées. Et nous, Mischa et moi, quand nous allons aux réunions, nous avons ce moment familier, où nous demandons « Est-ce que nous en sommes toujours à parler, ou, allons-nous faire quelque chose à ce sujet ? » Et, la plupart du temps, nous entendons, « OK. Eh bien, laissons cela de côté pour une autre fois. » Ou encore : « Allons chercher du financement. » Et nous disons « Non. Non merci. » et nous allons investir notre propre argent et foncer. Vous voyez ?
Et c’est ainsi que nous avons mené notre entreprise jusqu’à présent. Nous ne demandons pas de financement. Nous prenons l’argent de notre poche, nous ouvrons les portes et nous fonçons.
GEOFF : Eh bien, c’est une excellente façon de conclure, Jessey. Et beaucoup de gens savent ce qu’il faut faire, mais peu d’entre eux le font. Et c’est un moment opportun pour vraiment réfléchir au rôle des entreprises dans notre société, dans notre économie, en cette saison de l’année, et à un moment où, vous savez, nous réfléchissons tous à la manière de rendre nos sociétés et nos communautés plus résistantes.
Merci beaucoup, Erik et Jessey, pour le temps que vous nous avez consacré aujourd’hui. Et à bientôt.
ERIK : Merci de nous avoir invités, Geoff.