Bahai.ca English

Balado : Le discours public

Épisode 3 : Faire progresser l’égalité des sexes

Nous nous entretenons aujourd’hui avec Jessica Prince et Thea Symonds des implications du principe de l’égalité des sexes sur notre façon de penser le travail, la garde d’enfants, l’éducation et la vie familiale après la COVID-19. Jessica Prince est avocate et membre du conseil d’administration du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, et Thea Symonds est coordinatrice du Comité de coordination sur la violence contre les femmes dans le comté de Perth.
Subscribe

Lisez la transcription

Le texte a été édité par souci de concision et de clarté.

LAURA FRIEDMANN (Attachée de presse, chargée des affaires publiques) : Je suis ravie que Thea Symonds et Jessica Prince se joignent à moi pour cet épisode du Discours public. Dans cette série de balados, nous discutons avec diverses personnes des principes dont nous avons besoin dans un monde post-pandémique. J’ai vraiment hâte de parler avec vous du principe de l’égalité des sexes, de la manière dont nous devons l’appliquer plus complètement et des implications qu’il a sur notre façon de penser au présent et à l’avenir. Mais tout d’abord, je me demandais si vous pouviez vous présenter brièvement ? Jessica, voulez-vous commencer ?

JESSICA PRINCE (avocate ; membre du conseil d’administration du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes) : Bien sûr. Merci beaucoup de m’avoir invitée. Je m’appelle Jessica Prince, comme vous l’avez dit, et je suis avocate de formation. Mais ces dernières années, j’ai travaillé dans le domaine de la politique publique au sein du gouvernement fédéral. Je viens de rentrer chez moi en Colombie-Britannique et je travaille dans le domaine de la politique publique ici, en Colombie-Britannique, avec le gouvernement provincial. Et j’ai toujours été très passionnée par l’égalité des sexes, ce qui a animé ma vie professionnelle, tant dans les milieux où elle n’existait pas vraiment, que dans ceux où elle existait. Dans cette optique, je fais un peu de bénévolat pour une organisation appelée le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes. Il s’agit d’une organisation nationale composée principalement de femmes juristes qui défendent les droits des femmes et des jeunes filles en utilisant des articles de la Charte des droits et libertés pour présenter des arguments devant les tribunaux canadiens sur la manière dont nos lois devraient être appliquées et interprétées de manière plus égalitaire entre les sexes.

LAURA : Merci. Et Thea ?

THEA SYMONDS (Coordinatrice, Comité de coordination « Stop à la violence contre les femmes », du comté de Perth) : Tout d’abord, je voulais vous remercier de m’avoir invitée à participer à cette série. Je suis très honorée de m’entretenir avec vous deux. Je m’appelle Thea Symonds et je travaille actuellement comme coordinatrice des comités de coordination contre la violence envers les femmes en Ontario. Je travaille avec ces comités pour renforcer la communication, identifier les obstacles du système, combler les lacunes des services et suivre les tendances en matière de violence contre les femmes dans la région.

J’ai travaillé sur plusieurs projets avec le réseau provincial pour mettre fin à la violence contre les femmes. L’un de ces projets vise à mettre en place un réseau consultatif pour les victimes dans la province, et un autre à concevoir un système cohérent de collecte de données sur la traite des êtres humains. Ainsi, j’ai passé les dix dernières années à travailler pour les droits des femmes et à la recherche sur l’égalité des sexes.

Et j’ai aussi des jumelles, de belles jumelles qui ont maintenant quatre ans. Je trouve donc intéressant que mes journées se passent en consultation avec les directeurs d’organisations et les responsables d’agences dans la communauté, et aussi en faisant participer les enfants d’âge préscolaire à des conversations sur leurs capacités, et en les élevant pour qu’ils soient des champions de la justice grâce à des réunions de prière et des cours bahá’ís d’éducation morale pour enfants.

C’est donc une dynamique intéressante dans laquelle j’essaie de naviguer de façon cohérente. Je trouve que les deux sont incroyablement importants et font partie intégrante de l’avancement des possibilités pour les femmes et de la réalisation de l’égalité des sexes en général.

LAURA : Absolument. Je vous remercie. Et Jessica, vous êtes aussi mère, n’est-ce pas ?

JESSICA : Oui. Désolée, je dois intégrer ça à ma biographie. J’ai un fils de quatorze mois qui est charmant, qui vient d’apprendre à marcher et qui rend notre vie infiniment plus difficile, car nous nous rendons compte que notre maison n’est pas à l’épreuve des bébés.

LAURA : Oui, je suis mère d’un garçon de huit ans et d’une fille de dix ans. Je suis donc vraiment heureuse que nous ayons toutes les trois cette expérience commune de travail pour promouvoir l’égalité des sexes, mais aussi de la vivre au quotidien dans notre vie de mère et d’essayer de trouver comment, comme l’a dit Thea, élever des champions de la justice.

Donc, pour commencer, Jessica, je voulais vous demander, nous avons constaté qu’il y avait eu des progrès importants dans l’établissement de l’égalité juridique des femmes et des hommes ; cependant, comme vous l’avez vu, cette pandémie a mis en évidence les nombreuses façons par lesquelles l’inégalité reste ancrée dans le milieu du travail et la vie familiale. Pourriez-vous donc nous parler de ce que vous avez observé ces derniers mois autour de cette question ?

JESSICA : Oui, absolument. Je pense que c’est une observation très judicieuse. L’égalité juridique formelle, entre les femmes et les hommes au Canada, n’est pas entièrement acquise, mais elle l’est largement. L’égalité juridique entre les hommes et les femmes est inscrite dans notre constitution. Elle est inscrite dans la Charte des droits et libertés. Et il existe un ensemble de lois qui soutiennent et interprètent cette égalité.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas encore de batailles juridiques à gagner, mais, dans l’ensemble, nous avons fait des progrès dans ce sens. Mais évidemment cette égalité juridique ou formelle ne se traduit pas toujours sur le terrain, en termes d’égalité réelle ou d’expériences réelles vécues par les femmes au Canada. Et même avant la pandémie, vous savez toutes qu’il existe des inégalités dont souffrent les femmes dans ce pays, en termes d’écart persistant de rémunération entre les sexes, en termes de femmes assumant de manière disproportionnée des rôles de soignantes non rémunérées au sein du foyer — que ce soit pour les enfants, ou les membres malades ou âgés de la famille. J’ai donc remarqué que la pandémie n’a pas nécessairement changé cette dynamique, elle a simplement mis en lumière des inégalités qui existaient déjà. Et dans de nombreux cas, elle a exacerbé ces inégalités.

Vous avez peut-être entendu le terme « she-cession » [elle-cession] — et je ne l’aime pas, mais les gens continuent de l’utiliser pour décrire ce qui se passe. Une récession qui a touché les femmes, une « elle-cession ». Je trouve le terme un peu mignon et un peu ridicule, mais j’aime l’utiliser parce que je pense qu’il décrit ce qui se passe dans notre économie en ce moment, en termes d’impact de cette pandémie sur les familles et les communautés canadiennes.

Ainsi, depuis que la pandémie a été déclarée en mars… Et quand sommes-nous maintenant ? En août. Nous avons été témoins de ces pertes d’emplois incroyablement historiques dans tout le Canada, mais si vous fouillez dans les chiffres, ces pertes d’emplois ont été subies de manière disproportionnée par des femmes.

Je connais personnellement de nombreuses femmes qui avaient des rôles à temps plein et qui ont maintenant décidé qu’il serait plus facile pour leur famille si elles passaient à un rôle à temps partiel. Ou alors, elles étaient en congé de maternité et allaient reprendre le travail, mais il est beaucoup plus facile pour elles de ne pas reprendre le travail et de rester à la maison. Je connais aussi des femmes qui ont quitté leur emploi. Elles ont regardé leur unité familiale et se sont dit : « Vous savez quoi ? Mon partenaire (souvent masculin) gagne plus d’argent que moi. Il va rester sur le marché du travail. Je vais rester à la maison et m’occuper des enfants. Je ne suis pas sûre d’être prête à envoyer mes enfants dans une garderie maintenant, en pleine pandémie ».

Cela se produit dans tout le pays. Et il faut se demander combien de ces femmes vont un jour retourner sur le marché du travail traditionnel. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’agit pas de décisions rationnelles que les femmes prennent. Bien sûr, je respecte les décisions de toutes ces femmes, et tout le monde doit prendre la bonne décision pour sa famille, mais cela se passe au niveau l’ensemble de la société. Nous ne devrions donc pas être choqués lorsque les économistes disent que c’est une — l’autre terme qui me fait rire — il y a une elle-cession et nous assistons maintenant à une « il-reprise ». Les hommes profitent de la reprise. Les femmes n’en profitent pas. C’est donc ce que j’ai vu, Laura, et je pense que cela devrait inquiéter tout le monde. Je ne pense pas que cela devrait seulement inquiéter les femmes.

LAURA : Hm hmm. Ouah. Je n’avais pas entendu les termes « elle » et « il ». C’est vraiment intéressant.

JESSICA : Je dois dire que je ne les ai pas inventés. Il y a toutes sortes d’universitaires canadiens qui les utilisent. Je continue à les lire dans les journaux.

LAURA : Cette pandémie a de nombreuses conséquences et a diverses incidences sur les femmes. Et les femmes, comme vous l’avez dit, ont tendance à être les premières à en ressentir les effets. Et l’une des conséquences tragiques du confinement de la pandémie a été l’augmentation de la violence domestique. C’était quelque chose que de nombreux experts avaient prévu, et, de façon anecdotique, il semble malheureusement que cela se soit effectivement produit. Alors, Thea, vous travaillez dans ce domaine, et, de votre point de vue, qu’est-ce qu’une pandémie nous a montré que nous devons faire en tant que société pour mieux protéger les femmes contre les abus ?

THEA : Hm hmm. Eh bien, comme vous l’avez dit, depuis le début de la COVID-19, il n’y a pas seulement eu une augmentation des cas de violence domestique, mais la violence subie a augmenté en intensité et en gravité. Nous savons déjà que la violence domestique existait à une fréquence alarmante dans notre société. Les restrictions et conditions sociales imposées aux personnes pendant la COVID-19 — notamment le stress financier, le temps plus long passé avec un agresseur à la maison, l’accès limité aux services, toutes ces choses et bien d’autres — ont contribué à amplifier ce mal déjà existant dans notre société.

Et la pandémie de la COVID-19 a également révélé ce que nous savions, à savoir que le foyer n’est pas toujours l’endroit le plus sûr pour de nombreuses femmes. C’est pourquoi la violence au foyer s’est accrue à un tel point. Mais je pense que nous avons maintenant une occasion unique d’affronter ce mal social et de redéfinir le tissu social pour qu’il soit plus propice à la réduction de la violence et au renforcement de la protection préventive des femmes. Nous avons maintenant la possibilité de construire des structures durables et intégrées qui peuvent à la fois protéger les femmes contre la violence, et éliminer les conditions qui ont permis à la violence de perdurer.

Je vais parler de l’éducation. Nous savons, grâce à la foi bahá’íe, que l’éducation peut transformer les gens et édifier l’humanité, et nous pouvons tous être mieux informés des causes profondes de la violence domestique et de la violence fondée sur le sexe. En plus de reconnaître les causes, nous pouvons aussi être conscients des conséquences que ce type de violence entraîne, non seulement pour l’individu, mais aussi pour la famille et la société dans son ensemble. Nous pouvons également reconnaître l’urgence de ce problème. Nous pouvons apprendre comment ces problèmes entravent l’égalité des femmes et des hommes, y compris le stéréotype des rôles de chaque sexe et l’acceptation de la violence comme forme de résolution des conflits, et nous renseigner sur les conditions qui permettront de renforcer cette égalité. Et grâce à ces connaissances, nous pouvons renforcer notre capacité de répondre à la violence.

Et, je dirais que l’un des moyens importants pour nous de le faire, et de mieux comprendre ces questions, est d’inclure la voix de victimes, de personnes qui ont été victimes de violence, dans le processus de traitement des problèmes systémiques. Et non seulement les victimes ne sont pas souvent incluses dans la conversation, mais il arrive aussi, comme vous le savez, qu’on ne les croie pas au sujet des abus qu’elles subissent. Nous devons donc écouter les victimes et travailler avec elles.

Et au-delà du soutien aux victimes, je pense que nous pouvons plaider pour la promotion des femmes et laisser l’égalité des sexes s’établir dans tous les domaines ; et qu’il est nécessaire de changer les pratiques et les comportements sociaux qui ont été jugés acceptables, mais qui sont extrêmement nuisibles. Et le fait de les soutenir perpétue ce type de violence. Nous pouvons tous nous engager à lutter contre les stéréotypes sexistes dépassés et contre la masculinité toxique ; que l’agression et la violence, qu’elles soient physiques, ou émotionnelles, technologiques, ne sont plus des comportements acceptables de nos garçons et de nos hommes.

Et je pense qu’une grande partie de ce travail peut être réalisée en mobilisant les jeunes pour qu’ils résistent à ces normes sociales et encouragent d’autres pratiques morales. Si nous pouvons encourager nos garçons à devenir des agents du changement et leur permettre d’agir en fonction de leur vraie nature morale, nous pouvons encourager nos filles à voir à quel point leur voix est précieuse et importante. Je pense que nous devons faire en sorte que nos filles se sentent suffisamment en sécurité pour dénoncer la violence qu’elles voient et celle qu’elles endurent autour d’elles, et pour soulever la question de la capacité des filles à contribuer à l’amélioration de notre société.

Désolée, c’était un peu long.

LAURA : Non, c’était super. J’apprécie vraiment votre expérience à tous ces niveaux, parce que vous servez en quelque sorte de pont pour toutes ces coalitions et organisations. N’est-ce pas ? Et ce que vous avez mentionné sur la base, et au niveau local, est très important. Et cela m’amène à réfléchir à la politique ; un changement qui doit avoir lieu au niveau de la politique, en plus de tout ce que vous avez dit, Thea.

Et quelles sont, selon vous, les questions de politique publique les plus importantes pour faire progresser l’égalité des sexes ? Y a-t-il des domaines politiques qui, selon vous, ne reçoivent pas suffisamment d’attention en ce moment ?

JESSICA : Oui. (rires)

LAURA : Probablement plusieurs.

JESSICA : Oui. Mais avant de répondre à cette question, je pense qu’à titre préliminaire, je voudrais parler un peu d’un cadre que nos décideurs politiques devraient appliquer à toutes les questions qu’ils abordent. Je pense qu’ils auraient dû le faire avant, mais je pense qu’ils devraient le faire maintenant plus que jamais, parce que nous savons que la pandémie a un impact sur les femmes ; pas seulement au Canada, mais partout dans le monde. Il est plus important que jamais que nos décideurs politiques abordent les questions de manière genrée.

En ce qui me concerne, la question politique qui ne reçoit pas assez d’attention — et elle n’en a jamais reçu assez — est celle de la garde d’enfants. Au Canada, nous savons depuis des décennies que le seul grand changement politique qui fera bouger les choses pour les femmes canadiennes pour les faire entrer dans la vie active — si elles le souhaitent — est l’accès à des services de garde d’enfants abordables.

Beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup d’universitaires canadiens, presque tous des femmes, ont plaidé en faveur de ce changement pendant toute ma vie, depuis le début des années 80. Nous savons que là où cela existe, comme dans la province de Québec, la participation des femmes au marché du travail est la plus élevée de toutes les provinces canadiennes. Et ce n’est pas une coïncidence. Par exemple, si vous regardez le Québec avant qu’il ne dispose de services de garde d’enfants complets, et après, les chiffres augmentent. Et c’est à cause des services de garde d’enfants.

Je pense que c’est plus important que jamais. Et nous n’avons pas de grandes données à ce sujet depuis le début de la pandémie, mais certains universitaires suggèrent qu’entre un tiers et la moitié des places de garde d’enfants dans ce pays risquent de fermer définitivement à cause des effets de la pandémie. Oui, les données sont très inégales à cause de la pandémie, mais il y a beaucoup de places en garderie qui risquent de ne plus être disponibles dans les mois à venir.

Si c’était le cas — et j’ai entendu des universitaires le dire, je ne veux pas m’en attribuer le mérite, mais cela m’a vraiment touchée — si c’était le cas pour nos ponts, ou nos routes, si la moitié des routes au Canada risquaient de s’effondrer et que les gens ne pouvaient plus y circuler, je suis convaincue que nous aurions une stratégie nationale pour nos infrastructures. Mais comme il s’agit de la garde d’enfants, il n’y a rien à ce sujet.

Je pense que nous devons penser à la garde d’enfants de la même manière que nous pensons aux infrastructures essentielles. Il s’agit d’une infrastructure sociale essentielle pour les femmes et les familles canadiennes. Et je suis stupéfaite de constater que nous n’avons pas de stratégie nationale à ce sujet et que les gouvernements n’en parlent pas tous les jours. Je pense qu’une partie du problème est que nous n’avons pas assez de femmes en politique, mais c’est comme une tout autre conversation pour un autre jour. (rires)

LAURA : C’est vrai. Et cela se répercute sur l’ensemble, eh bien, si leur service de garde d’enfants ferme, maintenant les femmes sont hors du marché du travail et cela se répercute de plus en plus. Et… y a-t-il un autre domaine de politique dont vous voudriez parler ?

JESSICA : Je pourrais parler de…

LAURA : Je ne fais que le mettre en avant.

JESSICA : Non. Totalement. Je pourrais en parler toute la journée. Je veux dire, regarde. Je pense que je suis sensible à la question de la garde d’enfants à cause de l’âge de mon enfant. Pour mes amis qui ont des enfants d’âge scolaire, et selon la province dans laquelle ils se trouvent, le plan de réouverture des écoles est un sujet très important.

LAURA : Je veux dire que c’est là où je me trouve. Et même cela soulève des questions de barrières à différents niveaux de la société. N’est-ce pas ? Par exemple, tous les parents n’ont pas les moyens de créer ces groupes privés, ou ne sont pas en mesure de le faire. Tous les parents n’ont pas les compétences linguistiques, ou la capacité d’être enseignants, ou de tout laisser tomber soudainement et de s’assurer qu’ils peuvent gérer un programme d’études ; pensons à certains de nos nouveaux arrivants et immigrants qui ne connaissent pas la langue, qui ne comprennent pas le système. Il semble donc qu’on expose toutes ces lacunes, ces faiblesses et ces parties fragiles que nous avons.

Bon, je sais que vous avez déjà parlé un peu de l’éducation et des changements de culture. Alors, n’hésitez pas à répondre à cette question comme bon vous semble. Donc, au-delà de la politique, comment pensez-vous que nous devons traiter la question de l’égalité des sexes au niveau de la culture et de l’éducation ? Je sais que vous avez mentionné certaines choses, mais la violence domestique est, à un certain égard, le symptôme d’une société qui n’éduque pas suffisamment les hommes. Et comment pensez-vous que nous pouvons nous attaquer à la racine de ce problème ?

THEA : Je pense qu’il est correct de considérer la violence domestique comme un symptôme plutôt que comme une maladie en soi. Dans la foi bahá’íe, nous considérons que la valeur essentielle des hommes et des femmes est la même aux yeux de Dieu. Ainsi, les seules différences de réussite et d’aptitude entre les sexes au cours de l’histoire sont le produit d’une oppression continue et du deni de toute possibilité.

Ainsi, dans un sens, nous éduquons les garçons en leur faisant comprendre que les filles sont soumises, mais en même temps, le pouvoir d’expression que les filles ont cultivé en matière de relations et de questions émotionnelles n’a pas été cultivé chez les garçons ; et chez les hommes aussi. Cela leur donne donc un sentiment de fausse dichotomie, de croire que la violence est un outil utile et acceptable pour atteindre le résultat qu’ils souhaitent, en particulier dans une relation également, plutôt que d’utiliser la raison ou la maîtrise de ses émotions, ou d’autres moyens, qui incluent également l’empathie.

Je dirais donc qu’une façon dont l’impact s’est avéré bénéfique a été de faire participer les garçons et les jeunes hommes à des groupes et à des programmes qui les aident à reconnaître ces pressions sociales ; par exemple, comment la masculinité est confondue, et dans de nombreux cas, assimilée au pouvoir et à la violence. Et comment ces pressions sociales et ces normes, ces idéologies, leur sont inculquées. Et aussi pour fournir un espace pour parler de la manière de faire face à ces pressions. Ainsi, en incitant les jeunes hommes à s’entraider, à adopter des comportements non violents et à renforcer les comportements positifs, on leur permettra de devenir des alliés, des protagonistes ou des champions de l’égalité des sexes plutôt que des auteurs de violence.

Pouvez-vous les entendre en arrière-plan ?

LAURA : Oui.

JESSICA : Je pouvais les entendre.

LAURA : Mais c’est bien. C’est…

THEA : C’est bon ? Ou ça devrait… Est-ce que ça va être supprimé au montage ?

LAURA : Non, je pense qu’on devrait le garder. C’est la vie d’une maman en temps de pandémie, n’est-ce pas ? Nous sommes toutes dans le même bateau. Nous avons toujours nos appels, et des petits qui nous grimpent dessus. C’est simplement la réalité.

Jessica, je voulais te poser une question similaire, et tu en as parlé tout à l’heure au début. C’est au sujet du travail, de quelle manière avons-nous conçu le travail qui désavantage systématiquement les femmes ? Comment le travail doit-il changer ?

Vous savez, avant la pandémie, il y a eu beaucoup de discussions sur la manière de rendre le travail plus flexible, y compris le travail à distance, permettant aux femmes et aux hommes d’être plus à même d’atteindre cet équilibre entre vie professionnelle et vie privée, avec lequel nous sommes tous aux prises. Vous savez, quand les enfants sont à la maison, ça ne se passe pas toujours comme ça. Faut-il donc approfondir notre analyse de la manière dont nous pouvons changer le travail à la lumière du principe de l’égalité des sexes ?

JESSICA : Je pense que c’est une question vraiment, vraiment importante. J’ai assisté à une conférence l’autre jour sur Zoom. C’est, je suppose, la façon dont nous regardons tous les conférences maintenant. Elle était donnée par Julia Gillard, qui était Première ministre de l’Australie. Et elle parlait exactement de cela. Elle a dit qu’elle croyait toujours que le travail à domicile serait bénéfique pour l’égalité des sexes à l’avenir. Et elle a ajouté qu’elle aimait que l’on mette moins l’accent sur ce qu’elle appelle le « présentéisme » au bureau. L’idée que vous devez simplement être physiquement dans votre bureau, et que votre patron doit vous voir travailler à votre bureau. Elle pense que cela aidera les femmes, et plus particulièrement les mères qui travaillent.

Mais son avertissement est que vous devez disposer des aides nécessaires. On ne peut donc pas s’attendre à ce que vous instruisiez vos enfants à la maison et à ce que vous travailliez également à la maison. Il est donc évident que le soutien est vraiment crucial et c’est ce qui manque en ce moment.

Pour moi, une partie de la réponse à votre question, Laura, concerne les politiques de congé parental. Je pense que c’est un élément clé pour l’égalité des sexes sur le lieu du travail, et que les gens en bénéficient, et les hommes aussi. Lorsque j’étais avocate dans le secteur privé, je travaillais à Toronto dans deux cabinets différents. Et j’étais jeune avocate. J’étais évidemment une jeune avocate, et je n’ai jamais travaillé dans un lieu de travail qui avait une politique de congé parental dont j’avais été informée. Il y en avait peut-être une, mais elle n’a jamais été portée à mon attention.

Donc, d’après mon expérience de la pratique privée à Toronto, je pense que c’était assez typique pour l’époque. C’est-à-dire qu’il y avait beaucoup de jeunes femmes, très, très peu de femmes âgées. Presque tous mes patrons étaient donc des hommes. Et lorsque j’ai été mutée au gouvernement fédéral à Ottawa — je travaillais d’abord au ministère de la Justice —, je me suis soudainement retrouvée entourée d’avocates, dont beaucoup étaient des femmes de haut rang. C’était comme un monde bizarre où toutes les femmes juristes se retrouvaient. Elles travaillent toutes au sein du gouvernement fédéral. Et voilà, le gouvernement fédéral a une politique très claire en matière de congé parental, tant pour les hommes que pour les femmes. Ils vous en informent clairement. C’est très généreux. Vous pouvez prendre douze mois, ou dix-huit mois. C’est à peu près la même somme d’argent, mais vous pouvez étaler cela sur un an, ou dix-huit mois, et votre emploi est protégé. Quand vous revenez travailler, vous avez le même emploi, personne ne vous a retiré tous vos dossiers. Tout le monde est content de vous retrouver.

Et je ne pense pas que ce soit une coïncidence. N’est-ce pas ? Je pense que les femmes de ma profession particulière ont examiné leurs options et se sont demandé : où pourrais-je faire une belle carrière, mais aussi avoir la famille que je veux ? Et ce n’est généralement pas dans le secteur privé. Et je pense que la grande différence réside dans les politiques de congé parental.

J’ai toujours été très envieuse des pays scandinaves qui ont mis en place un congé de paternité obligatoire parce que j’aime cette idée. Et nous avons un peu parlé de la remise en cause des normes sociales. J’aime l’idée de normaliser les hommes qui prennent des congés après la naissance des enfants, si vous avez une relation hétérosexuelle lorsque vos enfants sont jeunes, et de partager cette responsabilité parentale.

Je connais beaucoup de jeunes pères — lorsque je travaillais dans le secteur privé par exemple — qui auraient aimé prendre des congés lorsque leur partenaire avait eu un enfant, ou des enfants, mais qui ont eu le sentiment qu’ils ne pouvaient pas, ou ont eu le sentiment qu’ils ne pouvaient pas prendre le congé complet. Si on leur a donné trois mois, ils craignaient que s’ils prenaient les trois mois complets, on ne les considère pas comme sérieux dans leur travail, on penserait qu’ils n’étaient pas faits pour devenir partenaires. Et c’est ce qu’ils ont fait.

Et je pense que c’est comme un problème d’action collective où la seule façon d’éliminer ce genre de stigmatisation est de faire en sorte que des tonnes d’hommes prennent un congé parental. Et je ne sais pas si nous le faisons en le proposant simplement aux gens. Je me demande si nous avons besoin d’une approche plus radicale comme dans ces pays scandinaves. Où l’on dit : « Écoutez, chaque homme doit prendre trois mois, ou six mois. Si vous voulez avoir un congé parental, le père doit le prendre aussi ».

Quand j’y pense, je me dis : « Oui, pourquoi pas ? Essayons. »

LAURA : Ou même peut-être que certains hommes ne savent même pas dans leur esprit que c’est une possibilité. Comme la façon dont ils ont été élevés, ou la façon dont la société fonctionne, c’est que ce n’est même pas quelque chose qui m’appartient, ou que cela devrait faire partie de mon expérience. Donc, même briser cela culturellement, n’est-ce pas ? L’idée que le congé parental est réservé aux mères.

JESSICA : Tout à fait. Totalement. Et je pense qu’on ne brise ce genre de cycle qu’en faisant en sorte que beaucoup de pères prennent ce congé et réalisent, vous savez, que, oui, c’est vraiment difficile, mais aussi vraiment, vraiment merveilleux, et c’est une occasion de se lier à son enfant, et s’attacher à lui.

LAURA : Donc, dans cette foulée, il est clair que les hommes et les femmes doivent participer à l’effort d’éradication de la violence domestique, et à l’établissement complet de l’égalité des sexes. Je reviens à la question de la violence domestique. Cependant, vous l’avez également mentionné plus tôt, il y a aussi le rôle des enfants, n’est-ce pas ? Et de la manière dont nous éduquons nos garçons et nos filles. Alors, Thea, où voyez-vous les possibilités d’inculquer aux enfants un ensemble de valeurs qui contribueront à éradiquer la violence domestique pour les générations futures ? C’est une question à long terme.

THEA : C’est vrai. Comme nous le savons, en tant que parents et éducateurs de nos enfants, c’est un élément essentiel du processus de socialisation des jeunes filles et des jeunes garçons. Que la création d’un environnement où l’on s’attend à ce que les enfants pratiquent le contrôle de leurs émotions, pour que les filles et les garçons aient les mêmes chances, et dans certains cas, pour que les filles aient la priorité pour avancer dans leur apprentissage. Que ces pratiques peuvent aider les filles et les garçons à normaliser l’idée qu’ils ont des capacités égales, même si elles peuvent être différentes, et qu’elles ont toujours la même valeur, la même valeur dans la société.

Et à la maison, les parents peuvent, c’est une solution très simple, une solution simple, que les parents peuvent partager les tâches autour de la maison. Ils peuvent créer des occasions pour que les enfants participent à des activités que la société a longtemps considérées comme l’arène de l’un ou l’autre sexe. Permettre aux garçons de danser ; d’apprendre la danse de différentes traditions.

LAURA : Je voudrais poser un million d’autres questions, mais je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps. Mais je me demandais en fait ce que… Je voulais vous demander à toutes les deux, quels sont vos espoirs pour l’avenir ? Bien sûr, nous voulons tous l’égalité des sexes, mais quand on pense aux six prochains mois, ou à l’année à venir, dans le contexte de la pandémie, qu’espérez-vous ? Qu’aimeriez-vous imaginer ?

JESSICA : Je peux commencer. Je pense que nous en avons déjà parlé dans les réponses à presque toutes ces questions, mais quand j’étais enfant, le féminisme était pour les filles. Ma mère était féministe. Ma sœur et moi avons été élevées pour être féministes. Ma grand-mère est féministe. Je ne veux plus que le féminisme soit seulement une question de femmes. Je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui a déjà été dit. Par exemple, tout le monde doit être élevé avec des principes féministes, et l’égalité des sexes n’est pas seulement quelque chose qui compte pour les femmes, c’est important pour tout le monde.

Et, vous savez, nous avons parlé de la masculinité toxique. L’inégalité entre les sexes nuit aux garçons aussi ; elle nuit aux hommes aussi. Et je pense que nous devons cadrer la conversation de cette manière. J’ai été coupable de cela comme tout le monde. Je fais partie du conseil d’administration d’une organisation qui n’est composée que de femmes. Et je comprends tout à fait pourquoi c’est ainsi et pourquoi nous défendons les femmes au nom des femmes. Mais nous, en tant qu’organisation — et toutes les organisations féministes — devons faire un meilleur travail pour obtenir la participation des hommes et des garçons, et faire comprendre à la société en général que nous ne nous améliorerons que si nous participons tous à cette conversation, et que nous travaillons ensemble à cet objectif.

Je ne sais donc pas si cela concerne spécifiquement la pandémie, mais quand je pense à la « elle-cession » [récession ayant une plus grande portée sur les femmes], quand je pense à l’augmentation de la violence domestique qui s’est produite pendant la pandémie, j’espère simplement que les hommes et les garçons en parlent et s’en préoccupent autant que nous trois, et que beaucoup d’autres femmes le font.

LAURA : C’est vrai. Très bien dit. Thea, quels sont vos espoirs ?

THEA : J’espère que pendant cette période, surtout pendant les moments de difficulté et de détresse que beaucoup vivent avec la pandémie, juste pour se rappeler que la toux est un symptôme de COVID-19, que la violence est un symptôme de ce manque moral que nous avons dans notre société ; et que c’est une conséquence plutôt qu’une caractéristique permanente de notre société. Ce qui est parfois difficile à voir dans une crise. Et que nous devrions continuellement mettre en avant le fait que nous avons déjà les connaissances, la compréhension et la capacité de changer les choses pour le mieux. L’élimination des obstacles qui entravent l’égalité des sexes a été réalisée et continue de l’être au Canada et dans le monde entier. Et pour faire écho à ce qu’a dit Jessica, l’élimination de la violence contre les femmes n’est pas simplement une question de femmes qui doit être abordée par les femmes seules, que chacun a un rôle à jouer pour faire de l’égalité des sexes un objectif souhaité et une réalité partagée. Nous devons simplement faire le travail.

LAURA : Merci. Merci à toutes les deux d’avoir présenté ces idées vraiment perspicaces et stimulantes. Et, comme vous, j’ai aussi l’espoir que nous puissions remédier ensemble à cette inégalité entre les sexes, pas seulement les femmes pour les femmes, mais les femmes avec les hommes. Et j’espère vraiment que durant les prochains mois, au milieu de cette pandémie, nous ferons tous preuve d’ouverture pour parler de ces difficultés et d’une volonté de changer, d’avancer, de remettre en question nos vieilles idées et d’essayer de réinventer, de réimaginer et de reconstruire notre société.

Je vous remercie donc beaucoup de nous avoir rejoints dans l’épisode d’aujourd’hui du Discours public.

JESSICA : Merci de nous avoir invitées.

THEA : Oui. Merci. J’apprécie tout ce que vous avez dit toutes les deux, et les réalités que vous avez mises en lumière. Je vous remercie beaucoup.

JESSICA : De même.