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Épisode 3 : Le rôle de la collectivité
Laura Friedmann s’entretient avec Ana Serrano et Shabnam Tashakour
Le texte a été édité par souci de concision et de clarté.
Laura Friedmann (attachée de presse, Bureau des affaires publiques) : Bonjour Anna et Shabnam. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous pour cet épisode de Discours public. Notre sujet, aujourd’hui, porte sur la valeur de la collectivité. Mais tout d’abord, je vous demanderais de commencer par vous présenter et par nous dire quelques mots sur vos antécédents. Commençons par Ana.
Ana Serrano (co-présidente,Open Democracy Project): Bien sûr, merci beaucoup et c’est un plaisir d’être ici avec vous deux. Je m’appelle Ana Serrano et je porte plusieurs chapeaux.
Certains savent que je suis Ana Serrano, directrice des médias numériques du Centre canadien du film. Et donc, à cette fin, cette collectivité particulière se concentre sur la collectivité des médias numériques du Canada et sur les artistes qui sont des praticiens du numérique. Certaines personnes me connaissent comme co-présidente du projet Open Democracy, et aussi comme la co-directrice du sommet DemocracyXChange. Donc, dans cette collectivité particulière, tout tourne autour des personnes qui font partie du secteur des nouvelles démocraties. Je me joindrai bientôt à une nouvelle collectivité quand j’assumerai mon rôle de présidente et de vice-chancelier de l’université OCAD. Cette collectivité sera composée d’étudiants, de professeurs et de parties prenantes associées à l’enseignement supérieur.
Voilà donc qui je suis, côté travail. Mais, du côté personnel, je suis aussi immigrante de première génération ; je suis Filipino canadienne. Je m’identifie beaucoup comme quelqu’un qui appartient à ce type de collectivité hybride de femmes de couleur, ainsi qu’à une première génération d’immigrants, mais résolument canadienne de par la façon dont j’ai grandi. Je suis sûre que beaucoup d’entre vous, qui nous écoutent, peuvent également s’identifier à ce type de personnes. Je suis aussi mère.
Laura : Très bien. Je suis heureuse que vous soyez en mesure de puiser dans toutes ces expériences et connaissances, et c’est vraiment formidable de vous avoir avec nous. Je vous remercie. À votre tour, Shabnam.
Shabnam Tashakour (membre du Corps continental bahá’í des conseillers pour les Amériques) : Je m’appelle Shabnam Tashakour et je travaille dans le domaine du développement communautaire. Je suis également enseignante. J’ai deux jeunes enfants, deux garçons. Et je suis venue au Canada quand j’étais jeune, nous fuyions la persécution des bahá’ís en Iran. Je suis heureuse d’y avoir élu domicile.
Je suis une haute responsable de la communauté bahá’íe en tant que membre du Corps continental des conseillers pour les Amériques. Je travaille avec les institutions et les communautés bahá’íes, en particulier au Canada, et les aide dans leurs efforts d’éducation, de développement communautaire, d’action sociale et de développement social et économique.
Laura : Vous savez donc que durant cette pandémie, les gens passent la plupart de leur temps près de chez eux et s’efforcent de limiter leurs contacts physiques avec d’autres. Si vous vous promenez dans la rue, vous remarquerez peut-être des panneaux dans les fenêtres et sur le trottoir, des messages à la craie qui disent : « Nous sommes tous dans le même bateau ! » Vous voyez de beaux cœurs. Des familles qui ont des enfants affichant des dessins pour que les voisins puissent les voir et se sentir encouragés. Et nous commençons à voir que ces relations sont une partie essentielle de notre tissu social.
Mais il y a aussi, dans cette situation, beaucoup d’épreuves. Des épreuves qui surviennent en raison de la séparation ; ou du fait que l’on partage un même espace, jour après jour ; il y a des difficultés financières. Et je me demandais si vous pouviez nous faire part un peu de vos réflexions sur la nature de la résilience dans le contexte actuel ? S’agit-il simplement de passer au travers de cette période, ou de nous dire que nous pouvons y arriver ? Ou s’agit-il de faire quelque chose de plus profond et de plus permanent qui nous permettra de nous transformer individuellement et collectivement ?
Ana : Eh bien, je pense que ce qui me touche en ce qui concerne la résilience est l’idée que c’est peut-être bien un aspect essentiel de notre nature. Notre culture est tellement préoccupée par le rendement, nous sommes constamment poussés àêtrequelque chose, ou àexcellerdans quelque chose, ou àproduirequelque chose, ou àréaliserquelque chose. Ce qui s’est passé, c’est que ce genre de concepts — qui, il y a peut-être cent ans, étaient considérés comme un état naturel, si vous voulez, ou l’état de ce que cela signifie d’être (humain) — sont maintenant considérés comme des objectifs à atteindre.
Je pense donc que la résilience est l’une de ces choses. Nous apprenons des choses comme : « Il faut développer notre résolution, développer notre résilience ». Même le langage, le langage épidémiologique, nous dit : « Je dois renforcer mon immunité ! »
Il y a toutes ces choses que l’on peutsaisir, pour ainsi dire, plutôt que d’êtreelles. Je pense que ce qui est intéressant dans la notion de résilience aujourd’hui — sans pour autant ignorer les défis que certaines personnes ont certainement à surmonter, comme le fait que tous ne sont pas assez privilégiés pour avoir un domicile pendant cette crise, ou pour avoir de la nourriture, ou pour avoir une famille qui les soutienne. Certaines personnes ont certainement d’immenses défis à relever. Mais ce qui est intéressant, c’est que malgré cela, ou en dépit de cela, il est clair que nous sommes plus capables de nous adapter que nous sommes susceptibles de ne pas le faire. Nous sommes en fait capables de voir à quel point nous sommes plus résistants intérieurement ou naturellement que nous ne le pensions.
Et je pense qu’il y a quelque chose à célébrer concernant cette notion de résilience en tant que chose à laisser se développer en nous, par opposition à une chose à rechercher à partir d’une compréhension extérieure à celle-ci. Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire.
Shabnam : Oui, tout à fait.
Ana : Et parfois, le simple fait de se taire nous aide à le faire, vous savez ? Alors vous créez cette cadence d’une vie plus limitée. Et puis vous commencez à comprendre… Peut-être que vous commencez à remarquer davantage certaines choses.
Laura : Oui. Quand vous dites tout cela, je continue de penser que ce moment est une occasion de se replier sur soi et de s’occuper de ces processus personnels qui se produisent en nous. Mais nous avons aussi la collectivité à l’extérieur de nous. Shabnam, vous travaillez avec les communautés, et vous travaillez avec les bahá’ís partout au pays. Vous les aidez à renforcer leurs modèles de construction communautaire dans ce contexte, n’est-ce pas ? Dans le contexte d’une crise. Il est impossible pour beaucoup d’entre eux de se rencontrer en personne, et cela a eu un effet. Comment voyez-vous les membres de ces communautés s’adapter de manière constructive à ces nouvelles circonstances ?
Shabnam : Je pense qu’un des niveaux de réponse des membres de la communauté bahá’íe a été de se concentrer sur la santé et le bien-être de toutes les collectivités auxquelles ils appartiennent. Partout au pays, nous avons mis en place dans les quartiers un processus de construction communautaire qui a encouragé la participation de personnes de toutes origines, de toutes religions, de toutes cultures et de toutes nations.
C’est là une force abondante présente dans ce pays. Nous voyons tous les gens comme des protagonistes d’un processus de construction communautaire. Il y a donc des efforts de sensibilisation, pour qu’on prenne conscience et acquière certaines connaissances, qui pourraient protéger tout le monde durant cette pandémie. Ces efforts s’appuient sur les talents des membres de la communauté, qui s’expriment dans leur propre voix, dans leur propre langue. Les jeunes sont à l’avant-garde de ces efforts, et ils utilisent des moyens imaginatifs. Un autre domaine d’intérêt a été de savoir comment une communauté pourrait être une source d’espoir et d’inspiration.
Et comment cultive-t-on ce sentiment de dépendance à l’égard d’une source supérieure ? J’ai entendu un exemple très émouvant dans une collectivité indigène du nord de la Colombie-Britannique. Au fur et à mesure que des cas y étaient découverts, certaines des familles ont commencé à prier ensemble par téléphone. Et dans ce contexte sont nées des conversations sur la santé et le bien-être de la collectivité.
Un autre aspect de l’effort a été d’apprendre à utiliser la technologie pour créer des liens entre les gens, à utiliser la technologie pour élever la pensée, à utiliser la technologie comme moyen de connexion et d’éducation. L’utilisation de la musique, l’utilisation de belles vidéos qui inspirent et élèvent, l’utilisation d’histoires. Cela prend un nombre infini de formes partout au pays au niveau de la base, et aussi parmi les artistes de métier.
C’est donc un aspect de la question. Les efforts éducatifs de la communauté bahá’íe favorisent vraiment le développement des arts sur le terrain. Nous avons vu que les arts libèrent des forces spirituelles qui élèvent les cœurs.
Et, à un autre niveau, beaucoup d’efforts ont été faits pour appuyer l’éducation des jeunes, sous la forme de contenu et de matériel à l’usage des parents pour aider les enfants à avoir confiance et assurance. Il y a eu d’autres efforts de la part de jeunes qui ont pris en charge des enfants et des jeunes de onze à quatorze ans pour s’assurer qu’ils aient de l’aide pour faire leurs devoirs, depuis que les programmes scolaires ont été perturbés.
Mais il y a aussi des efforts pour favoriser des conversations qui les élèvent, qui les inspirent à servir leur collectivité. Dans tout le pays nous constatons que bien des jeunes de cet âge, en particulier des jeunes de 11 à 14 ans, sont consommés par les médias sociaux. Ils passent toute la nuit avec les médias sociaux et dorment ensuite pendant la journée. Nous travaillons pour mobiliser les familles et la collectivité et travailler avec elles pour aider ce groupe d’âge à participer à des conversations sérieuses sur les services à rendre à leur collectivité. Cela exige souvent la création d’un horaire quotidien qui prend en considération leurs besoins physiques, qui les stimule intellectuellement et spirituellement à cultiver certaines qualités, mais qui les incite aussi à servir leur collectivité.
Il a fallu plusieurs semaines pour comprendre certaines de ces choses, mais nous redoublons nos efforts, ce qui est vraiment fantastique.
Laura : Il semble que vous faites allusion à l’idée que nous entrons maintenant dans un nouvel espace. Peut être que cela nous est inconnu, mais ce serait une nouvelle façon de penser ou d’être qui naîtrait de cette crise. Je pense que nous nous sommes beaucoup demandé « Quand les choses reviendront à la normale, comment serons-nous ? », « Quand les choses reviendront à la “normale”, seront-elles comme avant, ou différentes ? » Mais nous aussi nous aurons été changés par la crise.
Alors, Ana, je me demandais, comment pensez-vous que nous nous adaptons ? Et quelles sont les choses qui dureront, quand nous sortirons de cette pandémie ?
Ana : Je pense que si nous parvenons à être attentifs, nous pourrons voir que — dans la prochaine itération de notre société — il pourrait y avoir bien des choses que nous pensions importantes, dont nous pensions avoir besoin, et dans lesquelles nous avons investi tous nos efforts, qui, en fait, ne sont pas importantes. Un nouvel ensemble de valeurs émergent et nous nous rendons compte qu’elles ont une bien plus grande importance pour nous. Si nous prêtons attention à notre situation actuelle, ces idées pourraient se concrétiser. Mon espoir et mon rêve sont que c’est cela que les gens font. J’espère que par des conversations comme celle-ci, nous ferons ressortir ces idées que nous découvrons en prêtant attention aux conditions actuelles de notre existence, et que nous nous disions : « Oh, vous savez quoi ? Vous savez, c’est en fait cela qui compte, l’art et la culture ».
Le fait que nous vivions cette pandémie et la seule chose qui nous lie tous est d’entendre les gens chanter et de voir comment l’art nous aide à passer au travers et nous permet d’exprimer ces sentiments enfouis pour lesquels nous n’avons pas trouvé d’expression, mais c’est ainsi que nous trouvons un moyen de partager cela avec les autres, n’est-ce pas ?
Voilà une de ces idées. Mais il y en a beaucoup d’autres, et je pense que si nous pouvions comprendre ce que sont ces choses, et dire : « Eh bien, voilà ce qui compte ». Alors nous pourrions peut-être construire une société qui soit plus propice au développement de l’être tout entier, comme vous l’avez dit, Shabnam,un être qui s’intéresse à la fois à la société matérielle et à la dimension spirituelle de cette société.
Laura : Merci. J’aime cette idée d’être attentifs, et certainement pour moi, ce genre de conversations a été incroyablement utile durant la période actuelle. Vous savez, ça me manque de marcher dans la rue, ou d’aller quelque part pour me connecter avec les gens pour avoir ce genre de conversations. Je voulais revenir à cette question de la résilience. Shabnam, je me demandais ce que vous pensiez de l’importance de la collectivité locale pour aider à créer une certaine résilience face au défi actuel ?
Shabnam : Je pense que ce concept qu’un individu ne peut pas être séparé de son environnement, doit être considéré. Nous n’avons vraiment pas été conçus pour être solitaires et seuls. Le changement dans l’être intérieur d’une personne est en partie déterminé par son environnement, et la condition d’une personne a une portée sur son environnement. Je pense qu’une chose à laquelle il est peut-être utile de réfléchir lorsque nous pensons à une collectivité est cette idée qu’une collectivité n’est pas seulement une somme d’individus réunis.
Une façon de concevoir une collectivité est de la considérer comme un tout organique. Le corps humain est composé de cellules, mais les cellules individuelles ne peuvent pas fonctionner en dehors de l’ensemble. Il y a une interconnexion inhérente et, en raison de la culture consumériste de la société, nous avons cette conception de l’individu souverain, séparé de tous les autres, qui se préoccupe uniquement de répondre à ses propres besoins.
Mais ce n’est pas notre véritable nature. C’est notre nature d’avoir une relation avec la famille humaine dont nous faisons partie, dans nos quartiers, dans nos sociétés, dans le monde. Nous sommes un. Mais notre façon de penser à la collectivité locale prend une grande importance parce que, d’une certaine manière, je pense que nous vivons à une époque où il y a des forces à l’œuvre qui font avancer l’humanité vers son unité. Ce qui est un processus à très long terme. Mais ce processus doit commencer par un processus de développement des capacités dans des cadres plus restreints. Où les gens forment une collectivité les uns avec les autres.
Une collectivité ne peut pas être renforcée seulement par quelques dirigeants, ou par quelques familles dirigeantes, ou par une famille nucléaire ayant un seul chef de famille. Ces conceptions ne sont pas adaptées à l’époque où nous vivons, alors que l’humanité traverse un processus de maturation à long terme, tout comme dans la vie d’un individu. Nous passons par les étapes de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge adulte, et nous prenons davantage les habitudes d’un adulte. Nous devons apprendre à quoi ressemble une vraie collectivité.
Nous pouvons nous promener dans un quartier et dire, si nous lisons la situation d’une optique purement matérialiste : « La pauvreté existe dans ce quartier ». Ou bien, nous pourrions venir et dire : « Regardez les relations qui existent entre les gens. Regardez dans quelle mesure ils dépendent les uns des autres et s’entraident de différentes manières. » Ce sont les choses que nous regardons avec une perception spirituelle qui va au-delà des seules conditions matérielles.
Nous pouvons aussi nous demander : comment pouvons-nous travailler pour voir le potentiel de chacun, collaborer avec nos institutions, collaborer avec les familles, et réfléchir à la manière dont nous pouvons bâtir une communauté où chacun est un protagoniste et où chacun a un rôle à jouer ? Et nous avons la conviction que nous pouvons réellement grandir et nous développer.
Ana : Eh bien, c’est drôle parce que je pense que c’est un moment étrange. Parce que bien sûr, la communauté locale est importante, mais… Donc je vais juste parler pour moi. Je connais mes voisins, mais je me sens bizarre de frapper à leur porte maintenant. Vous voyez ce que je veux dire ? Parce que vous n’êtes pas censé le faire. Une des choses que je souhaite vraiment… Et je suis une personne du type technologie anti-surveillance, vous savez ? Je suis très méfiante quant à l’utilisation des technologies numériques pour soutenir une initiative de politique publique de type gouvernemental sans aucune attention portée à la vie privée et à la sécurité. Mais cela dit, je suis du genre : « Si seulement je pouvais connaître le numéro de portable de tout le monde ! » Parce que j’aimerais bien savoir comment tout le monde se débrouille autour de moi. Parce que je ne crois pouvoir frapper à leur porte.
C’est donc une période très intéressante, car pour les mêmes raisons que nous devons repenser notre mode de vie, nous devons peut-être réexaminer notre façon de penser aux technologies habilitantes et au fait qu’il existe des utilisations réelles de celles-ci en termes d’infrastructure numérique. Si nous pouvions juste mettre en place des cadres éthiques corrects, cela pourrait vraiment aider à soutenir ce type de développement communautaire que nous voulons promouvoir, tout en faisant attention aux conséquences involontaires qui peuvent être assez lourdes lorsque vous déployez des technologies comme celle-là au hasard, vous savez ?
C’est une chose à laquelle je réfléchis beaucoup. Je me demande comment le faire. Comment nous assurer que nous pouvons réellement déployer les outils que, en tant que société, nous avons été assez intelligents pour créer ?
Laura : Ana, c’est une excellente transition vers la prochaine question que j’aimerais vous adresser, parce que je sais que vous avez beaucoup travaillé sur les processus de renforcement de la démocratie. Je me demandais si vous pourriez nous faire part de vos réflexions sur la manière dont nous pouvons conserver cet aspect participatif de la démocratie tout au long de ce processus. Quelle est votre vision de la démocratie au sortir de cette crise ?
Ana : Eh bien, je pense que c’est exactement ce dont Shabnam a parlé en fait. Il s’agit d’une approche plus intégrée de la manière dont les individus, les communautés et les institutions travaillent ensemble.
Certaines choses peuvent être du ressort de certaines régions, comme les tests, par exemple, dans le cas des provinces. Elles ont le contrôle sur la manière dont les gens se font dépister : combien, où, comment et quand, mais les conséquences de l’absence de dépistage ou de l’existence de nombreux tests se font sentir au niveau municipal et communautaire.
Alors, dans quelle mesure les communautés ont-elles un rôle à jouer pour essayer de maintenir la sécurité de leurs membres ? Il est certain qu’elles déploient des technologies pour essayer de déterminer comment tester, suivre, puis isoler et mettre en quarantaine. Certaines de ces technologies vont-elles être téléchargées dans les communautés ? Puis, tout d’un coup, les communautés se feront imposer d’être surveillées d’une manière qu’elles ne souhaitent peut-être pas.
Un bon exemple est cette « ligne de dénonciation » qui a été créée, et qu’on peut appeler si l’on vous voit ignorer l’éloignement sanitaire. Toutes ces questions soulevées par la pandémie attirent l’attention sur le fait que différents acteurs d’une démocratie partagent des responsabilités et que nous ne savons pas exactement quels peuvent être ces rôles et responsabilités. Il faut espérer que quelque chose comme cela nous aidera à résoudre certains de ces problèmes.
Laura : Et si vous voulez bien ajouter quelque chose, que pensez-vous — vous y avez déjà fait allusion — mais quel est le rôle que les arts ont à jouer dans tout cela ?
Ana : Eh bien, je pense que ce n’est pas seulement le rôle des arts, mais je pense à ce qui est important. Cette pandémie a provoqué une crise existentielle pour tout le monde, vous savez ? Qui sommes-nous ? Qu’est-ce qui nous intéresse ? Qu’est-ce qui nous tient à cœur ? Pourquoi sommes-nous ici ? Sommes-nous simplement des spécimens biologiques et des espèces qui vont se développer pour former de grandes populations et être décimées de la même manière que d’autres espèces ont développé de grandes populations et ont été décimées ?
Cela met vraiment en évidence la petitesse de l’humanité par rapport au contexte universel beaucoup plus large ; le contexte universel planétaire. La question qui se pose alors est la suivante : bâtissons-nous des civilisations de manière à mettre l’accent sur les choses qui nous importent le plus ?
Je pense que c’est ce à quoi nous devons réfléchir lorsque nous envisageons des réponses politiques à long terme à cette pandémie. Comment commencer à créer un nouveau contrat social entre les citoyens, entre eux et avec leurs gouvernements, afin que nous commencions à accorder de la valeur aux choses qui comptent le plus et à y investir des efforts ?
Laura : Vous avez abordé cette idée des valeurs — en fait, vous l’avez fait toutes les deux — je vais peut-être vous le demander à tous les deux. Il y a le sacrifice pour le bien d’autrui, le service, peut-être même la patience face aux difficultés, juste le fait de devenir plus conscient. Y a-t-il d’autres valeurs que vous jugez importantes et qui nous aideront à progresser collectivement dans ce domaine et que nous n’avons pas abordées ?
Ana : Je pense que l’humilité est une grande valeur. C’est que (nous devons) sortir de cette situation avec un sentiment d’humilité face à ce remarquable virus, vous savez ? Il est si petit, et pourtant il peut faire tomber des sociétés. Je ne sais pas… Nous devons cesser d’être une société axée sur l’ego.
Laura : Shabnam, avez-vous d’autres idées ?
Shabnam : Oui, je pense que cette qualité de vouloir servir autrui et le fait de faire passer les besoins des autres avant les nôtres en font partie. Si nous regardons nos sociétés au Canada, qui est la combinaison de tous les éléments de l’humanité réunis en un seul endroit : dans la culture canadienne, il y a eu cette tendance d’altruisme chez les gens qui se soucient les uns des autres, et aussi dans bien des sociétés dont nous sommes issus, la communauté est très forte. Mais ici vous entrez dans une société de consommation, et c’est vraiment l’individu et ses besoins qui passent avant tout.
Je pense que nous devons vraiment réfléchir à cet attribut. Quel est le type de service qui est propice à l’avancement d’une civilisation spirituelle qui est centré sur la reconnaissance de l’unicité de l’humanité. Ce n’est pas seulement que l’on agit dans un esprit de fraternité envers les gens ; il faut en fait commencer à changer les structures mêmes de la société, les systèmes économiques et les systèmes de gouvernance.
Laura : Vos deux commentaires me rendent très enthousiaste quant à la possibilité de nous réinventer en ce moment. C’est agréable de ressentir cela dans des moments où il est très facile de ressentir le contraire. Shabnam, ou Ana, quel est votre espoir pour les changements qui pourraient en découler ? Avez-vous d’autres idées sur ce que vous espérez qui pourraient en découler ?
Ana : J’espère que cette expérience nous rendra si humbles que nous prendrons le temps de réfléchir à ce qui compte vraiment pour une société et de la bâtir dans ce sens. Et j’espère que ce qui compte pour nous en tant que société, c’est la justice, l’égalité, l’intégration, la diversité, ainsi que toutes les autres choses comme la joie, et un objectif renouvelé et revigoré, et des choses comme ça.
Laura : Magnifique !
Shabnam : Je pense que cela nous a donné l’occasion d’aborder certains thèmes et discours collectifs qui ont fait défaut depuis un certain temps. Je pense que cela est prometteur pour l’avancement de la conscience de l’humanité dans son ensemble, ainsi que pour les individus et les communautés.
En outre, je pense que ces valeurs d’action collective internationale, qui ont été une puissante tendance dans le discours partout dans le monde, ont perdu de leur influence parce qu’elles ont été assaillies par les forces du racisme, du nationalisme et du factionnalisme.
Je pense que nous devons également examiner l’origine de ces choses ? Dans quel genre de monde voulons-nous vivre ? Comment progressent ces forces qui œuvrent pour l’unité de l’humanité et pour la paix et la sécurité de tous ? Et pas seulement une paix politique, mais une condition des relations entre les personnes et des relations essentielles dans la société et dans les structures de la société qui préservent la dignité de tous et l’unité de tous.
Ana : C’est un bon endroit pour conclure !
Laura : Merci ! Merci beaucoup à vous deux d’être ici. Je l’apprécie vraiment, et j’espère que vous passerez une merveilleuse journée.