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La religion et l’engagement civique

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La relation qui existe entre la religion et l’engagement civique est un thème important qui mérite d’être considéré dans le contexte du discours public canadien sur le besoin d’obtenir une plus grande participation à la vie de la société, de promouvoir le pluralisme et de s’attaquer au problème de la radicalisation. Le présent document présente une série de réflexions sur diverses façons par lesquelles la religion peut favoriser l’engagement tout autant qu’elle peut lui nuire. Pour les fins de ce document, nous considérerons la religion comme un système de connaissances et de pratiques qui harmonise une croyance au transcendant et un mode de vie collectif. Ces réflexions ont leur origine dans les enseignements et l’expérience de la communauté bahá’íe du Canada et dans notre observation du discours contemporain sur la religion et la citoyenneté. Nous espérons que cette exploration de la relation qui existe entre ces sujets éclairera des aspects importants des défis que pose la politique publique contemporaine à tous les paliers gouvernementaux et éveillera la conscience publique sur le rôle potentiel de la religion dans la société civile.


Comment la religion peut-elle appuyer l’engagement civique?

La religion telle que nous l’avons décrite plus haut lie l’individu à Dieu et lui fournit un rôle significatif dans la société. Un aspect important de la vie religieuse est l’étude des écrits saints et des traditions. Ces contacts avec les enseignements religieux et les efforts pour les mettre en pratique exercent une influence déterminante sur la compréhension qu’ont les citoyens de leurs droits individuels, et de leurs responsabilités envers les autres et envers le bien commun. Par l’étude et la pratique religieuse, une personne en vient à saisir la signification de la vie, une signification qui est liée à des fins spirituelles et sociales plus larges. Une façon de décrire cette signification de la vie est de dire qu’elle comporte un but moral double : celui d’améliorer continuellement sa propre condition spirituelle et celui de contribuer au bien de la société. On retrouve cette notion d’un but moral dans pratiquement toutes les traditions religieuses.

Par conséquent, la religion peut aider une personne à voir sa vie comme un parcours de développement au cours duquel les actions qu’elle prend pour améliorer le monde qui l’entoure servent à manifester consciemment ses croyances. Elle admet que le monde exerce une influence sur elle, mais reconnaît aussi qu’elle a la capacité d’exercer une influence positive sur lui. Cela peut aider la personne à s’assumer et à développer une certaine endurance pour répondre constructivement aux difficultés de la vie. Cette personne observe l’injustice qui l’entoure — par exemple dans la structure des relations économiques et dans les préjugés dont elle fait l’objet tous les jours. Cependant, le fait qu’elle croit qu’il est possible d’avoir une société plus unie et plus juste et que chaque personne a une responsabilité morale de contribuer à créer de telles conditions peut l’inciter à lutter contre les forces de l’apathie et de la léthargie qui pourraient l’empêcher de travailler à bâtir un monde meilleur.

En plus de renforcer l’engagement d’une personne à travailler pour l’unité, la justice et le bien commun, la religion peut aussi aider à organiser la vie de la société en rassemblant les gens au sein de communautés qui sont capables d’entreprendre des actions collectives. Les communautés confessionnelles sont souvent caractérisées par une variété d’activités qui peuvent aller de petits groupes d’étude et de réunions de prière à des cours pour enfants et à des réunions ouvertes à tous les citoyens de la ville. On croit parfois à tort que de telles activités ne servent que les intérêts des personnes qui sont religieuses. Elles peuvent au contraire servir à multiplier dans la société civile — ce domaine d’association publique qui existe entre les individus et l’État — les groupes organisés qui renforcent le tissu social. Elles favorisent le développement de réseaux sociaux et l’établissement de relations de confiance et de réciprocité, qui à leur tour encouragent une plus grande coopération sociale. Les chercheurs en sciences sociales considèrent que le développement de ce type de capital social est essentiel au fonctionnement de la vie en démocratie et à l’efficacité des institutions publiques. Mais ce capital social peut être amoindri par l’individualisme, le matérialisme et une trop grande dépendance envers certaines technologies qui risquent de réduire la fréquence et l’intensité de nos relations en personne. La vie sociale des communautés confessionnelles aide à développer le capital social et à promouvoir les actions bénévoles des citoyens en faveur de causes publiques.

Les enseignements religieux fournissent aussi le langage qui sert à décrire et à donner forme aux relations d’interdépendance entres les personnes, les communautés et les institutions d’une société. Le discours religieux va au-delà des descriptions des relations sociales qui sont inspirées des sciences économiques, qui mettent l’accent sur les relations employeur-employé ou producteur-consommateur. Il transcende le langage politique, qui, lui, s’intéresse aux clivages sociaux, à la polarisation, à la compétition entre les groupes, aux luttes de pouvoir et aux intérêts divergents. Il est en mesure de fournir toute une gamme de concepts qui décrivent les vertus civiques d’un citoyen, les qualités d’une société juste et unie et les valeurs des institutions publiques. Une grande part de ce langage est en harmonie avec d’autres systèmes de pensée, mais il possède la capacité unique de puiser dans des sources profondes de signification et de motivation.

Comment la religion peut-elle nuire à l’engagement civique?

Bien qu’elle soit en mesure de faire une contribution positive à la vie publique, nous devons aussi reconnaître que la religion, tel que certains la comprennent et la pratiquent, a le potentiel de nuire à l’engagement civique. Premièrement, les groupes sectaires peuvent encourager la création de communautés qui sont tournées vers l’intérieur en traçant une circonscription nette des gens qui en font partie et ceux qui n’en font pas partie. Plutôt que de participer à la société et de travailler à la transformation sociale, les communautés confessionnelles qui sont tournées vers l’intérieur espèrent créer un modèle de vie qui sera remarqué et possiblement imité par d’autres. Au mieux, ce mode de vie encourage l’indifférence envers l’engagement civique, et la préoccupation principale de ses membres est le bien de leurs coreligionnaires. Au pire, cette tendance vers l’isolement culturel produit un mode de vie qui mène au préjugé et à l’hostilité envers les étrangers.

Deuxièmement, privée d’une appréciation pour la science et pour la pensée rationnelle, la pensée religieuse peut favoriser les superstitions en ignorant systématiquement les dimensions sociales, économiques et politiques du monde. On réagit alors au changement climatique, aux inégalités mondiales et à l’oppression systémique par la dénégation ou le fatalisme. L’unité et l’unicité fondamentales de la race humaine sont rejetées en faveur d’une version d’exclusivité religieuse selon laquelle seules certaines personnes méritent de s’épanouir. Le pouvoir de la technologie et de la médecine moderne de promouvoir le bien des êtres humains est rejeté arbitrairement en faveur d’une version réifiée ou imaginée du passé. Des habitudes de pensée anti-rationnelle peuvent aussi faire un grand tort à la société. Une obsession de préoccupations métaphysiques ou de notions ésotériques peut donner lieu à de fausses perceptions au sujet de la société et, dans certains cas, mener au radicalisme et à un extrémisme violent. Les groupes qui croient à des scénarios apocalyptiques et à une division du monde entre les royaumes des bons et des méchants ont exercé des influences extrêmement destructrices.

Troisièmement, les idées religieuses qui se préoccupent du bien de l’individu à l’exclusion du reste de la société peuvent promouvoir la passivité et l’indifférence. Quand la vie religieuse est comprise en termes de thérapie, les individus perçoivent les pratiques spirituelles comme étant des méthodes d’autoprise en charge. Au lieu d’unir les individus à la société, cette forme contemporaine de pratique religieuse ou spirituelle isole en réalité le croyant du monde de la société et l’incite à chercher le réconfort dans la contemplation individuelle.

La religion, la politique et la citoyenneté

Une des hypothèses de base du présent document est que la religion devrait être la cause du bien de la société et qu’elle devrait renforcer la participation des citoyens à la vie de la collectivité. Cette hypothèse va à l’encontre d’un courant de pensée répandu, selon lequel la sécularisation des sociétés est désirable ou inévitable. Si nous rejetons cette école de pensée, il nous faut répondre au besoin de décrire le rôle de la religion dans les sociétés modernes et pluralistes. La raison pour laquelle il est utile de discuter des diverses façons par lesquelles la religion peut favoriser l’engagement civique ou lui nuire est qu’une telle discussion nous permet de porter une plus grande attention sur les questions normatives qui ont trait au rôle de la religion dans la vie publique. Ceux qui demandent qu’on accorde une plus grande place à la religion dans la sphère publique doivent reconnaître les tendances négatives qui existent dans de nombreuses collectivités confessionnelles et doivent se concentrer sur les efforts qui doivent être faits pour les rectifier. Les diverses religions possèdent cependant une grande réserve de possibilités, dans laquelle on peut puiser pour renforcer l’engagement civique dans la vie publique du Canada. Cet effort vaut la peine d’être fait et il demande que nous ayons une conversation plus dynamique au sujet de la relation qui existe entre la religion, la citoyenneté et la politique.

Le rôle de la religion dans la vie de la société est parfois défini étroitement pour ne référer qu’à la participation des collectivités confessionnelles dans une lutte pour le pouvoir. On a vu que cette stratégie d’engagement politique présente de multiples problèmes. Le pouvoir de la religion de lier les croyances transcendantes et la mobilisation sociale à la transformation temporelle est diminué par les types de compromis pragmatiques qui sont souvent faits sur le chemin qui mène à l’influence politique. Ce pouvoir s’exerce le mieux dans la vie quotidienne des citoyens alors qu’ils contribuent à l’amélioration de leur quartier, de leur communauté et de leur lieu de travail, par des efforts concertés pour appliquer les préceptes moraux et éthiques universels de leurs enseignements religieux. Ce pouvoir peut être perdu quand les croyants lient leurs croyances à l’appartenance à une force politique ou à un groupe de pression qui se servent de tactiques divisives pour poursuivre un ensemble de politiques. Dans le passé, les changements sociaux les plus durables se sont produits dans la sphère de l’action sociale bénévole et du discours public engagé.

Comment donc pouvons-nous travailler en vue d’une meilleure relation entre la religion et l’engagement civique? Quelles sont les questions qui doivent être abordées par les dirigeants religieux et par les collectivités confessionnelles, et quelles sont celles qui devraient être débattues publiquement? Comment comprenons-nous le rôle de la religion dans le développement des qualités d’un bon citoyen? Quel rôle les groupes religieux devraient-ils jouer dans la politique, et à quel point leur rôle dans l’élaboration de politiques publiques devient-il contre-productif et divisif? Comment les groupes confessionnels devraient-ils restructurer le dialogue interreligieux afin de promouvoir un plus grand engagement civique? Quels autres forums existent où cette conversation pourrait s’élargir?


La Communauté bahá’íe du Canada collabore avec un certain nombre de personnes à l’élaboration de contributions à la réflexion sur des questions importantes pour la société.

Ce document présente une réflexion qui aide à éclairer le travail de notre communauté pour participer aux discours publics du Canada. Il ne s’agit pas d’un exposé de position ou d’une déclaration officielle de la Communauté bahá’íe, mais plutôt d’un ensemble de réflexions qui s’appuient sur les enseignements bahá’ís et l’expérience de la communauté alors qu’elle s’efforce de les appliquer à l’amélioration de la société.

Vous pouvez adresser vos propres réflexions ou commentaires sur ce document, en écrivant à affairespubliques@bahai.ca.