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Balado : Le discours public

Épisode 5 : L’Éducation et le progrès de la société

Nous nous entretenons avec Anne Snyder et Eric Farr au sujet des caractéristiques d’un processus éducatif pouvant donner aux gens les moyens de contribuer au progrès social. Anne Snyder est rédactrice en chef du magazine Comment et Eric Farr est étudiant en doctorat à l’université de Toronto.
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Ce texte a été modifié pour des raisons de brièveté et de clarté.

LAURA FRIEDMANN (animatrice) : Les écoles et les enseignants sont de plus en plus conscients du rôle de l’éducation dans la promotion du progrès social. Cependant, les discussions profondes sur la justice et l’équité sont souvent distinctes d’une réflexion sur l’éducation morale et spirituelle des enfants et des jeunes. Quelle est la relation entre l’éducation morale et le progrès social ?

Je m’appelle Laura Friedmann et ceci est Le discours public, un balado du Bureau des affaires publiques de la Communauté bahá’íe du Canada.

Voici le cinquième épisode de notre série « Une vision de l’unité » inspirée par le centenaire de la disparition de 'Abdu’l-Bahá, une figure centrale de la foi bahá’íe qui a consacré sa vie à promouvoir la foi de son père.

Lors de son séjour à Montréal en 1912, ‘Abdu’l-Bahá a prononcé une série d’allocutions publiques dans lesquelles il a souligné, entre autres, l’importance de l’éducation. Il a également parlé du type d’éducation dont les enfants ont besoin, c’est-à-dire une éducation à la fois spirituelle et scientifique. Tout en soutenant l’importance de l’éducation scientifique et technique, il a également mis en garde contre une vision strictement matérielle de l’éducation. Il est nécessaire, a-t-il dit, de dispenser une formation et une éducation systématiques dans les écoles et les collèges jusqu’à ce que l’esprit de chacun s’éveille et s’épanouisse dans des domaines supérieurs de pensée et de perception. L’éducation intellectuelle et spirituelle affirmait ‘Abdu’l-Bahá, est essentielle au progrès social.

Pour réfléchir sur le thème de l’éducation et du progrès social, nous accueillons aujourd’hui Eric Farr et Anne Snyder. Bienvenue Eric et Anne.

Pourriez-vous vous présenter s’il vous plait ? Pouvons-nous commencer par Anne ?

ANNE SNYDER (rédactrice en chef, de la revue Comment) : Bien sûr. Je m’appelle Anne Snyder. Je suis la rédactrice en chef de la revue Comment, qui est une revue canadienne, bien qu’elle desserve toute l’Amérique du Nord. Notre slogan est : « Une théologie publique pour le bien commun ». J’ai une certaine expérience de la discussion sur le caractère moral et sur les questions de formation du caractère moral. Je suis donc très heureuse d’être ici aujourd’hui.

LAURA : Je suis très heureuse de vous accueillir aujourd’hui. Merci de vous joindre à nous. Et Eric ?

ERIC FARR (doctorant, Université de Toronto) : Je m’appelle Eric Farr et je suis actuellement candidat au doctorat à l’Université de Toronto pour le département d’étude des religions. J’ai travaillé pendant plusieurs années dans le cadre de divers programmes éducatifs d’inspiration bahá’íe.

LAURA : J’aimerais commencer par vous, Anne. Ces dernières années, vous avez écrit sur le rôle de la moralité dans le processus de renouvellement social. Je me demande si je peux vous demander de commencer par décrire la signification du terme « personne morale » et comment cela s’exprime dans les processus éducatifs.

ANNE : Bien sûr. Je vais essayer. Je pense que la moralité est l’une de ces choses fondamentales au sujet desquelles nous sommes portés à dire, « Nous la reconnaitrons quand elle se trouvera devant nous. Il est plus facile de l’attraper que de l’enseigner, de l’absorber et de l’imiter plutôt que de l’énoncer et d’en faire la leçon… » Il est souvent difficile de la définir, en partie parce qu’elle fait partie intégrante de ce que nous sommes en tant qu’êtres humains, en partie parce qu’elle est dynamique et qu’elle fait à la fois partie de notre propre identité, mais aussi parce qu’elle est façonnée et formée par des forces extérieures à nous-mêmes, et en partie parce que, pour répondre à votre remarque d’introduction, nous vivons à une époque où toute déclaration normative sur ce qu’est le bien est très facilement politisée et contestée [ou] discutable. Nous pourrons explorer ce sujet au cours de cette conversation.

Mais tout cela mis à part, je suppose que je le définirais simplement en disant que je considère qu’une personne morale a un ensemble de dispositions à être bon et à faire le bien qui est gravé sur elle de différentes manières : par des liens familiaux forts qui nous apprennent ce qu’il faut aimer et comment bien aimer, par des habitudes régulières qui engendrent de petits actes de maîtrise de soi, par des enseignants ou des modèles qui personnifient l’excellence et inspirent l’émulation, par une instruction religieuse parfois axée sur une vie honnête, courageuse et compatissante par le biais d’institutions qui établissent des normes de bonne conduite, et par des mentors qui inculquent des moyens concrets de développer un tel comportement par la lecture d’ouvrages, des expériences de lutte, des postes à responsabilité, et simplement les bienfaits et les exigences associés à un engagement durable.

Ainsi, les habitudes d’une personne morale ont tendance à se développer au mieux dans des contextes qui sont favorables, ordonnés et prévisibles dans une certaine mesure, mais qui disposent également de mécanismes de rétroaction clairs, mais imprégnés de grâce, et qui ont toujours un idéal inspirant en vue. Nous pourrions passer en revue de nombreux aspects — et il y en a quelques-uns que je préfère, mais je ne veux pas monopoliser tout le temps qui m’est imparti… Vous pourriez examiner les fruits de l’esprit, ou la générosité, l’hospitalité, la bienveillance, l’humilité, l’apprentissage tout au long de la vie, la prise de responsabilité de ses propres erreurs, la capacité de discerner les qualités morales chez les autres, celui qui pardonne et cherche à pardonner, et toute une série d’autres vertus et aptitudes, et certains diraient aujourd’hui une sorte de compétences comportementales. Je pense qu’ils font tous partie de l’ensemble d’une personne morale.

LAURA : C’est une vision très complète et holistique de la moralité. Et je me demandais juste comment vous pensez qu’elle trouve son expression dans les processus éducatifs.

ANNE : Je n’ai jamais été enseignante, et je n’ai pas encore eu la joyeuse responsabilité d’être mère, mais j’ai été journaliste et j’ai été élevée par des parents plutôt attentionnés — je dirais même extrêmement attentionnés. Il y avait plusieurs couches d’amour entre les générations. J’ai également eu la chance de recevoir une éducation assez rigoureuse, mais dans des sous-cultures morales très différentes à différentes étapes de ma vie. J’ai grandi à l’étranger et j’ai vécu de manière très interculturelle. J’ai donc été exposée à différentes conceptions du bien à différentes époques. Et dans tout cela, je dirais qu’au niveau le plus universel, la formation du caractère morale se fait fondamentalement dans un contexte d’attachements très forts, d’exemplarité et de lutte. Mais vous avez besoin d’être dans un contexte psychologiquement sécuritaire, où vous pouvez traverser vos luttes. Vous pouvez les traiter honnêtement, en être tenu pour responsable et en tirer parti, sans en avoir honte.

Dans cette optique, je pense que les cadres éducatifs les plus impressionnants et les plus transformateurs dans lesquels j’ai trouvé des étudiants, de la petite enfance jusqu’à l’âge de l’université, ou jusqu’à l’étape… Lorsque j’ai constaté que les étudiants entraient d’une certaine manière et sortaient d’une manière différente — et cette différence était positive — il s’agissait généralement d’environnements qui avaient une compréhension profonde du fait qu’une transgression morale est une rupture des relations. Je pense donc que cette définition de la moralité comme étant fondamentalement ancrée dans une réalité relationnelle crée avant tout une certaine culture et une certaine façon de comprendre la personne, la nature de la grâce et la nature de la croissance qui a toujours été très importante dans les cadres éducatifs les plus merveilleusement formateurs.

Je pense aux institutions ou aux écoles qui comprennent le rôle des désirs pour nous façonner et nous guider, que nous sommes ce que nous aimons. Et aussi des écoles qui voient le pluralisme et la différence comme un défi sain et qui n’en ont pas peur. Elles sont une sorte de dispositif sain, même de friction, qui, s’il est en quelque sorte contenu ou couvert de la bonne manière, peut permettre aux gens de développer des aptitudes telles que l’empathie et l’agilité interculturelle, et la capacité de voir certains biens transcendants dans un large éventail d’« habits » culturels, je suppose, faute d’une meilleure métaphore. Il s’agit simplement de former les gens pour qu’ils soient capables d’être des « traqueurs de démarcations » et de faire preuve d’une attention qui dépasse les confins : qu’il n’est pas nécessaire d’aimer uniquement les siens.

LAURA : J’aime ce que vous avez dit sur la nécessité d’avoir ces espaces sûrs où les gens peuvent se développer, et explorer, et nourrir leur moralité. Et donc, en parlant de ces milieux, et de ces milieux sains, je vais passer la parole à Eric.

Eric, vous avez beaucoup travaillé avec des programmes communautaires d’éducation des jeunes d’inspiration bahá’íe. Dans le cadre de vos études de doctorat, vous étudiez également le rôle de la religion et de la laïcité dans les écoles canadiennes. Selon vous, qu’est-ce que les écoles peuvent apprendre de ces programmes d’éducation extrascolaires lorsqu’il s’agit de favoriser l’éducation morale et spirituelle dans une société multiculturelle ?

ERIC : Dans beaucoup d’efforts éducatifs auxquels j’ai participé, nous parlons de qualités spirituelles : ces aspects de la vie et du caractère d’une personne qui ne sont pas réductibles à un quelconque résultat matériel, ou à un état physiologique ou psychologique, et qui leur confèrent une sorte de noblesse innée. Il s’agit de leur capacité à aimer, à se sacrifier pour les autres, pour le bien-être des autres ou pour de beaux principes immuables, à faire preuve d’un sage discernement dans leurs choix, à surmonter des préjugés profondément ancrés. Ce sont le genre de qualités que l’on possède ou que l’on ne possède pas, elles sont en quelque sorte en nous et elles peuvent être développées, elles peuvent être nourries, elles peuvent faire l’objet d’efforts durant toute une vie.

Ainsi, lorsque nous pensons à ce qu’est un enfant, nous devons réfléchir à la manière dont cette [compréhension] de ce qu’est un enfant crée une vision de ce que nous attendons d’eux dans leur vie : pour eux-mêmes, pour leur famille, pour leur communauté, pour leur pays, pour l’humanité dans son ensemble. Quel type de caractère moral doivent-ils développer et que doivent-ils en faire ? Et puis, quel type de formation est nécessaire pour développer ces qualités ? Et à ce moment de notre histoire collective en tant que race humaine, alors que, pour la toute première fois, nous pouvons nous voir comme la race humaine. Nous développons une sorte de conscience planétaire. Nous sommes un seul peuple sur une seule planète. Et pourtant, il existe ces menaces que nous avons pointées du doigt ou auxquelles nous avons fait allusion dans nos commentaires : ces menaces de polarisation, de tribalisme, de recrudescence de préjugés de longue date et d’une sorte d’apathie, de désillusion ou de découragement généralisés.

Je pense que dans nos efforts éducatifs, lorsque nous pensons au caractère moral, nous devons dépasser la vision de la médiocrité morale : une approche du caractère qui s’attache à des poursuites matérielles et éphémères, et qui cherche principalement à ne pas nuire aux autres. Je pense que ce dont nous avons besoin dans cette génération de jeunes, ce sont des personnes morales qui brillent vraiment, qui brillent comme une lumière au sommet d’une montagne. Une sorte d’excellence spirituelle, morale et intellectuelle qui soit si puissante qu’on puisse presque la voir. Et ce n’est pas le genre de chose qui se manifeste par des gestes grandioses, ou certainement pas par une quelconque performance, et qui n’attire pas nécessairement les honneurs individuels, mais c’est un genre d’héroïsme moral. Une sorte de nouvel héroïsme moral pour ce jour qui se manifeste par le renforcement quotidien des liens communautaires qui nous permet de surmonter des obstacles apparemment insurmontables et de grands sacrifices personnels.

Et puis, je pense que la dernière chose est que si nous voyons ces deux impulsions morales dans nos vies, qui propulsent et donnent forme à notre caractère moral ; cette vision de qui nous pouvons devenir et de ce que nous pouvons apporter, comment nous pouvons bâtir la communauté et la société autour de nous. Dans les programmes éducatifs auxquels j’ai participé, nous apprenons comment ces deux dimensions fondamentales de l’objectif moral d’une jeune personne peuvent s’exprimer, et je veux dire vraiment, ne peuvent être développées que dans une vie de service aux autres et à la communauté. Et c’est en servant et en essayant de contribuer à la prospérité matérielle et spirituelle d’un lieu — vous savez, avec des gens qui y vivent — que nous sommes appelés à développer ces qualités là où elles sont testées et forgées dans le feu des défis.

Les écoles publiques ne seront peut-être pas en mesure d’adopter toutes ces approches ou ce langage, et, à ce stade, elles ne devraient peut-être pas le faire, mais je pense que nous pouvons apprendre ensemble sur une conception élargie de la personne humaine adaptée à notre époque.

LAURA : C’est intéressant que vous disiez qu’elles ne devraient pas le faire, peut-être pas maintenant, ce n’est pas le moment, mais j’attends ce jour avec impatience. Dans le système scolaire public, nous abordons la question du progrès spirituel et matériel. Et ici, en Occident, je dirais que nous sommes dans un contexte majoritairement laïc, et parler d’éducation morale et spirituelle sera absolument sans intérêt pour certaines personnes. Cela pourrait leur paraître sectaire ou idéologique. Alors, Anne, comment pensez-vous que nous puissions aborder ce sujet d’une manière qui soit invitante pour un large public ? Quel est, selon vous, le type de langage dont nous avons besoin pour aider les gens à parler des qualités, des attitudes et des vertus que nous voulons que notre éducation et nos systèmes scolaires cultivent chez les jeunes ?

ANNE : C’est une bonne question. Je dirais que c’est un peu la question à un million de dollars du moment. C’est donc une question difficile. J’aime beaucoup ce qu’Eric a dit et je pense que cela précède en quelque sorte ma réponse. Il m’a rappelé quelque chose que mon mari, qui est également journaliste, aime dire. Il a parfois l’impression que son rôle est de traduire le monde spirituel et sacré en un monde matériel très séculier. Ainsi, lorsqu’il essaie de persuader les gens qui ne croient pas en quelque chose de réel dans le monde invisible — que tout doit être quantifié — il dit : « Je veux juste vous inviter à considérer que nous avons tous, que vous croyiez en Dieu ou non, que vous croyiez en un monde spirituel ou non, qu’il y a une partie de chacun de nous qui n’a pas de taille, de poids, de couleur ou de forme, mais qui nous donne une valeur et une dignité infinies. Et que les riches n’ont pas plus de cela que les pauvres. Et que l’esclavage n’est pas seulement une attaque sur un ensemble de molécules physiques. Le viol n’est pas seulement une attaque sur un ensemble de molécules physiques. Ils sont tous les deux une tentative d’oblitérer l’âme d’une autre personne. »

Et je pense qu’il y a quelque chose dans ce mot « âme » — qui, à mon avis, est légèrement différent de l’expression « personne morale », mais ils sont très, très liés et on pourrait presque les considérer comme des synonymes — qui nous donne notre égalité fondamentale, notre responsabilité morale et nos sources de désir. Je fais donc intervenir quelqu’un avec qui je parle tous les jours, parce qu’Eric a provoqué ça alors qu’il essayait de trouver un langage, alors pardonnez-moi. Et je dis cela dans le contexte de cette question : quel genre de langage pouvez-vous utiliser ? Et je vois cela comme une tâche de traduction. Je considère qu’il s’agit d’enfiler une aiguille durant une ère de méfiance, alors que la politique du tout ou rien est si moralement chargée. C’est comme notre nouvelle religion et je dirais que c’est très malsain.

J’ai découvert — non pas que j’aie toujours eu de bons résultats — mais après avoir écrit un livre sur le caractère moral il y a quelques années, qui s’adressait à un lectorat pluraliste, très diversifié et largement laïc, j’ai appris que si j’utilisais un langage fondamentalement relationnel, qui considérait la santé relationnelle comme un telos ou une fin majeurs, vers laquelle le caractère moral est motivé de se diriger, cela était très utile. Les gens ont compris que nous traversons une crise de solidarité en tant que société ; nous sommes très cloisonnés ; nous semblons avoir perdu la capacité de sortir de nous-mêmes ; nos relations s’effritent au niveau le plus fondamental ; quelque chose ne va pas. Je pense que le simple fait de situer la cause du caractère moral comme faisant partie des enjeux d’une réalité relationnelle a été utile, car, tout à coup, les gens sont motivés à entendre des faits peut-être plus solides sur l’évaluation des différents biens, le bien et le mal, tout cela. Je dirais donc simplement : aborder la relationnalité fondamentale de la chose.

Je dirais aussi qu’il s’agit d’un langage très doux, mais aussi honnête, sur les réalités de la lutte, des difficultés et de la souffrance, dans toutes nos vies, que nous traversons tous, bien sûr, à des stades différents, à des degrés différents, de manières très différentes. Mais lorsque, en écrivant ce livre il y a des années, je demandais aux gens, depuis des personnes très sophistiquées à la tête de grandes organisations jusqu’à des personnes qui étaient des employés de détention, des mères au foyer, des voisins… vous savez. Je demandais à des centaines de personnes : « Racontez-moi une histoire. Comment diriez-vous que votre caractère moral a été façonné ? » Et ils racontaient invariablement une histoire qui se conformait presque toujours à un modèle en trois parties. Ils mentionnaient une figure d’autorité aimante dans leur vie qui avait vraiment fait une différence et leur avait donné un exemple de la manière dont ils voulaient être eux-mêmes un jour. Ils soulignaient une expérience de lutte ou de souffrance qui les avait en quelque sorte façonnés et leur avait donné le courage qu’ils ont maintenant, mais qui avait aussi laissé des cicatrices qui sont inextricables de qui ils sont, et de la façon dont ils existent dans le monde en tant que guérisseurs ou autre. Et puis la troisième chose a été de s’éveiller à un contexte intérieur. Et ces trois ingrédients ont toujours fait partie de la façon dont ils décrivaient le processus répétitif de formation du caractère moral, tout au long de leur vie.

Je pense donc qu’un langage qui s’appuie sur la compassion… il y a là quelque chose qui mène ensuite à ces questions morales plus profondes qui existent dans toutes nos vies : les dilemmes auxquels nous sommes confrontés, les compromis. C’est une porte d’entrée, et je pense qu’elle trouve un large écho parce que l’expérience humaine est douloureuse.

Et puis, la troisième chose que je dirais, c’est à propos d’un langage qui n’hésite pas à énoncer une vision très élevée du bien : une bonne société, une bonne communauté, une communauté bien-aimée, et même quelque chose comme, je déteste le dire, une bonne famille, mais dire qu’il existe un idéal qui est beau et qui ne consiste pas à être sans joie, ou guindé, ou un petit saint, ou classé G, mais qui est favorable à l’épanouissement de tous. Et lorsque les gens sont désintéressés, responsables et que ces traits de caractère individuels sont pleinement vivants et matures, cela conduit à un plus grand sentiment de shalom, de paix profonde et de liberté.

ERIC : Puis-je ajouter quelque chose ?

ANNE : Oui, absolument.

ERIC : J’ai adoré ça. Je veux dire, c’était une réflexion tellement utile. Et je pense qu’une des choses qui m’a fait penser, si nous pensons au langage du caractère moral, à la fois lié à ce que vous disiez sur la nature relationnelle du caractère moral, et aussi juste dans votre description de votre processus, je pense aussi au rôle de la conversation. Le rôle de la conversation et du dialogue avec les gens, de la réflexion, de l’entretien d’une vision du bien en tant qu’objet d’enquête collective et de conversation semble être un élément crucial de nos efforts pour nous développer nous-mêmes et bâtir un monde meilleur.

ANNE : Merci.

LAURA : Tout ce que vous avez dit, eh bien, vous m’avez convaincu sur la narration parce que je suis aussi un cinéaste, donc tout est une question d’histoire. Et cette histoire de caractère moral contagieux et comment nous pouvons tous nous influencer les uns les autres. Et ce langage relationnel, comme vous l’avez dit, semble être une invitation à construire des ponts pour nous inviter à voir qu’il n’y a pas d’autre personne. Et il y a quelque chose de commun, autour de l’expérience des gens qui cheminent vers la croissance, que vous avez dit. Ces trois choses que vous avez décrites autour du point de départ, de la lutte, du développement de ce courage, et qui aboutissent à la reconnaissance d’une expérience collective, ou d’une expérience d’unité dans notre humanité.

Et donc je sais que nous parlons beaucoup de l’éducation principalement du point de vue individuel. Alors quel genre de personne est éduquée ?

Cependant, il y a un autre aspect à cela qui concerne la société que nous voulons créer. Donc, il suffit de remonter à un niveau plus haut. Alors Eric, où voyez-vous le lien entre l’éducation et le progrès social ?

ERIC : Oui. Je pense que c’est un élément important à ajouter à la conversation. Ce sont les systèmes et programmes d’éducation qui sont concernés à bien des égards par le développement, la formation d’un type particulier de personne, et aussi la formation d’un type particulier de société. Ils sont animés par des visions de « la personne » et « du peuple ».

Ainsi, de la même manière que nous réfléchissons au type de personne que nous espérons être, que nous espérons cultiver, que nous espérons nourrir, nous devons réfléchir profondément aux caractéristiques du type de société que nous devons construire. Le genre de personnes que nous espérons être ? Qu’est-ce que cela signifie d’être « un peuple » ? Et quelles sont les limites du « peuple », en un sens ?

La notion de « peuple » dans le discours politique et éducatif n’a historiquement permis qu’une sorte de participation étroite de certains groupes à la construction d’une communauté et d’une identité nationales. Et même aujourd’hui, bien que je pense que la plupart des gens diraient qu’aucun groupe ou individu ne devrait être exclu du projet de construction de la société, il y a toujours une tendance à essayer de susciter la participation par différents types de domination, de manipulation, ou un sentiment de « Nous pourrions vraiment créer une société merveilleuse si ces gens s’en allaient, ou se joignaient à notre équipe, ou… », vous voyez ce que je veux dire.

Ainsi, lorsque je pense à un peuple et au type de peuple nécessaire pour répondre aux besoins de ce moment particulier de l’histoire, c’est un peuple qui a littéralement besoin de la participation et de la contribution de chaque personne. Et pas seulement une sorte de participation passive qui se réduit à un vote, par exemple, mais une participation active dans la construction de nouveaux modèles de vie communautaire. Et un tel peuple n’a jamais existé auparavant. Certainement pas à l’échelle requise aujourd’hui.

Lorsque nous pensons à la relation entre l’éducation et le progrès social, il s’agit vraiment, pour moi, de la façon dont nous devons prendre ce collectif redéfini de l’humanité comme un objet d’apprentissage urgent. Ainsi, lorsque nous abordons l’éducation des jeunes — juste quelques réflexions à partir de cette idée — lorsque nous abordons l’éducation des jeunes, nous ne pouvons pas les aborder comme des îles. Et j’entends par là qu’ils ne sont pas des individus isolés, atomisés, mais ils ne sont pas non plus une catégorie distincte d’êtres humains qui, comme le disait Anne, peuvent apprendre et agir indépendamment du réseau de relations dans lequel ils sont intégrés. Ils sont membres de familles, membres de communautés. Et donc l’éducation, en essayant de favoriser le développement des collectifs, doit trouver des moyens de renforcer ces liens d’unité qui unissent un peuple.

Alors, comment apprendre les vertus de la citoyenneté ? Comment apprenons-nous à puiser dans les vastes réservoirs de pouvoir que recèlent la volonté collective et l’action unifiée ? Et je pense que c’est au niveau de la communauté ; c’est-à-dire une communauté au sens d’un espace géographique limité où vous vivez et où vous vivez votre vie quotidienne comme un espace vital pour développer ces capacités. Si vous essayez d’apprendre à encourager la participation universelle d’une société entière composée de dizaines ou de centaines de millions de personnes, c’est un peu trop difficile à supporter. Mais nous pouvons apprendre à encourager la participation dans notre quartier, dans notre rue, dans notre voisinage. Dans ce sens, les communautés peuvent devenir des communautés de recherche, des centres d’apprentissage, pour ainsi dire, où nous apprenons, partageons et mettons en oeuvre dans la population les connaissances croissantes que nous avons acquises sur la façon de construire une vie communautaire participative à grande échelle.

Et puis, enfin, en lien avec certains des commentaires d’Anne sur cette vision noble qui peut inspirer un effort moral, parce que nous devons réfléchir à ce qui est capable d’ancrer cette compréhension commune, cette identité commune, nous vivons à une époque où nous devons à la fois revigorer et faire progresser ces capacités de vie en communauté, tout en développant une allégeance plus large, un sentiment d’appartenance plus large en tant qu’êtres humains sur une planète commune, qui a également besoin de ses propres formes et capacités civilisationnelles pour se développer.

Je pense donc que nous constatons, même à plus petite échelle, mais surtout à ce moment particulier de l’histoire, qu’un engagement ou une identité commune enracinés dans une allégeance politique, une nation ou une ethnie, sont des ressources insuffisantes pour maintenir les liens profonds de l’appartenance à un peuple qui sont nécessaires à notre époque ; et [peuvent même] les étouffer, les miner et les endommager. Elles ne peuvent pas résister aux tests et aux défis qui cherchent à nous diviser et à nous décourager. Nous devons donc aller plus loin.

Et encore une fois, cela a été, traditionnellement l’un des rôles de la religion ; créer des communautés à partir de groupes auparavant antagonistes, voire en conflit. Et peut-être que la religion jouera à nouveau ce rôle dans une sorte de résurgence ou de révolution spirituelle inattendue. Mais, quoi qu’il en soit, je pense que l’éducation doit être attentive à ces besoins et à ces vertus de peuple, de collectifs, et trouver des moyens d’apprendre et de parler des liens qui sont suffisamment durables et flexibles pour nous maintenir ensemble durant cette époque particulière.

LAURA : Une vision noble en effet. Cela semble vraiment magnifique et, merci beaucoup d’en avoir parlé. Je vais passer la parole à Anne. Anne, dans la plupart de vos textes, y compris votre nouveau livre intitulé Breaking Ground : Charting our Future in a Pandemic Year — félicitations d’ailleurs — vous avez essayé de concilier les oints de vue, de dépasser l’idéologie et vous avez donné une nouvelle expression à de vieilles idées. En fait, dans l’introduction de votre livre, vous écrivez que nous avons « l’occasion de recalibrer des valeurs culturelles et des modes de pensée fatigués, et de renouveler des sphères particulièrement fragiles comme l’éducation… avec un objectif moral retrouvé, orienté vers notre constitution réelle en tant qu’êtres humains, et vers le service des besoins du bien commun ». Je me demandais si vous pouviez développer ce point. Selon vous, quels sont les principes spirituels et les valeurs culturelles unificateurs qui pourront nous aider à renouveler nos approches de l’éducation ?

ANNE : J’ai bien peur de me répéter dans cet épisode, et surtout d’approuver tout ce qu’a dit Eric, même si je ne serai pas aussi éloquente. Mais je vais dire quelques petites choses. Comme tout le monde, bien que j’aie participé à la rédaction de ce livre, il s’agit en fait d’une anthologie de textes de personnes beaucoup plus intelligentes que moi qui évaluent ce qu’est cette pandémie et cette période plus large de crise à plusieurs niveaux qui accélère les choses qui existent de longue date, qui n’ont jamais été tout à fait normales et qui révèlent des choses sur notre société et sur nous-mêmes.

Je suis habituellement très optimiste. Ces jours-ci, je constate que je suis plus inquiète. Mais, cette confession honnête étant faite… Juste quelques valeurs et principes unificateurs, je suppose, spirituels, culturels, en particulier vis-à-vis de l’éducation… La plupart des gens que je connais aimeraient rétablir exactement ce qu’Eric décrit. Comme, les aspects relationnels humains fondamentaux, humanisants, de la personne entière, pour une éducation complète. Je veux dire, « éduquer », historiquement, pendant des siècles et des siècles, signifiait « former ». On vous formait entièrement, totalement. Et cela faisait partie du rôle de l’éducation, qui n’était pas de remplacer ce que faisaient les parents… Mais il s’agissait de vous exposer à travers la vie sociale, la littérature, la poésie, les sciences, tout cela… Et à travers les rencontres avec des étrangers et des amis, à la pleine floraison de ce qu’est un être humain glorieux, glorieusement doté. Et je pense qu’une grande partie de notre éducation, pour diverses raisons au cours du dernier siècle et demi, a simplement décidé de devenir plus technocratique, ou utilitaire. Et en fin de compte, que vous le sachiez ou non, cela vous épuise et vous donne l’impression de n’être qu’un rouage d’une civilisation qui peut ou non avoir besoin de vous — que vous êtes largement remplaçable.

Et ce sont des choses subtiles, mais elles deviennent profondes en termes de la façon dont elles définissent notre façon d’enseigner, de concevoir les cultures scolaires, les rythmes, etc. Et je pense qu’il y a quelque chose dans cette notion d’humanisme à son meilleur que nous désirons tous voir restauré, vous savez, là où nous envoyons nos enfants. Qu’est-ce que c’est que d’être aimé ? Qu’est-ce que c’est d’être éduqué à des idéaux héroïques inspirants qu’Eric a si bien dépeints ?

Vous savez, c’est une chose controversée à dire. Et cela reflète peut-être un peu, je suppose, mes propres coordonnées culturelles. Mais au fond, je pense que parce que nous n’aimons pas les conflits, je pense que nous aimerions tous mieux apprendre à gérer les différences, bien les aborder, et apprendre l’art et la manière de voir les autres avec précision et profondeur, et en retour être profondément vus et compris. Je pense que nous ne l’exprimons pas tous clairement. Il y a beaucoup de « Nous nous sentons tous menacés ces jours-ci et nous voulons aller dans notre tribu ». Mais je pense que lorsque nous vivons des expériences de surprise, des « moments de perspicacité magiques » d’enrichissement et d’élargissement par quelqu’un qui est extrêmement différent de nous, et de qui nous avons la patience d’apprendre, et à son tour, d’être servi par cette personne, et de la servir, je pense que nous désirons tous recevoir ce genre de formation et connaître jeunes ce type d’expérience dans nos écoles. Et cultiver des milieux qui, d’une manière ou d’une autre, trouvent un moyen d’aborder les différences profondes sans que personne ne se sente menacé dans son identité, sa position, son appartenance à la collectivité, son sens de l’horizon, mais plutôt en enrichissant tout cela, et en m’aidant à mieux comprendre mes racines d’une manière qui associe un élément critique sain, mais aussi avec une pureté morale qui permet de dire : « Je fais partie de l’histoire de la rédemption de cette lignée ». Ou quelque chose comme ça.

La dernière chose que je dirai — et cela rejoint, je pense, l’accent mis par Eric sur les arts et l’accent que vous mettez sur les histoires — c’est que je pense que la beauté est un élément très important.

Et je pense qu’il y a quelque chose d’utile à propos de quelles sortes de désirs presque sacrés pourraient être cultivés tôt chez les enfants, même s’ils sont émouvants, ou s’ils comportent un peu de nostalgie ou de douleur, qui les préparent pour relever les défis de la vraie vie qu’ils rencontreront ? Quel est le rôle de la beauté pour encourager gentiment les jeunes à épouser une sorte de réalisme moral qui comprend que le monde est brisé, et que nous en faisons tous partie, et que nous jouons un rôle dans cette situation ? Mais nous avons aussi toute latitude pour contribuer d’une manière ou d’une autre et essayer de déplacer un peu le gouvernail ou les rames.

Et je pense qu’en quelque sorte nous couvrons une compréhension très riche de la beauté, esthétiquement, musicalement, la beauté morale, une sorte de beauté du paradoxe quand il s’agit de la vérité quand on la découvre. Je pense que tout cela serait très utile. Et cela peut sembler être un luxe, mais je pense que si nous l’intégrions dans notre éducation dès le plus jeune âge, tout cela contribuerait grandement à combler de nombreux fossés qui me semblent faux et qui nous séparent aujourd’hui. [Nous en avons besoin], surtout dans ces premières années de croissance, pour nous sortir de nous-mêmes et de notre besoin de trouver notre identité à l’intérieur, et de la chercher plutôt à l’extérieur de nous-mêmes et dans le visage des autres.

LAURA : Merci d’avoir soulevé cette idée de la beauté. Je pense que nous sommes tous, en tant qu’êtres humains, attirés par la beauté. C’est une attraction naturelle qui fait partie de notre constitution. Nous y aspirons et en parler et la mettre en lumière par le biais des arts et de différents contextes éducatifs peut être une source de connexion pour nous.

Eric, suite aux commentaires d’Anne… voici une série de questions. N’hésitez pas à me demander de les répéter. Je vais commencer par [celle-ci] : où voyez-vous des possibilités de changement social à l’avenir ? Et où pensez-vous qu’il soit possible de changer l’éducation au sein du système scolaire ? Et enfin, dans quelle mesure les communautés deviennent-elles les protagonistes des processus éducatifs à l’intérieur et à l’extérieur des écoles ? Je sais que c’est beaucoup.

ERIC : Eh bien, je vais essayer d’offrir quelques réflexions. Lorsque j’entends ces questions, je me demande entre autres comment nous devons repenser le rôle que joue l’éducation dans notre société. Où voyons-nous que l’éducation, et la connaissance, et la compréhension prennent un rôle central ?

Pour une raison quelconque, dans notre culture, et c’est le fruit d’un long processus de différenciation sociétale et de spécialisation, nous en sommes venus à lier l’éducation à l’école de manière très, très étroite, au point que l’école et l’éducation en viennent à être considérées comme plus ou moins synonymes. De sorte que quand vous demandez à quelqu’un, « Oh, où avez-vous obtenu… ? » ou quand vous parlez à quelqu’un de ses études, il répond généralement : « Oh, je suis allé à cet endroit. C’est là que je suis allé à l’école. » Mais l’éducation, quand on y pense de la manière dont nous en avons parlé dans cette conversation, c’est vraiment juste cette vaste entreprise spirituelle extrêmement importante que chaque être humain entreprend. Je pense que dans notre culture, alors que nous nous efforçons de progresser, nous ferions bien de considérer le rôle de l’éducation dans les différentes dimensions de notre vie.

Quel rôle joue donc l’éducation dans la vie d’une famille ? Comment les connaissances, la diffusion du savoir, la génération des connaissances, jouent-ils un rôle central dans nos familles immédiates ? Dans nos familles élargies ? Comment cela façonne-t-il la vie d’une communauté dont l’un des objectifs centraux, l’un des objectifs, est la génération de connaissances, la diffusion des connaissances et la découverte des connaissances qui existent au sein d’une population ?

Je pense que c’est essentiellement à cela que je voudrais réfléchir — comment la connaissance, l’apprentissage et l’éducation peuvent être intégrés dans les différents aspects de notre vie ? Comment les communautés confessionnelles peuvent-elles se voir dans une humble attitude d’apprentissage et comment peuvent-elles adopter cette attitude dans la vie quotidienne de leur communauté ? Car si l’on dissocie l’éducation de l’apprentissage, on peut imaginer la prolifération de toutes sortes de programmes éducatifs qui complètent le système scolaire et travaillent en collaboration avec lui. Les systèmes scolaires publics sont en quelque sorte coincés dans les contraintes de leurs politiques et de différents types de restrictions. Mais si nous pouvons apprendre tous ensemble et considérer que nous poursuivons un projet commun d’éducation et de formation, alors je pense que nous verrons une société et une population beaucoup plus éduquées, au sens propre du terme.

ANNE : J’ai l’impression qu’Eric va sauver notre pays, sauver le monde. Tout ce qu’il dit est très opportun.

LAURA : Oui. Et vous aussi Anne. Tout ce que vous avez dit a vraiment été inspirant et éclairant, et, nous donne beaucoup d’espoir et créé beaucoup d’espace pour l’exploration et, la flexibilité, l’ouverture, et l’invitation. Ma dernière question, qui est toujours ma préférée, parce qu’elle me laisse un sentiment d’espoir en général est : Qu’est-ce qui vous donne à tous les deux de l’espoir et qu’est-ce qui vous inspire quant à l’avenir de l’éducation des jeunes ? Qui aimerait commencer ? Anne.

ANNE : Je pense que nous sommes dans une période de profond remaniement. Et je le vois beaucoup dans mon contexte, maintenant que je suis plus plongée dans le monde de l’enseignement supérieur aux États-Unis, où il y a d’énormes questions autour de la méritocratie et de la façon dont nous construisons les modèles commerciaux. Je suis donc très encouragée par certaines expériences plutôt optimistes qui se déroulent là-bas. Mais je pense que de la même manière, elles se produisent parmi des personnes plus jeunes.

Voici ce que j’aimerais dire. Je pense, premièrement, que nous devenons tous plus avisés en matière de technologie. Je vois de plus en plus d’écoles qui sont plus prudentes lorsqu’il s’agit d’adopter immédiatement la dernière avancée technologique ou le dernier appareil, et qui se posent un peu plus la prudente question de principe suivante : « Bon, est-ce que cette récente chose — cette application, cet outil, cette numérisation — va promouvoir des relations saines dans notre environnement et des compétences individuelles ? Ou est-ce que cela va rendre ces bonnes choses plus difficiles à atteindre ? Et dans l’affirmative, nous devons circonscrire leur usage ». Je pense donc que les parents, les enseignants, les directeurs d’école, etc., ne sont pas aussi naïfs et ne considèrent pas tout cela comme une évolution linéaire du progrès humain. Je pense qu’ils voient qu’il y a de mauvais effets et qu’ils trouvent le moyen, sans pour autant être luddites, d’établir certaines limites saines. C’est donc encourageant. Notre monde évolue à une vitesse étonnante et nous essayons de nous adapter et de trouver le moyen de rester maîtres de nos outils et d’empêcher qu’ils en viennent à nous maîtriser.

Les gens sont définitivement plus attentifs aux cadres de vie qui nous façonnent et aux façons que les éléments de l’atmosphère, comme… Cela semble très superficiel, mais je ne pense pas que ce soit comme, la chaleur, et la couleur, et une variété de rythmes dans une journée, et vos rituels, et la sécurité. Encore une fois, c’est ce sentiment. C’est si important dans une maison, et en fait c’est si important pour la capacité d’apprendre et d’être dans une attitude propice à l’apprentissage et au développement.

Ainsi, l’une des choses que nous pouvons apprendre sur l’importance de l’atmosphère, qui nous est peut-être devenue si familière dans les limites de nos maisons, à une époque où toute la vie se déroule entre quatre murs, est de transférer cela à l’école. Et pas seulement à l’école, ailleurs aussi. Mais y a-t-il… J’entends des enseignants en particulier dire : « Oh. Je suis… » Des parents décrivent leurs techniques d’enseignement à domicile : « Oh. Vous savez, peut-être qu’en milieu scolaire nous pourrions avoir plus de canapés dans les couloirs et peut-être que les locaux pourraient ressembler à un salon. » Ou : « On pourrait faire plus de cuisine dans les cuisines de l’école, et plus de musique, et plus d’artisanat. » Peut-être pourrions-nous simplement exploiter le pouvoir de l’atmosphère, non pas comme un simple élément décoratif, mais comme un élément très puissant pour l’attitude des enfants, afin qu’ils se sentent vraiment vivants pour toutes les choses passionnantes qui, lorsque vous êtes jeune, se produisent généralement inconsciemment au fur et à mesure que vous grandissez et apprenez. Quelles sont les choses que vous pourriez faire passer de la maison à l’école, ou simplement dans le bâtiment de l’école ?

Donc c’est un peu… Je suis encouragé par cela. Et je surveillerai ce transfert intersectoriel, faute d’une meilleure façon de le dire, avec beaucoup d’intérêt au cours des cinq prochaines années.

LAURA : Cela me donne tellement d’espoir. Et merci de l’avoir soulevé. Et Eric ?

ERIC : Ouais. Oh, ouais. C’était vraiment agréable à entendre. Et j’aime particulièrement l’accent mis sur le pouvoir de certains types de milieux et la façon dont ils peuvent en quelque sorte libérer les capacités des jeunes, et des gens en général.

Et quand je pense à ce qui me donne de l’espoir et de l’inspiration — et c’est vrai, c’est une période où cela a peut-être été mis à l’épreuve plus que d’habitude — je pense simplement aux jeunes qui sont dans ce monde, et aux jeunes que j’ai eu l’occasion de connaître et avec qui j’ai travaillé.

Il y a une histoire dont je me souviens plus particulièrement. J’étais dans un quartier de Toronto et je travaillais avec un groupe de jeunes de 12 à 14 ans depuis quelques années. Et nous essayions toujours d’élargir le groupe et d’inviter d’autres de leurs amis à participer aux activités dans ce quartier. Nous sommes donc allés voir l’un des amis de l’un de ces jeunes, nous l’avons invité et nous lui avons expliqué en quelque sorte les activités de ce groupe et que nous essayions de développer nos propres capacités, et de servir réellement la communauté. Et cette jeune personne que nous avons approchée a juste donné l’expression la plus éloquente de désillusion totale que je n’ai jamais entendue de la part d’un enfant de 12 ans. Il a dit quelque chose comme, « Ça ne marchera jamais. » « Tu ne seras jamais capable de faire ça. » « Personne ne voudra venir et participer à ça. » Et je me suis dit, « Oh là là, que dire pour répondre à ça ? »

Mais l’un des participants du groupe — cet enfant de 12 ans — l’a regardé dans les yeux et lui a dit : « Je ne sais pas comment tu peux dire ça. Nous sommes un groupe de 15 personnes. Nous nous réunissons chaque semaine. Nous apprenons à connaître les défis qui se posent dans notre communauté. Nous nettoyons le parc une fois par semaine. Tous les jeudis, nous avons une classe où nous enseignons, nous rassemblons des enfants plus jeunes et nous travaillons avec eux. » Et il avait juste cette confiance, et cette chaleur, et cette sincérité. Ce n’était pas comme s’il était… Ce n’était pas un discours de recrutement. Il était juste, il était en quelque sorte… Il exprimait juste ce qu’il ressentait. Et ce genre de clarté de but, et de confiance, et de pureté de ces jeunes gens dans le monde… Et ce n’est pas comme si ce jeune garçon était unique, il y a tellement de jeunes comme lui. Je pense donc que l’espoir que j’ai vient d’eux, et de l’effet qu’un certain type d’environnement, qui leur permet de s’épanouir, peut avoir sur la jeunesse.

LAURA : Merci beaucoup. C’est une très belle histoire et j’espère qu’elle donne aussi à nos auditeurs un aperçu de ce que l’on peut faire pour recadrer ces sentiments de cynisme ou de désespoir. Vous voyez ?

Je vous remercie donc tous les deux d’avoir présenté tous ces points de vue et d’avoir apporté de l’espoir à la conversation sur la relation entre la morale, l’éducation, l’éducation matérielle, l’éducation spirituelle et le progrès social ; sur ce que l’on peut faire pour composer avec les différences et sur l’importance d’être compris ; et sur une reconceptualisation du rôle de l’éducation ; sur le pouvoir de la narration, de la beauté et de la reconnaissance de la beauté ; et sur l’expérience et le désir communs que nous avons tous d’être un être humain entier et complet et de pouvoir l’exprimer dans le contexte de nos familles, de notre communauté, et surtout de nos écoles et de nos systèmes éducatifs.

Merci à vous deux de vous être joints à nous. Et j’espère que vous passerez une merveilleuse journée.

ANNE : Merci.

ERIC : Merci beaucoup.