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Une ressource pouvant servir au développement des jeunes, Ministère des Services á l'enfance et á la jeunesse de l'Ontario, 2012

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Commentaires et réflexions de la Communauté bahá’íe du Canada

Juillet 2012

Nous tenons d'abord à remercier le ministère des Services à l'enfance et à la jeunesse de l'Ontario de nous avoir invités à commenter son rapport, tout à fait opportun et éclairé, intitulé « D’un stade à l’autre : une ressource sur le développement des jeunes ». Nous saluons la décision du Ministère de consacrer des ressources à une étude sur la façon de préparer les jeunes « à s’épanouir, tant au sein de leurs familles que de leurs collectivités, en tant que chefs de file et membres essentiels contribuant à la province et à notre avenir ». Cette étude constituera une ressource formidable pour les groupes et les agences œuvrant auprès des enfants et des jeunes dans toute la province. Nous espérons que les réflexions qui suivent, basées sur l’expérience que la communauté bahá’íe a acquise dans ses interactions avec des jeunes de l'Ontario, sauront contribuer à l’échange de vues actuellement en cours sur le développement et l’autonomisation des jeunes dans notre province.

Il est clair que les efforts déployés pour résoudre une multitude de problèmes sociaux, qu’il s’agisse de la violence armée, de l'intimidation ou de la pauvreté, doivent se baser sur le principe que les enfants et les jeunes sont la responsabilité de la société; ils constituent la promesse et la garantie de notre avenir. Dans l’ensemble de la société, cependant, la période de la jeunesse est souvent dépeinte comme une période de rébellion et de frivolité. On présume ne pouvoir attendre que très peu des jeunes puisqu’on croit les « adolescents » incapables d’endosser des responsabilités sérieuses. Nous nous réjouissons de voir que le rapport « D’un stade à l’autre » a rejeté cette conception inexacte et démoralisante et qu’il a adopté, dans son étude sur le développement de la jeunesse, une approche positive, axée sur les acquis.

Les jeunes sont évidemment sensibles aux attentes envers eux et profondément affectés par la manière dont ils sont perçus par leur famille, leurs amis, leurs enseignants et leur communauté. Les images les plus courantes de la jeunesse que transmettent les médias influencent aussi les perceptions que les jeunes ont d’euxmêmes. L’expérience nous a montré que les jeunes ont une énorme capacité à défendre la cause de la justice, à promouvoir l'unité entre des groupes disparates, à prendre soin de l’environnement et à consacrer leurs énergies à aider les autres. Le développement de ces capacités est trop souvent négligé dans le contexte d'une culture fortement marquée par la consommation et l’envie de se divertir. Le culte du moi est glorifié davantage que l’aide à autrui. Il en résulte souvent, chez les jeunes, une forme de léthargie – une passivité née d’un sentiment d'impuissance et de désespoir. Nous croyons que beaucoup de jeunes sont mécontents de ce qu’est devenu le monde et que plusieurs désirent y apporter des changements positifs. Ils ont toutefois besoin du soutien d’amis et de conseillers qui les aident à comprendre les forces à l’oeuvre dans la société et à agir selon une vision réaliste des changements devant intervenir dans leur vie et dans celle de ceux qui les entourent.

Selon le concept de résilience présenté dans « D’un stade à l’autre », les jeunes ont besoin d’« un éventail de compétences plus riche et plus divers [5] pour garantir leur réussite sur le plan personnel et professionnel ». En effet, la rapidité des changements sociaux, économiques et techniques, conjuguée au déclin de certaines institutions sociales, présente de nouveaux défis à la jeune génération d’aujourd’hui. Nous croyons qu’en plus de devoir développer résilience et souplesse face à l’incertitude, les jeunes doivent pouvoir participer activement à la réparation des injustices sociales. Nous considérons l’autonomisation comme un processus grâce auquel l’individu et la communauté prennent en charge leur propre développement spirituel et intellectuel. D’après notre expérience, les jeunes doivent, pour y arriver, prendre part à un processus éducatif qui les aide à identifier leurs talents et leurs capacités uniques, et à les canaliser vers l’aide à leur communauté. En d'autres termes, si les jeunes doivent développer un éventail plus vaste de compétences pour réussir dans une société et une économie modernes et dynamiques, comme le souligne le rapport, ils ont également besoin du savoir et de la vision nécessaires pour devenir des citoyens actifs dans la construction d'un avenir meilleur.

Comme le rapport « D’un stade à l’autre » le souligne fort à propos dans son analyse des étapes du développement des jeunes, la période de l’adolescence est marquée par l'apparition progressive de nouvelles aptitudes physiques, intellectuelles, sociales et émotionnelles. Notre travail auprès des jeunes consiste à les préparer à assumer les responsabilités liées à la maturité, soit l’éclosion des capacités innées de l’être humain. Selon les écrits bahá’ís, l'âge de quinze ans, dans l'adolescence, constitue le début de la maturité, un âge « où les lumières de la compréhension, de l'intelligence et de la connaissance sont perceptibles […] et où les pouvoirs de [l]'âme se manifestent ».

Entre 12 et 14 ans – le début de l'adolescence, selon le rapport « D’un stade à l’autre », – les jeunes quittent l'enfance et amorcent la transition vers la maturité. Maladresse et anxiété caractérisent souvent cette transition, mais c'est au cours de ces années que les jeunes acquièrent une nouvelle perception d’eux-mêmes et de leur entourage. Ils ne suivent plus de façon automatique les normes imposées par leurs parents ou par d’autres adultes, ils se posent des questions profondes et philosophiques, et une nouvelle conscience s’éveille en eux. C'est une période cruciale au cours de laquelle des concepts fondamentaux sur la vie individuelle et collective prennent forme dans l’esprit d’une jeune personne.

Les concepts concernant le soi et l'identité font partie des notions explorées par les jeunes au cours de cette période. Nous notons, tout au long « D’un stade à l’autre », la reconnaissance d’un noyau « soi/esprit » essentiel à la compréhension du développement des jeunes : « Il s’agit de cette “force de gravité” qui unit tous les aspects du développement et le vécu. » C’est là une observation importante, trop souvent absente des discussions concernant les jeunes et qui tend à découper la vie et les expériences en différentes catégories (i.e. opposant l’émotionnel à l'intellectuel, l'universitaire au technicien, l'introverti à l'extraverti, etc.) Les actions visant le développement des jeunes doivent se préoccuper de l’ensemble de la personne, chacun étant un individu à part entière doté de dimensions, d’aptitudes et de talents nombreux et différents. Un jeune n’est pas composé de parties ou d’identités distinctes, sans rapport les unes avec les autres; il est un tout intégré et cohérent.

Toutefois, en plus de reconnaître l’existence du « soi/esprit », il nous faut aussi réfléchir à la façon dont cette notion se développe. Dans le contexte d’une culture qui met en valeur un individualisme extrême, la prudence est de rigueur pour éviter que les jeunes acquièrent une fausse perception de qui ils sont et de leur entourage. Dans notre action auprès des jeunes, nous parlons d’un « double objectif moral » dont le premier aspect concerne le processus de transformation personnelle grâce au développement des aptitudes propres à chacun; le second aspect est lié au défi d’améliorer sa communauté et son entourage. Une conception déterminante de la nature humaine sous-tend cet objectif : nous possédons tous une nature supérieure qui inclut l’aptitude à refléter les vertus humaines (telles que la générosité, l’humilité, la justice, etc.), ainsi qu’une nature inférieure qui nous pousse à l’égoïsme. Le développement du soi exige qu’on prenne soin des qualités de sa nature supérieure, par la connaissance de soi et en se mettant au service d’autrui. Quand les jeunes comprennent leur double raison d’être morale, ils deviennent de plus en plus conscients du fait que la transformation personnelle exige qu’on participe activement à la société. On ne peut développer le « soi » indépendamment des relations avec autrui.

Comme le souligne le rapport « D’un stade à l’autre », le développement d’un « sens du soi » fait partie d’un processus d’exploration et de formation de l’identité. Dans une société de plus en plus diversifiée dans laquelle règne l’individualisme, la quête identitaire a pris une importance accrue pour bien des jeunes. Bien qu’un sentiment d’identité contribue à ancrer une personne dans sa communauté et son histoire, il peut aussi être une source de confusion pour plusieurs jeunes qui se sentent tiraillés entre des allégeances contradictoires. Une autre façon de concevoir l’identité réside dans une perspective d’intégration. Nous possédons tous une réalité intérieure, le reflet du divin en chacun de nous, et nous partageons cette identité humaine première – ancrée dans la réalité de l’âme humaine, qui n’a ni race, ni sexe, ni genre, ni nationalité. La conscience de notre nature profondément spirituelle, une caractéristique que partage toute l’humanité, offre à l’individu une perspective grâce à laquelle il peut apprécier les autres aspects de l’identité.

Alors que les jeunes prennent conscience de leur identité humaine première, ils examinent également les problèmes de pouvoir et de préjugés dans le monde qui les entoure. La société impose aux jeunes des identités qui constituent une distorsion de leur nature véritable. Par exemple, les femmes sont traitées en objets par les médias, et on fait de la sexualité le centre de leur identité. Les présomptions concernant la race et la classe sociale peuvent être tout aussi sournoises si les jeunes ne sont pas préparés à saisir la réalité spirituelle fondamentale qui est au cœur d’une identité qu’ils partagent avec tous les êtres humains.

Pour comprendre le concept de réalité spirituelle ou de nature spirituelle, on tend souvent à considérer d’abord la culture et les croyances religieuses, comme le souligne « D’un stade à l’autre ». Que cela soit reconnu dans ce rapport est en soi significatif, dans le contexte d’un discours public plus vaste sur la jeunesse qui a souvent été caractérisé par des perspectives matérielles et biologiques limitées. Cependant, dans l’analyse du développement des « croyances spirituelles », le rapport fait référence au seul aspect mystique de la croyance, alors que ses éléments pratiques sont tout aussi importants. Par exemple, si les croyances spirituelles d’une personne peuvent inclure certaines convictions sur la nature de Dieu, elles comprennent également une compréhension de la manière dont elle doit agir dans la vie. En effet, la plupart des religions et des traditions culturelles associent croyance et action; l’une ne va pas sans l’autre. La croyance spirituelle s’exprime notamment dans la connaissance des facultiés de l’âme : pouvoir apprécier la beauté, faire la distinction entre justice et injustice, réaliser l’unité, aider les autres, et ainsi de suite.

Nous apprécions également que « D’un stade à l’autre » souligne l’importance, pour les jeunes, de développer leur aptitude pour le raisonnement moral comme un élément de leur développement social. Dans notre action auprès des jeunes, nous renvoyons à la création d’une « structure morale » qui leur permette de prendre de façon autonome des décisions concernant leur vie et leurs relations avec leur entourage grâce à l’application de certains principes. Une structure morale est plus qu’un ensemble de règles. Un raisonnement moral solide exige, d’une part, la compréhension de principes moraux (tels que l’équité, l’honnêteté, l’unité et l’intégrité) et, d’autre part, la motivation requise pour les appliquer fidèlement même si des inconvénients en résultent. Les « dilemmes moraux » dont parlent le rapport du Ministère se posent souvent lorsqu’une personne fait face à une situation dans laquelle le respect d’un principe compromet l’intérêt personnel. Par conséquent, une caractéristique essentielle de la maturité est l’aptitude à subordonner son propre confort et son bénéfice à l’amélioration de la communauté. Cela requiert le développement d’une structure morale grâce à des échanges réguliers avec les autres et au soutien de conseillers et d’amis.

Nous offrons ces commentaires sur le rapport « D’un stade à l’autre » en raison de notre intérêt et de notre préoccupation communs pour le développement de la jeunesse en Ontario. Nous nous réjouissons que le contenu du rapport reflète un véritable optimisme face à l’avenir des jeunes en Ontario. Nous remercions le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse de l’Ontario pour son action visant à contribuer à une compréhension plus complète du développement des jeunes, en s’appuyant sur la littérature scientifique ainsi que sur les expériences d’un vaste échantillon de la société ontarienne. Nous accueillons favorablement ses actions pour promouvoir la creation d’une approche et d’un langage communs en ce qui a trait à la jeunesse, et nous espérons collaborer avec le Ministère dans l’avenir, afin de continuer à développer un cadre de référence pour le discours public sur la jeunesse.