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Dialogue sur la politique étrangère du Canada, 2003

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Avril 2003

Résumé

La Communauté bahá’íe du Canada est heureuse de contribuer au Dialogue sur la politique étrangère lancé par le ministre des Affaires étrangères. Nos commentaires porteront sur les trois piliers actuels de la politique étrangère canadienne_: la sécurité, la prospérité, et les valeurs et la culture. Si l’on veut, aujourd’hui, relever les défis d’une politique étrangère, il est essentiel d’élaborer un nouveau principe d'organisation des affaires internationales. En raison de son histoire, de sa population diversifiée, de ses compétences multilatérales et de la relation unique qu’il entretient avec les États-Unis, le Canada peut jouer un rôle exceptionnellement créatif dans l'évolution des affaires mondiales dans les années à venir. Le système d’État-nation qui domine les affaires mondiales depuis quelque 350ans ne répond plus aux besoins du monde, pas plus qu’un monde unipolaire ne peut convenir à une époque marquée par une coopération transnationale croissante dans les secteurs privé et public. Le principe de l’unité de l’humanité fournit une norme concrète permettant de mener au mieux une politique étrangère à notre époque. En plus d'être bénéfique en tant qu’idéal ou conception capables de réorienter le développement des affaires humaines dans les années à venir, l'unité de l'humanité peut également servir de guide vraiment pratique et stratégique pour le renouvellement des outils de la diplomatie, de la défense et de la politique de développement internationale du Canada.

Nous signalons en particulier trois des implications de ce principe. Premièrement, nous recommandons vivement au Canada de promouvoir aussi énergiquement que possible une réforme véritable du système multilatéral en vue d’établir une gouvernance mondiale efficace et crédible. Deuxièmement, le Canada devrait intensifier les actions qu’il a récemment entreprises pour comprendre et promouvoir le développement durable. Cela nécessitera un concept de prospérité plus solide que la notion courante, enracinée dans des hypothèses qui reflètent une culture matérialiste. En tant que pilier déterminant de la politique étrangère canadienne, le concept de prospérité doit être redéfini de façon à permettre à toutes les couches de la société de participer, dans une certaine mesure, à la prise de décisions sociales et économiques. Il doit tenir compte de l’éducation et de son accessibilité universelle, des processus de production et d’application du savoir ainsi que des normes de justice et d’équité, ces éléments étant tous essentiels à un concept de prospérité humaine adéquat. Troisièmement, le moment est venu de développer, dans la politique étrangère du Canada, une meilleure compréhension des relations interreligieuses qui s’appuie fermement sur les valeurs canadiennes de liberté religieuse et de pluralisme qui sont, dans la communauté mondiale d’aujourd'hui, des conditions préalables indispensables à la paix mondiale et à la solidarité humaine.

Introduction

L’histoire humaine n’a connu de changements radicaux dans ses modes de pensée et d’organisation qu’au lendemain de tragédies. C’est dans de tels moments que les lacunes des conventions passées sont clairement mises en évidence et contestées. La tragédie du 11septembre 2001 et les événements qui ont suivi cette attaque dévastatrice démontrent que les dispositifs traditionnels de sécurité qu’offrait la géographie ne fonctionnent plus. Ni les océans ni les vastes distances d’un bout à l’autre de la planète ne pourront désormais garantir cette sécurité que de nombreux peuples, dont ceux du continent nord-américain, tenaient autrefois pour acquise. La «mondialisation», terme apparu ces dernières années pour désigner l’élimination du temps et de l’espace en tant qu’obstacles à l’activité humaine, influence de toute évidence les affaires internationales d’une manière que les générations passées n’auraient pu imaginer.

Pour relever efficacement les défis de la politique étrangère du XXIesiècle, il faudra absolument réévaluer l'orientation de notre politique étrangère actuelle ainsi que les hypothèses et principes qui la guident. C’est pourquoi la Communauté bahá’íe du Canada salue l’initiative du ministre des Affaires étrangères de lancer ce dialogue sur la politique étrangère. Nous sommes particulièrement impressionnés par l’approche consultative adoptée dans le but de recueillir l’opinion de tous les Canadiens. Au cours des vingt dernières années, le gouvernement du Canada et son ministère des Affaires étrangères ont beaucoup fait pour défendre les droits fondamentaux de nos frères et sœurs bahá’ís, membres de la plus importante minorité religieuse d’Iran. Notre communauté sera éternellement reconnaissante du fait que la mise en œuvre de la politique étrangère canadienne s’appuie sur des principes. En réponse à l’appel au dialogue lancé par le Ministre, la communauté bahá’íe du Canada propose, dans le présent document, plusieurs idées qui pourraient contribuer utilement à un nouveau mode de réflexion sur la politique étrangère du Canada et à une réévaluation opportune des trois piliers qui lui ont servi de cadre: la sécurité, la prospérité, et les valeurs et la culture.

La sécurité (En référence aux questions 1, 4, 5 et 6 du Dialogue)

On peut définir la sécurité comme le fait d’être à l’abri du danger, des menaces et de la peur. Assurer la sécurité du pays constitue une fonction essentielle de l’État-nation moderne et fut à l’origine de sa création. De nos jours, cependant, les États-nations sont de plus en plus remis en cause par les conditions nouvelles qui prévalent partout dans le monde et menacent de miner plusieurs des fonctions qui relevaient jusqu’à maintenant de leur mandat. Les plus importantes de ces nouvelles remises en question proviennent des réseaux mondiaux qui, dans de nombreux domaines d’activité, relient les gens partout sur la planète. Alors que certains de ces réseaux ont eu un effet bénéfique et ont facilité l’accession à des niveaux sans précédent de prospérité économique et de coopération transnationale, d'autres ont engendré des menaces et des risques nouveaux, et ont été exploités par des dirigeants à leurs fins personnelles. Une façon d’atténuer de tels risques est de contrôler de plus près les flux d’échanges entre les réseaux mondiaux. Cette voie requiert, entre autres, un renforcement des contrôles frontaliers, des mesures restrictives relatives à l'immigration, de la surveillance ainsi que de la vigilance de la population. Bien qu’une telle approche puisse être nécessaire à court terme, on peut se demander si elle sera durable, efficace et même souhaitable à long terme. Une société dont les membres se méfient les uns des autres et qui redoute constamment des attaques de l’extérieur n'a-t-elle pas déjà perdu ces garanties contre la peur et l’anxiété que la sécurité est justement censée offrir? Pour parvenir à la sécurité véritable, certaines des raisons qui rendent nécessaire la mise au point d’un appareil de sécurité si complexe méritent, en premier lieu, d’être réévaluées.

D’un point de vue bahá’í, ce problème réside essentiellement dans un manque d’unité parmi les peuples du monde. À travers l’histoire, les humains ont réalisé l’unité à l’échelle de la famille, de la tribu, de la cité-État et de la nation. Chaque étape menant à de nouveaux niveaux d’organisation et de solidarité a nécessité du courage, et un renforcement des capacités humaines et de la réciprocité mutuelle. À l’aube de ce nouveau millénaire, notre monde a atteint des niveaux remarquables d’unité technologique et économique. Toutefois, sur le plan de la conscience, de l’identité et de l’organisation politique, l’unité est encore loin d’être atteinte. Ni cause ni objectif communs ne sont clairement identifiables. On insiste encore, de façon générale, sur l’intérêt des parties plutôt que sur celui du tout, lorsque vient le temps de faire un choix crucial entre les deux. Les bahá’ís croient que la réalisation de l’unité du monde est une condition préalable essentielle pour parvenir à une sécurité véritable, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle mondiale. Il nous faut atteindre une plus grande unité et faire preuve d’une compréhension profonde de l’unité de la famille humaine et de ce qu’elle implique, sans quoi notre sécurité fondamentale demeurera inaccessible.

Bahá'u'lláh, le fondateur de la foi bahá’íe, affirme: «Le bien-être de l’humanité, sa paix et sa sécurité ne pourront être obtenus que si son unité est fermement établie.» Si cela est vrai, alors tous les efforts actuels en vue de réaliser la sécurité sans unité sont voués à l’échec, puisqu’ils reposent sur une fondation instable et chancelante. L’unité du monde, ou l’unicité de l'humanité, n’est pas qu’un noble idéal, et n’est pas non plus censée écarter un nationalisme modéré et convenable. En fait, c’est que le principe de l’unité ou de l’unicité de l’humanité a d'importantes implications pratiques: il exige un réexamen de la nature des relations internationales et de la manière dont celles-ci pourraient se développer au mieux à une époque où il est essentiel, pour la survie même de l’espèce humaine, d’accroître l’harmonie et la bonne entente à l’échelle mondiale.

Le principe de l’unité mondiale ouvre une nouvelle perspective sur le rôle et les responsabilités des trois instruments traditionnels de la politique étrangère du Canada: la diplomatie, la défense et le développement. La cohérence du service diplomatique du Canada serait renforcée s’il s’inspirait du concept clairement défini de l’unité du genre humain en tant que principe d’organisation efficace à partir duquel les décisions courantes relatives à la politique étrangère pourraient être prises. La politique de défense du Canada devrait examiner comment l’expertise canadienne en matière d’opération militaire et de consolidation de la paix pourrait le mieux contribuer aux alliances internationales et aux mesures de sécurité collective qui renforcent la sécurité humaine, la justice et la primauté du droit dans l'ensemble de la communauté mondiale. De plus, notre politique et nos priorités en matière de développement international doivent être directement liées à une vision globale de l’économie et de la justice sociale qui intègre la participation à l’élaboration de politiques et à la prise de décisions de tous ceux que les projets de développement économique et social affectent.

L’insécurité constitue de toute évidence un problème global qui, comme tous les problèmes globaux, est indivisible. Si la sécurité de l’ensemble du monde n'est pas assurée, alors celle d’aucune de ses parties ne l’est vraiment. Il est absurde qu’un pays ou une région se prétende en sécurité alors que le feu couve ou fait rage ailleurs dans le monde. Cela est vrai non seulement sur le plan des principes, mais aussi en pratique, comme en témoigne ce que les spécialistes des relations internationales qualifient de dilemme de la sécurité. En conséquence, les pays qui tentent d’assurer leur sécurité en accroissant leurs forces armées sont souvent confrontés à un affaiblissement de leur sécurité relative (d'où le dilemme), leurs adversaires potentiels ayant recours à des actions similaires pour garantir leur propre sécurité. Dans Un dialogue sur la politique étrangère, on affirme que «protéger la sécurité de notre pays et contribuer à la sécurité mondiale» demeure un objectif central de la politique étrangère du Canada. Si la sécurité est réellement indivisible, la sécurité mondiale ne peut pas être simplement complémentaire de la sécurité nationale du Canada; elle doit plutôt être considérée comme faisant partie intégrante de celle-ci.

Étant donné le passé particulier du Canada, qui a vu une population diversifiée aux préoccupations variées se donner une patrie commune tout en célébrant leur diversité, ce pays se trouve dans une position idéale pour défendre le concept d’unité à l’échelle mondiale. Comment pourrions-nous mieux servir notre propre intérêt en matière de sécurité qu’en partageant activement avec le monde ce que l’expérience nous a appris? Dans une telle approche, on pourrait d’abord porter une plus grande attention à promouvoir ce principe de concert avec notre plus proche voisin et allié, les États-Unis d'Amérique car, malgré toutes leurs différences, les États-Unis et le Canada ont en commun une expérience de la diversité culturelle et religieuse. Les deux pays fondent leur acceptation de la diversité en tant que valeur positive sur les notions explicites de pluralisme, de recours à la primauté du droit, sur une compréhension profonde du fédéralisme, et sur l'importance d’un ensemble de libertés fondamentales allant du respect des minorités à la liberté de religion. En fonction des principes moraux reflétés dans la politique étrangère du Canada et des États-Unis, ces deux sociétés, uniques mais certes différentes, devraient pouvoir contribuer ensemble à l’émergence d’une vision de l’unité mondiale qui laisserait suffisamment de latitude aux particularités de chacune de nos deux approches nord-américaines, dont les larges consensus pourraient cependant inciter d’autres nations et cultures à apporter leur système de valeurs et la diversité de leurs points de vue à une famille mondiale fondamentalement harmonieuse et unie.

Un effort renouvelé pour définir une association avec les États-Unis qui tienne compte des exigences planétaires du XXIesiècle exigera évidemment que le Canada s’engage à long terme dans l’édification d'un ordre mondial multilatéral que les deux pays ont largement contribué à créer il y a plus de cinquante ans. Animée par l’optimisme qui a suivi les événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale, la politique étrangère du Canada a pris des initiatives audacieuses en contribuant à la tâche énorme d’établir un nouvel ordre international. La façon dont les États-Unis conçoivent les nouveaux défis qu’implique la promotion d'un ordre international adapté au XXIesiècle ne sera pas forcément toujours la même que celle du Canada; mais ce dernier peut largement contribuer au renforcement des valeurs, telles que le droit international, les droits de l’homme, la coopération et la réciprocité, dont nos voisins, les États-Unis d'Amérique, apprécient depuis longtemps la valeur et qu’ils continueront assurément de valoriser dans les années à venir.

S’il améliore ses outils en matière de politique étrangère conformément à une coopération et à des accords multilatéraux plus larges et plus efficaces, le Canada aura besoin d’investir davantage dans l’établissement d'un mécanisme de sécurité collective crédible. Cela nécessitera également une approche plus sérieuse et plus crédible de l’application des normes relatives aux droits de l’homme si méticuleusement érigées, au cours des dernières décennies, en un vaste ensemble d’instruments de défense des droits fondamentaux, normes qui, ces dernières années, n’ont pas toujours été appliquées et mises en œuvre avec l’intégrité que reflètent les termes de ces accords internationaux.

Les événements récents pourraient bien avoir ouvert la voie à une telle réforme d'une manière qui rende opportunes des propositions créatives et audacieuses auparavant considérées comme étant d’une trop grande portée. En 1995, lors du cinquantième anniversaire de la création des Nations Unies, la Communauté internationale bahá’íe, de concert avec un grand nombre d'autres organisations non gouvernementales, de gouvernements, de commissions et de groupes de réflexion, a recommandé à l'ONU une série de réformes qui étaient alors fort urgentes, mais qui s’imposent encore bien davantage aujourd'hui, et qui seront peut-être accueillies plus favorablement par la communauté internationale. Dans le cadre de notre contribution à ce dialogue, nous tenons à rappeler certaines des propositions contenues dans notre document Tournant pour les nations.

En reconsidérant l’ensemble des recommandations, il est important de souligner que l’ONU est une institution en constante évolution dont l’avancement ne peut ni se réaliser ni être compris en dehors du contexte plus large de l'ordre international, lui-même en constante évolution, dans lequel elle opère. Comme l’a déclaré la Communauté bahá’íe en 1995: «Isolée de la réalité dans laquelle elle fonctionne, l'ONU apparaîtra toujours inopérante et inefficace. Toutefois, considérée comme un élément du processus plus vaste de l'édification des systèmes de l'ordre international, son analyse permet de passer rapidement sur ses défauts et ses échecs pour mettre en lumière les victoires remportées et l’œuvre accomplie. Pour ceux qui ont choisi d'adopter un point de vue évolutionniste, l'expérience des débuts des Nations Unies apparaît riche d'enseignements sur son rôle à venir au sein du régime international.»

L’Assemblée générale et le Conseil de sécurité font partie des organes des Nations Unies qui ont besoin d’être réformés. Sur le plan symbolique, l'Assemblée générale est le corps législatif de l'humanité. C'est le forum où les représentants de toutes les nations se réunissent pour discuter ouvertement des problèmes de la planète et adopter des lois sous forme de résolutions. Sur le plan pratique, cependant, ces décisions demeurent souvent infructueuses, car leur seul pouvoir de mise en œuvre est la mise en application volontaire par les États-nations. À cause de cette inefficacité, ce corps demeure extrêmement faible et manque terriblement de crédibilité.

Afin de renforcer la réputation de l'Assemblée générale, la Communauté bahá’íe a offert, en 1995, plusieurs suggestions, la plus importante étant un appel à renforcer les normes minimales d’admission des représentants nationaux au sein de l'Assemblée générale, afin de mieux rendre compte du caractère véritablement démocratique de l'Assemblée et d’un respect plus fondamental des droits des citoyens qu’elle représente. Il semble évident que la crédibilité et la réputation de l'ONU continueront de décliner tant que ne s’effectuera pas une réforme interne adéquate donnant accès à l'Assemblée générale grâce à un mécanisme électoral auquel les personnes représentées auront participé. S’il était communément admis que les résolutions de l'Assemblée générale constituent véritablement l'autorité morale de la volonté collective du monde, de telles décisions seraient ainsi, au fil du temps, davantage respectées et acquerraient une force qui les rendrait de plus en plus difficiles à enfreindre.

Le deuxième organe des Nations Unies qui a manifestement besoin de réforme est le Conseil de sécurité. Établi dans le but d'assurer la paix et la sécurité dans le monde, ce corps est souvent perçu comme une institution fondée sur des privilèges et des normes asymétriques. Les bastions que constituent «l’adhésion permanente» et «le droit de veto», principaux piliers de sa composition, soutiennent, dans une large mesure, ce point de vue. Pour atteindre efficacement ses objectifs de paix et de sécurité, la communauté bahá’íe a, depuis plusieurs années, appelé à l'élimination graduelle de l’adhésion permanente et du droit de veto. De cette façon, tous les États pourraient avoir la conviction qu'aucun parti n’est au-dessus de la loi et que la justice n'est pas simplement fonction du pouvoir. Étant donné que l'élimination de l’adhésion permanente et du veto sont des buts à long terme, nous suggérons que des limites soient imposées à l'utilisation du veto de façon à ce qu’un plus grand nombre de résolutions puissent être adoptées dans l’immédiat. Dans la Charte de l’ONU, le veto a été introduit afin de protéger les membres permanents de toute attaque ou pour que leurs forces armées ne soient pas utilisées contre leur volonté. Toutefois, le veto a rapidement dépassé son objectif initial et servi des intérêts nationaux sur une multitude de questions. Peut-être le Canada pourrait-il, dans un premier temps, prendre des mesures visant à encourager l'utilisation du veto ainsi qu’on l’avait initialement envisagé.

Les bahá’ís croient qu’à la longue, le Conseil de sécurité pourra s’acquitter au mieux de son mandat de maintien de la paix et de la sécurité dans le monde s’il devient l’instrument d’un système de sécurité collective solide. Au XIXesiècle, Bahá'u'lláh, le fondateur de la foi bahá’íe, a décrit un tel dispositif aux dirigeants politiques de son époque, déclarant: «Soyez unis, ô Rois de la terre, pour apaiser la tempête de la discorde entre vous et apporter la tranquillité à vos peuples, si vous pouvez le comprendre. Si l'un de vous prend les armes contre un autre, levez-vous pour vous opposer à lui, car ce n’est que justice évidente.» Alors que la majorité d’entre eux ont rejeté cette vision, la qualifiant de rêve utopique, la dévastation causée par la guerre depuis que Bahá’u’lláh a lancé son appel a, au fil du temps, montré à une multitude toujours croissante qu’il était impérieux de l’adopter. À preuve, de nos jours, une intervention militaire doit toujours être légitimée par une «coalition».

Pour aller au-delà des simples manifestations rhétoriques et ponctuelles de sécurité collective, il est temps pour des pays comme le Canada de travailler avec d’autres États progressistes à mettre en place les mécanismes nécessaires à l'institutionnalisation de ce système. À cette fin, une force internationale efficace placée sous l’autorité du Conseil de sécurité pourrait accomplir de nombreuses tâches urgentes relatives à la sécurité mondiale. En plus de la sécurité collective, une telle force offrirait au Conseil de sécurité, qui manque aujourd’hui de mesures de coercition cohérentes et systématiques, un élément essentiel dont il a grand besoin.

Un tel système pourrait aussi constituer une des meilleures mesures de protection contre la prolifération des armes de destruction massive (ADM). En ce début du XXIesiècle, ces armes, associées à des réseaux mondiaux insaisissables qui utilisent la violence pour servir leurs propres intérêts politiques, constituent une menace très sérieuse pour la paix mondiale. Jamais auparavant, dans l’histoire, un si petit nombre de personnes n’a-t-il pu apporter la désolation à de si grands nombres. Face à cette menace, une force internationale utilisée en dernier recours pour défier les États cherchant à obtenir ce type d’armes aurait sûrement un puissant effet dissuasif sur de telles tentatives. Peut-être plus fondamentalement, toutefois, cette force pourrait procurer à tous les États et à tous les peuples un sentiment de sécurité sans précédent qui éliminerait une grande partie des motifs et du désespoir profond qui les amènent, en premier lieu, à vouloir acquérir de telles armes.

Lancée par le Canada, la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, dont le travail est brièvement décrit dans la brochure intitulée La responsabilité de protéger, a beaucoup à offrir dans le contexte de l'élaboration des directives requises au moment où le monde se dirige vers une ère de gouvernance supranationale à la fois responsable et représentative. Il est important qu’un nouvel investissement dans les options militaires du Canada s’inspire de cette manière de penser et adopte une stratégie qui permettra à notre pays d’assumer le leadership dans l’élaboration des outils nécessaires à la sécurité mondiale au plein sens du terme et, plus particulièrement, en considération de la sécurité de tous les citoyens du monde.

La prospérité (En référence à la question 8 du Dialogue)

Promouvoir la prospérité sur les plans national et mondial constitue le deuxième pilier de la politique étrangère du Canada. Une réévaluation des dix années qui ont suivi la dernière révision de la politique étrangère révèle une croissance économique rapide dans de nombreuses régions du monde grâce à l’accélération de la mondialisation économique. Au cours de la même période, cependant, on a aussi noté que l’écart s’est creusé entre pays riches et pays pauvres, de même qu’entre riches et pauvres dans presque tous les pays. Les tentatives de développement économique, au cours de la dernière moitié du XXesiècle, ne sont aucunement parvenues à concrétiser les prévisions optimistes. Une petite minorité de riches et une vaste majorité de pauvres caractérisent le monde d’aujourd’hui. Dans un monde où règnent une pauvreté inacceptable, la faim, les inégalités économiques, le chômage et un accès inadéquat aux soins de santé et à l'éducation, l'objectif de la prospérité doit demeurer une préoccupation majeure pour tous. Mais dans la lutte pour la prospérité, la Communauté bahá’íe du Canada invite le gouvernement canadien à réexaminer le caractère fondamental de ce qu’on entend par «prospérité». Depuis des décennies, les tentatives pour accroître la prospérité grâce à des programmes gouvernementaux d’aide sociale et de redistribution à l’intérieur du pays, et à l’aide étrangère et au développement au niveau international, sont entièrement axées sur une définition étroite et matérialiste de la prospérité. Pour les bahá’ís, cette approche est fondée sur une interprétation erronée de la nature humaine qui ne tient aucun compte de la dimension spirituelle inhérente à l’être humain.

Reconnaître la dignité et la valeur essentielles de tous les êtres humains fait clairement apparaître un élément de la véritable prospérité qui est souvent négligé. La prospérité doit inclure un degré de participation à la prise de décisions, à l’élaboration de politiques et à la mise en œuvre de projets de développement socioéconomiques de la part de tous ceux qui sont concernés par une politique ou un programme spécifiques. Le développement ne peut plus s’appuyer sur une division artificielle entre ceux qui le font et ceux qui le reçoivent. Ce n’est là qu’une des caractéristiques d’un concept de prospérité plus solide.

Le développement peut mener à la prospérité si on cherche en premier lieu à libérer les potentialités humaines et si, par conséquent, on ne vise pas une rentabilité à court terme des investissements. Les masses de l’humanité sont aujourd'hui prisonnières de conditions, souvent créées par l’homme, qui ne leur permettent pas d’exercer leur plein potentiel. On pourrait donc dire qu’elles sont ainsi privées de leurs droits en tant qu’êtres humains. L’éducation universelle, la liberté de circulation, l'accès à l'éducation et la possibilité de participer à la vie politique sont tous des droits qui doivent être accessibles à tous les êtres humains, quel que soit l’endroit où ils sont nés. Au moment d’élaborer sa politique étrangère relative à la prospérité, la Communauté bahá’íe du Canada invite le ministère des Affaires étrangères à intégrer cette approche holistique de la nature humaine dans ses principes et ses programmes.

Les bahá’ís convient le gouvernement canadien à prendre en considération tous les aspects de la nature humaine dans son élaboration de politiques relatives à la prospérité dans le cadre de sa politique étrangère. Nos suggestions, à cet égard, se retrouvent dans le document Vers une humanité prospère qui proposait une stratégie globale de développement au Sommet mondial pour le développementsocial en 1995.Nous croyons que ce document constitue encore aujourd’hui une innovation conceptuelle par rapport au mode de pensée courant sur ce sujet. Dans ce document, la société humaine est mise au défi de définir sa prospérité au-delà de la simple amélioration des conditions matérielles. La véritable prospérité dépend d’abord d’une nouvelle façon de concevoir la nature humaine, c'est-à-dire comme un être noble et doté de capacités morales et non comme un être avant tout égoïste et motivé par le profit personnel. Bahá’u’lláh y a fait allusion dans ses écrits: «Voyez en l’homme une mine riche en gemmes d’une valeur inestimable.» Une des facultés les plus essentielles chez l’être humain, qui n'est pas toujours reconnue dans l’élaboration de programmes de développement, est le sens de la justice. L’être humain a un sens aigu de ce qui est juste et équitable, et de ce qui est injuste et abusif. Il n'est donc pas étonnant que les programmes de développement qui perçoivent les êtres humains comme de simples facteurs de production préoccupés uniquement par leurs propres intérêts pour les marchés mondiaux échouent souvent dans leur mise en œuvre.

Le discours et la pratique de la communauté du développement ont largement profité des connaissances et de l’expérience issues du développement durable. Le développement durable demeure un concept très utile autour duquel peuvent s’articuler l'éducation, la production et l’application de connaissances dans le but de résoudre les difficultés de l'existence humaine, ainsi que les infrastructures sociétales dans les domaines de la santé, de l'agriculture et du commerce. Nous conseillons vivement au gouvernement canadien de tenir compte des recommandations concrètes émises lors du Sommet mondial sur le développement durable en 2002. Une recommandation importante demandait que soit examiné plus attentivement le rôle que les communautés religieuses et les valeurs spirituelles (si elles sont dépouillées du fanatisme et de la superstition) peuvent jouer dans le renforcement de la cohésion sociale, la réduction de la consommation immodérée et le développement d'une approche à long terme pour la prestation de biens et de services aux peuples du monde.

Les valeurs et la culture (En référence aux questions10 et11du Dialogue)

Enfin, le troisième pilier de la politique étrangère concerne la promotion de la culture et des valeurs canadiennes. Dans cette section, nous voudrions insister sur la onzième question du Dialogue sur la politique étrangère, qui demande si le Canada devrait rechercher les occasions de favoriser le dialogue interculturel et l’entente entre les diverses confessions. La Communauté bahá’íe du Canada est particulièrement impressionnée de voir ce sujet inclus parmi les douze questions proposées par le ministère des Affaires étrangères dans ce dialogue. Les bahá’ís accordent leur appui à des activités interculturelles et interreligieuses depuis de nombreuses années, car nous croyons essentiel de surmonter les préjugés religieux pour accéder à un avenir plus uni et plus pacifique. La religion qui, dans l’histoire, a été la principale source de notre conduite morale collective et à laquelle des milliards de personnes, partout dans le monde, jurent encore fidélité, ne doit pas être instrumentalisée pour acquérir le pouvoir ou pour créer des divisions au sein de l'espèce humaine. Elle doit servir d’instrument pour unifier nos diversités et nous éclairer moralement. À cette fin et pour répondre à la onzième question, nous encourageons fortement le gouvernement du Canada à promouvoir le dialogue interculturel et interreligieux à l'échelle nationale et internationale dans le cadre de sa politique étrangère.

En adoptant une telle initiative, cependant, la politique étrangère canadienne doit se garder d’une définition trop générale de la tolérance à l’égard de toute croyance et de toute pratique revendiquant le nom de religion. Certaines croyances et pratiques religieuses extrêmes, exclusives ou fondamentalistes doivent être vues pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire un abus des droits d'autrui, un obstacle à la compréhension et au bien-être de l'humanité, et une insulte à la vraie religion. En avril 2002, le Conseil d’administration international des six millions de bahá’ís sur la planète a écrit une lettre aux dirigeants religieux du monde, les invitant à abandonner les dogmes qui sont source de discorde et à promouvoir l'harmonie mondiale. La lettre examinait d'abord la manière dont les préjugés de sexe, de race et de nationalité se sont dissipés au cours du XXesiècle. À la fin du siècle, la majorité de l'humanité ne considérait plus un genre, une race ou une nation comme étant supérieurs aux autres. On soulignait toutefois dans la lettre qu’il restait encore beaucoup de travail à faire pour vaincre les préjugés dans le domaine de la religion. Bien que des efforts considérables aient été déployés au cours du XXesiècle pour promouvoir le dialogue entre les diverses confessions et l’acquisition de connaissances à leur sujet, ces initiatives ont souvent manqué de la cohérence intellectuelle et de l'engagement spirituel nécessaires de la part des adeptes de ces religions. Cela était dû à des modes de pensée sectaire, tenaces et bien enracinés, souvent adoptés par des chefs religieux qui prétendent détenir la vérité, ce qui a été la source même des douloureux conflits que l'humanité connaît depuis trop longtemps.

Les bahá’ís ont toujours cru que les grandes religions du monde ont la même origine divine et expriment essentiellement la même vérité. Chacune de ces religions a joué un rôle essentiel dans le renforcement positif du caractère moral de millions de ses adeptes. Chacune a permis à ses disciples de donner un sens valable à leur vie. Le document adressé aux chefs religieux du monde appelle les adeptes de toutes les religions à réorienter fondamentalement leur pensée et à mettre de côté toute prétention à l'exclusivité de la vérité et de la spiritualité, pour le bien de l'humanité et pour la paix. Dans ce travail, le gouvernement du Canada peut jouer un rôle important en promouvant une politique étrangère qui encourage un dialogue sincère entre les grandes religions du monde. Nous saluons les contributions remarquables du Canada dans ce domaine– ce dont notre communauté a fait elle-même l’expérience–, et demandons que le Canada continue de promouvoir les droits de l’homme, en garantissant la liberté de religion et de croyance partout dans le monde.

Plusieurs avenues s'offrent au gouvernement canadien pour explorer activement cette question désormais cruciale, mais une réponse immédiate s’accorderait certainement avec l'engagement à long terme, pris par le Canada, de renforcer le système international de protection des droits de l’homme de l’ONU. Le Rapporteur spécial sur la liberté de religion du Conseil des droits de l'homme de l’ONU a effectué un certain travail afin d'établir des normes opérationnelles sur la liberté religieuse. Le Canada devrait appuyer ces initiatives. Cela exige de prêter attention aux normes qui visent à libérer les énergies créatives des communautés religieuses actuellement opprimées dans plusieurs pays, ainsi qu’à celles qui mentionnent les pratiques et les croyances qui sont elles-mêmes cause de discrimination. Sans une approche systématique, réfléchie et sincère pour comprendre les religions du monde, le rôle central que la religion peut jouer dans la vie de la grande majorité des êtres humains et l'importance des principes universels communs à toutes les religions du monde pour la promotion de la solidarité humaine et la compréhension mutuelle, ne pourront être pleinement exploités pour le bien-être de la communauté mondiale.

En résumé, nous recommandons vivement que le principe de l'unité du monde et de la famille humaine soit considéré comme un moyen de favoriser la cohérence et la créativité dans la diplomatie, la défense et l’élaboration des politiques du Canada. Ce travail devrait inclure une collaboration étroite avec le secteur privé du Canada et les organisations non gouvernementales du pays, ainsi qu'avec la diversité croissante des acteurs du secteur public à tous les niveaux des réseaux mondiaux. L'objectif est de contribuer le mieux possible, en tant que nation, à aider l'humanité à effectuer la difficile transition du système international défaillant actuel à un système basé plus fermement sur les notions de citoyenneté mondiale, de solidarité humaine et de relations équitables entre tous les peuples du monde.

Références

Communauté internationale bahá’íe, Tournant pour les nations, une déclaration de la Communauté internationale bahá’íe à l'occasion du 50eanniversaire de l'Organisation des Nations Unies, octobre 1995.

Communauté internationale bahá’íe, Vers une humanité prospère, janvier 1995.

Maison universelle de justice (le Conseil d’administration international de la Communauté internationale bahá’íe), Message aux dirigeants des religions du monde, mai 2002.